Le mégot déchet numéro 1

Une "journée sans tabac" aussi pour la planète

  • Publié le 31 mai 2022 à 11:07

Ce mardi 31 mai 2022 marque la Journée mondiale sans tabac. Les fumeurs sont invités à laisser leur paquet de cigarettes rangé dans le tiroir et les différentes autorités sanitaires ou associations en profitent pour sensibiliser sur les dangers du tabac. Cette année, l'Organisation mondiale de la santé a choisi le thème de la protection de l'environnement. Le sans tabac ça vaut aussi pour la planète : un mégot, qui met 12 ans à se désagréger, est mieux à la poubelle que par terre. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Premier déchet mondial en termes de quantité, le mégot de cigarette est la cible de la Journée mondiale sans tabac, qui se déroule ce mardi. Portée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tous les ans le 31 mai, cette journée thématique a été choisie pour répondre à une préoccupation importante notamment chez les jeunes, la protection de la planète.

Les mégots de cigarettes sont l’une des plus importantes sources de déchets au monde : entre 30 et 40% des déchets ramassés lors des opérations de nettoyage des plages et des villes, rappelle l'agence régionale de santé. A La Réunion, ces mégots sont un désastre pour les sols comme pour l'océan.

Matthias Commins, président de l'association Prop Réunion, est bien placé pour le savoir. Il y a quelques semaines seulement, il organisait avec les membres de l'association une opération de nettoyage sur la plage de l'Hermitage. "Sur 10 mètres seulement et sur une profondeur qui fait à peu près la taille d'une main, nous avons ramassé près de 70 mégots" explique-t-il. Un triste échantillon de ce que l'on retrouve sur toutes les plages de l'île.

Selon l'ARS, "plus de 200 millions de cigarettes [sont] éparpillées chaque année dans les rues, les parcs, les plages et l’océan à La Réunion" si l'on prend en compte que 30% des cigarettes sont jetées par terre, et les 660 millions de cigarettes mises en vente en 2020 selon les derniers chiffres fournis par l'ORS Réunion (observatoire régional de santé).

- Un impact énorme sur nos océans -

"Sur les plages de galets on en trouve un peu moins puisque les mégots sont souvent broyés ou sont emportés par les vagues. Mais dès qu'on creuse un peu on trouve de nombreux déchets et micro-plastiques. Sur les plages de sable blanc, de loin ça paraît propre. Et puis dès qu'on s'installe sur sa serviette et qu'on creuse un peu, on trouve de nombreux mégots camouflés" déplore Matthias Commins.

S'il est déplorable de voir des mégots s'amonceler dans la rue, l'impact est pire encore dans la mer. Un mégot met 12 ans environ à se désagréger. Il peut polluer jusqu'à 500 litres d'eau à lui tout seul. "Mettez un mégot dans un verre d'eau et regardez le résultat" conseille le président de Prop Réunion. "Avec des milliers de mégots dans l'eau, on se retrouve à nager dans des piscines olympiques polluées."

Les composants chimiques menacent les coraux comme les poissons. Pour certaines espèces, un poisson sur deux meurt dans les 96 heures après le jet d'un mégot dans l'eau, selon une étude de "Tobacco control".

- Le tabac dévastateur pour la planète -

Pour le docteur David Mété, addictologue au CHU de La Réunion, l'angle choisi par l'OMS sur l'environnement est "très intéressant", il montre que "le tabac n'est qu'une série de pertes : de temps, d'argent, des pertes pour la santé, pour l'environnement". Ainsi il rappelle que la production de tabac est responsable de 5% de la déforestation dans le monde et que "pour fabriquer un kilo de tabac, il faut brûler huit kilos de bois". D'autant plus que les plantations sont bien souvent mises en place dans des pays en voie de développement.

