Racisme ordinaire

Télévision : une jeune femme grimée en noir pour préserver son anonymat...

  • Publié le 21 février 2020 à 10:39
  • Actualisé le 21 février 2020 à 11:01

Le "blackface" vous connaissez ? Cette technique qui consiste à grimer une personne en noir refait surface aujourd'hui et sur nos postes de télévision. Manifestement le fait que cette pratique soit de plus en plus dénoncée comme un fait évident de racisme n'a pas empêché la production de l'émission "Sept à huit" sur TF1 d'en faire usage pour les besoins d'une interview... Plutôt que flouter ou filmer de dos, c'est le choix de "déguiser" la jeune témoin en femme noire qui a été retenu... pour "protéger son identité". L'émission assume entièrement son choix. Un nouvel exemple de racisme ordinaire. (Photo : capture d'écran TF1)

Par où commencer ? C'est la question que l'on se pose tant les questions s'accumulent face à cette nouvelle absurdité.

Une décision éditoriale qui semble ne pas poser de problème

Imaginez… Vous assistez à une conférence de rédaction dans laquelle chacun se demande comment protéger l'identité d'une jeune femme qui accepte de témoigner à visage découvert. Le sujet est grave. Cette témoin, mineure, parle de son passé de prostituée et d'un viol qu'elle a subi.

Flouter ? Non, "Sept à huit" expliquera plus tard que cela n'est pas dans ses habitudes… Filmer de dos ? Non, c'est dommage quand la personne accepte d'apparaître à l'écran. Il ne faudrait pas gâcher le scoop. Prendre un angle de vue adapté dans ce cas, un bout de menton, modifier la voix ? … Tant de choix possibles.

Et voilà qu'une idée brillante jaillit autour de la table de réunion : "on va la maquiller en femme noire". Peut-être y aura-t-il eu quelques débats autour de cette table. L'histoire ne le dit pas. Toujours est-il que c'est bien la solution qui sera retenue.

C'est peut-être ce qui nous choque en premier lieu. Est-ce qu'un membre de la production aura osé levé la voix pour soumettre l'idée… eh bien que c'est une mauvaise idée ? A quel moment peut-on en effet se dire que cette solution est la meilleure possible ? La logique de la chose nous échappe. Mais c'est sans doute parce que nous ne possédons pas la science suffisante pour saisir toutes les subtilités d'une émission télévisée…

Le visage noir à nouveau perçu comme un déguisement

Afin de préserver son anonymat c'est donc grimée de noir et coiffée d'une perruque afro que la jeune femme apparaîtra à l'écran. Déguisée en femme noire, en somme. Le terme de "maquillage" sera même repris par Harry Roselmack, présentateur - pourtant noir - de l'émission.

"Nous ne sommes pas dans une démarche de stigmatisation" assure la célébrité dans une tribune transmise à l'AFP. Bien sûr que non, quelle idée. "C'est un maquillage destiné à préserver au mieux l'anonymat d'une personne mineure." Nous répétons : "préserver au mieux". Au mieux. Pas de meilleur choix possible bien entendu. "Nous ne sommes donc pas dans une démarche constitutive d'un blackface" se défend-il.

Manifestement excédé par la polémique, le présentateur ira même jusqu'à justifier cette décision par les précédents choix de la production, en l'occurrence "éclaircir une femme noire pour lui permettre de témoigner". Mais oui, l'inverse est déjà arrivé, alors pourquoi s'énerver ?

Quelle délicieuse idée de rappeler ce choix ô combien judicieux de "Sept à huit". Éclaircir les noirs, noircir les blancs : des solutions toutes trouvées et sur lesquelles personne dans cette émission ne semble être prêt à se remettre en cause.

La couleur change, pas les traits du visage

Car au-delà du racisme ordinaire que soulève une fois de plus la polémique, la question même du maquillage pose question. Les traits du visage de la jeune femme restent parfaitement identifiables et ils circulent d'autant plus que son visage fait maintenant la une des médias.

