De nombreux dysfonctionnements dénoncés

Allocation régionale de recherche : un parcours du combattant pour les doctorants

  • Publié le 3 octobre 2019 à 02:59
  • Actualisé le 3 octobre 2019 à 06:38

Depuis un moment maintenant, les doctorants en recherche bénéficiaires de l'Allocation régionale de recherche (ARR) à l'Université de La Réunion se plaignent de nombreux dysfonctionnements dans le versement de leur allocation. Allouée par la Région, cette bourse s'élève à 1200 euros nets par mois, versée pour une période maximum de trois ans. Problème : les bénéficiaires patientent parfois plusieurs mois avant de recevoir leur premier versement, qui est par ailleurs de 200 à 300 euros inférieur aux salaires des chercheurs en contrat doctoral. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

De nombreux étudiants en témoignent : toucher cette bourse est un véritable parcours du combattant. Premièrement, alors que les sélections sont faites à partir du mois de juin, la Région répond favorablement – ou non – aux alentours de novembre, voire décembre. Le premier versement de la bourse, lui, peut arriver en janvier, en février, et dans certains cas même en mars.

Bien évidemment, le versement est rétroactif et est donc composé de tous les paiements d'octobre au premier mois de versement. Cependant, les chercheurs commencent à travailler sur leur étude dès octobre afin de ne pas être en retard sur leurs échéances.

Six mois sans rémunération

"J'ai passé la sélection en juin, mais j'ai dû attendre le mois de décembre pour avoir une réponse de la région. Le temps de m'inscrire à la fac, qui est fermée jusqu'à la fin janvier, je n'ai reçu mes allocations que début mars" témoigne Thomas*, un doctorant en deuxième année.

Il ajoute qu'il a commencé à s'avancer dans ses recherches dès octobre afin de ne pas accumuler de retard : à raison de presque 60 heures de travail par semaine et une impossibilité de travailler à côté, il n'a touché aucune rémunération pendant six mois. "J'ai dû vivre au crochet de ma compagne, heureusement que nous n'avons pas d'enfant à charge" soupire-t-il.

Cette interdiction d'avoir une activité professionnelle fait partie intégrante de la convention signée par les doctorants bénéficiaires de l'ARR. L'unique source de revenu complémentaire possible est une dérogation pour enseigner, au maximum, 64 heures dans l'année. Quand il y a un retard de paiement, certains d'entre eux se retrouvent donc sans aucune ressource.

"C'est une situation d'extrême précarité, qui pourraient mener à nous retrouver à la rue pour certains d'entre nous" déplore Mathilde*, en quatrième année de thèse.

Des justificatifs à fournir tous les mois

Le versement se fait mensuellement depuis 2018, contrairement à avant où il se faisait par trimestre. Mais le paiement est effectué seulement une fois un certain nombre de documents fournis à la Région. "Des documents qui témoignent de l'avancement de nos recherches, qui peuvent prendre du retard, parfois à cause de nos directeurs de thèse eux-mêmes" explique Thomas. Le paiement est alors coupé pour le mois, laissant sans ressource les doctorants.

"La convention doit par ailleurs être signée par tous les contrevenants, ce qui peut parfois prendre extrêmement longtemps et nous faire patienter jusqu'à deux mois pour percevoir notre allocation" explique Mathilde.

Pas de cotisation, de congés ou d'arrêt maladie

Les chercheurs dénoncent par ailleurs les conditions spécifiques à cette allocation : les bénéficiaires ne cotisent ni pour le chômage, ni pour la retraite, ni pour la sécurité sociale, ne bénéficient pas de congés ou d'arrêts maladies… Une situation inacceptable pour certains, qui consacrent parfois quatre ans de leur vie à leur thèse.

"Les doctorants se retrouvent sans ressource pendant 5 mois à un an jusqu'à leur soutenance – l'allocation ne pouvant être attribuée que pour trois ans - puis le temps de trouver du travail après le diplôme... A ajouter à cela que le statut étudiant, obligatoire pour la soutenance, rend extrêmement complexe, voire impossible, l'accès au RSA" dénonce Aline*, bénéficiaire de la bourse.

S'ajoute aussi à cela l'obligation de terminer ses travaux de recherche, sous peine de devoir rembourser la totalité des sommes perçues. "Nous sommes littéralement pris à la gorge : soit on termine notre sujet de recherche, soit on rembourse. Impossible de changer d'avis sur notre sujet de recherche, de céder à une trop grande pression ou même à une perte d'intérêt" s'indigne Thomas. En effet, le sujet de la thèse est spécifié dans la convention de l'allocation : il n'est donc pas possible d'en changer sous peine de devoir rembourser la Région.

Par ailleurs, l'article de loi (Article L412-2) régissant les contrats doctoraux précise que les montants sont "indexés sur l'évolution des rémunérations de la fonction publique. (…) Les bénéficiaires de ces allocations ont droit à la protection sociale de droit commun. Nonobstant toutes dispositions contraires, ils sont titulaires de contrats à durée déterminée couvrant la période de formation". Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Le statut actuel de ces doctorants semblent être régi par le décret n°85-402 du 3 avril 1985, qui statue qu'afin "d'assurer la formation par la recherche des diplômés de l'enseignement supérieur au niveau du troisième cycle et de favoriser leur orientation tant vers les activités de recherche que vers d'autres activités de l'économie nationale, il est créé, dans la limite des crédits budgétaires ouverts chaque année dans la loi de finances, un contingent d'allocations de recherche pour la préparation du doctorat". Un décret qui a été abrogé le 23 avril 2009.

La Région muette face au problème

Tous les doctorants témoignent d'un manque de réponse de la Région concernant les différents dysfonctionnements de l'ARR. Il avait été décidé "conjointement par l’université et la Région, en 2017 que les allocations régionales seraient transformées en contrats doctoraux (…) Initialement prévu à la rentrée 2018, le passage aux contrats doctoraux est maintenant prévu en 2020". Mais cette date aurait été de nouveau repoussée à 2022 d'après les informations d'une doctorante.

A noter que tous les doctorants temporisent la situation, dans la mesure où cette forme de paiement favorise une augmentation du nombre de chercheurs, car les laboratoires où ces derniers sont employés n'ont pas à les payer. De plus, la Région alloue un réel budget à la recherche, dans un pays où ce statut n'est pas valorisée. Sur la période 2013-2018, il y a eu 133 thèses Région sur 257 thèses à l'école doctorale Sciences et technologies de La Réunion. Demeurent cependant un certains nombre de problèmes qui placent ces doctorants dans une situation plus que délicate.

Contactée, la Région n'a pas souhaité répondre à nos questions.

*Tous les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.

as / www.ipreunion.com / www.ipreunion.com

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