"La Journée sans tabac de ce mardi incite comme à chaque fois à arrêter de fumer, mais aussi pour ceux qui ne sont pas dans cette démarche, à arrêter de jeter leur mégot par terre. Rappelons que près de la moitié des incendies sont causés par des mégots mal éteints" ajoute le docteur David Mété.

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- Une sensibilisation nécessaire -

Dès 2003, la municipalité saint-pauloise dirigée par Alain Bénard à l'époque avait tenté de mettre en place des "plages sans tabac".  Une idée avant-gardiste pourtant abandonnée, face à l'impossible contrôle de la mesure.

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L'amende de 68 euros mise en place en mars 2015 sur le plan national et visant à réprimander les fumeurs jetant leur mégot au sol ne semble pas davantage porter ses fruits. Inlassablement, les mégots sont jetés par les fenêtres des voitures, s'accumulent le long des trottoirs et s'enfouissent dans le sable.

Pour sensibiliser les Réunionnais, le bar Longboard Café situé à Saint-Pierre avait fait le buzz en 2019 : en échange d'un gobelet rempli de mégots ramassés aux alentours, les clients se voyaient offrir une boisson gratuitement. Une action ponctuelle qui hélas n'a pas fonctionné autant que l'aurait souhaité Florian Albert, le gérant de l'établissement. "Quelques personnes avaient joué le jeu mais ça n'avait pas été énorme. On voulait mettre un gros seau transparent à l'extérieur notamment mais ça ne s'est pas fait, faute de participants. Je pense que la notion "d'échange" a finalement mis les clients dans une situation délicate, ils n'osaient pas" analyse-t-il.

Le projet, qui existait déjà ailleurs mais novateur sur l'île, a cependant "fait des petits" comme le remarque le gérant et d'autres bars, notamment à Saint-Gilles, ont repris l'idée. "On en avait marre de balayer les mégots au sol" rappelle Florian Albert, qui voit hélas peu d'évolution. "Ce sont des gestes malheureusement qui sont mécaniques parfois pour les fumeurs. Mais on vit dans une ère où les gens sont de plus en plus responsables et on dispose de pas mal d'outils, comme les cendriers de poche notamment". Outils que déploient certaines associations sur l'île.

- "Interdire c'est compliqué" -

Pour le gérant du bar, "interdire c'est compliqué" et l'expérience montre que cela fonctionne difficilement. "Il faut surtout sensibiliser. Nous aussi on déploie beaucoup plus de cendriers et de petits pots, pas uniquement sur les tables d'ailleurs. Et quand on voit des incivilités, il ne faut pas hésiter pas à aller voir les personnes qui n'ont pas toujours conscience des conséquences à terme."

Même impression pour Matthias Commins, de Prop Réunion, qui soutient malgré tout l'idée de plages sans tabac, et même "zéro déchet" pour aller plus loin. Mais il privilégie le dialogue. "Il faut surtout comprendre pourquoi les gens font ça. En discutant, on se rend compte que certaines personnes pensent que le mégot est biodégradable alors que c'est absolument faux."

La multiplication des poubelles incitant les fumeurs à jeter leur mégot dedans n'est pas nécessairement une solution selon lui. "L'ONF (office national des forêts, ndlr) explique notamment qu'ils limitent les poubelles en forêt pour éviter d'attirer les rats et donc nuire au tuit-tuit par exemple. C'est une raison noble. Mais dans ce cas, il faut que les gens en aient conscience et se responsabilisent en ramenant leurs déchets chez eux." Ce qui vaut bien sûr pour les mégots.

Pour le docteur David Mété, "on dit toujours que telle ou telle interdiction est impossible à mettre en place et puis les gens finissent par s'habituer. Regardez, l'interdiction de fumer dans un avion ou un espace public fermé, ça ne choque plus personne" remarque-t-il. "Il faut aller plus loin, moi j'aimerais voir, comme ça se fait aux Etats-Unis, des villes entières sans tabac. Au-delà des mégots jetés par terre, les gens ont droit à un air pur."

mm/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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