Harry Roselmack est triste, très triste. Il regrette que l'on s'attache à ce scandale plutôt qu'au fond de l'émission et au témoignage de la jeune femme qui raconte les horreurs qu'elle a vécues. Tiens, sur ce point nous ne pouvons qu'être d'accord.

Le sujet était grave, important. Cette jeune a fait preuve d'un immense courage en acceptant de témoigner dans une émission. Ce qu'il a été fait ensuite de ce témoignage est désolant et gâche en effet le fond... Et seule la production peut être blâmée pour ça.

La faute ne revient pas à ceux qui réagissent en masse devant un choix aussi révoltant. La faute ne revient pas à la communauté noire qui s'insurge, stigmatisée une fois de plus. La faute revient à cette émission, qui à aucun moment ne s'est questionnée sur l'impact d'un tel choix.

Un blackface opéré… par une personne noire

Harry Roselmack porte le coup de grâce dans sa tribune. "Le fait que la communauté noire puisse relever et répondre publiquement à ce qu'elle considère comme un manque de considération est une bonne chose. Mais sachons faire les bons choix pour mener les bons combats."

Vous l'aurez compris, ce combat-là est mauvais. Si si, vous vous trompez. C'est d'ailleurs une personne noire qui vous le dit, adoptant alors tristement les arguments traditionnels des racistes qui estiment ne pas l'être. Et enfonçant un peu plus le clou, laissant penser à ceux qui sont blessés qu'ils ont tort. La culpabilité renversée en un coup de baguette magique.

Sans la moindre excuse, sans la moindre remise en question. Un choix assumé jusqu'au bout malgré les dommages collatéraux. Rien ne semble pourtant convenir dans cette décision, du racisme qu'elle représente au manque total de protection de la jeune fille puisque cela ne cache en rien son visage en passant par l'argumentaire d'un présentateur de mauvaise foi.

Bref, un coup de plus porté au combat contre le racisme.

mm / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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5 Commentaires
Sapoties
Sapoties
3 ans

MAIS POURQUOI LES JOURNALISTES VEULENT ABSOLUMENT CRÉER DES MOUVEMENTS DE RÉVOLTE SOUS N'IMPORTE QUEL PRÉTEXTE??? CE N'EST PAS VOTRE BOULOT!!!C'est exactement le genre de "victimisation" dont personne n'a besoin. Il s'agit juste de cacher une personne pour qu'elle ne soit pas reconnue. On se fiche du choix du déguisement. Alors quoi, si elle avait porté une perruque blonde et des lentilles bleues, auriez-vous fait le même article en criant au racisme contre les suppremassistes blancs?

boris
boris
4 ans

Cet article est un exempe frappant que partant d'un bon sentiment (lutte contre le racisme), on utilise une image moderne (maquillage d'une femme pour cacher son anonymat en "noire") pour la transposer à une image dans un autre contexte historique (le théatre de l'époque de l'esclavage aux USA, années 1830-1840). Ce procédé est donc bien fallacieux. Il ne s'agit pas ici de racisme ordinaire mais bien d'un autre problème: celui de voir du racisme partout et tous le temps. Pour en voir et l'entendre, pas besoin d'aller très loin à La Réunion. Parlez donc plutÃ't de celui-là, le racisme quotidien et ordinaire que de celui bien putatif de la TV parisienne.

Nathdel
Nathdel
4 ans

La polémique tue la polémique... Si cela derangait la jeune fille ou si père d'être maquillée de la sorte, je pense qu'ils auraient ouvert leurs bouches ! Faut arrêter de chercher des poux dans la tête là où il n'y en a pas

Grenouille avisée
Grenouille avisée
4 ans

Attention ! Pour carnaval ne vous déguisez plus en zoulou, en amérindien, en japonaise ni en extra terrestre, pas plus qu'avec un gros nez, une bosse ou des verrues et de grandes oreilles car racisme et ville moquerie il y a...
Quant aux africaines qui se blanchissent chimiquement la peau, pour singer les leucodermes, elles volent leur couleur au caucasiens : de qui se moque t-on ?

Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
4 ans

Minable