Plus de 80 enquêtes pour de la haine en ligne ont été ouvertes

Attentat : le cadre légal de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux

  • Publié le 23 octobre 2020 à 11:16
  • Actualisé le 23 octobre 2020 à 11:26

Plusieurs dizaines d'enquêtes ont été ouvertes pour des faits de haine en ligne, à la suite de l'assassinat du professeur Samuel Paty, vendredi 16 octobre 2020, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). C'est également via les réseaux sociaux que l'assaillant a appris la connaissance du professeur et de son cours usant des caricatures de Charlie Hebdo. Sur les réseaux sociaux, la liberté d'expression est régulièrement mise en avant, alors que certains propos peuvent tomber sous le coup de la loi. Le point sur ce qu'il est possible de dire, ou non, sur internet.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé, dès ce lundi 19 octobre, que plus de 80 enquêtes avaient été ouvertes pour des faits de "haine en ligne" après la mort du professeur. "Jamais un gouvernement n’a mobilisé autant de moyens pour lutter contre l’islamisme des réseaux sociaux", a avancé Gérald Darmanin.

La liberté d’expression régulièrement mise en avant sur les réseaux sociaux est donc régie par la loi : il n’est pas possible d’écrire tout ce que l’on veut sur Facebook, Twitter ou Instagram. Le point sur ce qu’il est possible de dire, ou non, sur les réseaux sociaux, avec Maître Suliman Omarjee, avocatavocat et directeur du département du droit numérique.

Imaz Press : La liberté d'expression est-elle totale sur internet ?

Maître Suliman Omarjee : Le sujet de la liberté d’expression est toujours très délicat, les lignes évoluent en fonction des générations, du contexte, du temps. La liberté d’expression d’aujourd’hui n’est pas la même que celle des années 80.

Lorsqu’un seuil tolérable est dépassé, lorsqu’on excède certaines limites, la loi de 1881 définit un certains nombres d’infractions, des délits de presse qui s’appliquent aux journalistes comme à toute personne qui va s‘exprimer sur les réseaux sociaux.

Dans le cadre de l’affaire du malheureux professeur qui doit retenir toute l’indignation, il faut déterminer s’il y a eu une incitation à la violence ou pas. Une icitation à commettre un meurtre ou s’il y a eu des propos qui pouvaient constituer une provocation non suivie d’actes de violence. Dans ce cas-là, on sait qu’il y a eu un passage à l’acte. Toute la question aujourd’hui est de savoir si les personnes qui se sont faites l’écho du cours de ce pauvre professeur ont directement, ouvertement incité à des actions de violence à son égard. Ce n’est que comme ça que j’entrevois une éventuelle responsabilité.

Imaz Press : Que risque-t-on lorsqu'on diffuse un contenu sur les réseaux sociaux relevant de l’incitation à la haine ou de l’appel à la violence ?

Maître Suliman Omarjee : Lorsque vous incitez à une action de violence contre quelqu’un, cette action est punie par le code pénal. Vous pouvez être considéré comme complice et on va se rapporter à la peine de l’infraction réalisée. Par exemple, si vous incitez quelqu’un à commettre un viol, vous serez considéré comme complice et encourerez les mêmes peines. Si vous avez fait une incitation qui n’est pas suivie d’une réalisation effective, vous encourerez quand même une sanction.

Les références sont les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881. Mêmes si ces deux articles datent de 1881, la loi a été toilettée pour intégrer les cas où les provocations sont réalisées sur les réseaux de communication électronique et internet.

"Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal."

Imaz Press : Risque-t-on une condamnation lorsque l’on relaie des messages incitant à la haine ou à la violence, sans en être l’auteur soi-même ?

Maître Suliman Omarjee : Totalement. Si demain, je dis “on va dégommer telle personne”, c’est une provocation. Et toute personne qui repartagerait ce message pourrait être considéré comme complice, voire co-auteur de cette provocation, puisque ça veut dire qu’elle porte son soutien.

Ces situations, on les connaît depuis longtemps. Il y a ce coup de projecteur parce avec ce drame effroyable, mais on a eu plein de provocations pendant la période des Gilets jaunes, par exemple. On ne découvre pas la provocation avec cette affaire Samuel Paty.

Imaz Press : Peut-on être poursuivi si l’on envoie des contenus d’incitation à la haine ou la violence par messages privés ?

Maître Suliman Omarjee : Si l’on est dans la correspondance privée et qu’il y a des menaces en plus, les menaces pourront être prises en compte. La différence, c’est que le caractère public ne sera pas retenu. Le caractère expéditif pourra entrer l’infraction de cyber-harcèlement. Cela consiste à ne pas passer par la loi sur la presse, mais à sanctionner le comportement et les propos répétés, qui peuvent être isolés ou concertés, où on va avoir des propos intimidants, voire agressifs. Il y a des outils juridiques aujourd’hui qui permettent de répondre à ces situations.

Les réseaux sociaux, c’est comme la voiture, ça dépend du conducteur. Un feu rouge, vous être libre de le griller. Mais si vous le grillez, vous engagez votre responsabilité. Les réseaux sociaux sont des intermédiaires qui propulsent un message de manière exponentielle, mais ça ne change pas de ce qu’on a dans le monde réel. Si quelqu’un décide d’excéder la liberté d’expression, c’est comme si vous grillez un feu rouge.

La question autour des réseaux sociaux et des personnes qui auraient partagé des massages mettant en cause le professeur, c’est la nature de ces messages. Invitent-ils ouvertement à une action de violence contre le professeur. Si c’est le cas, la sanction doit être immédiate, cela coule de source.

S’il n’y a pas une incitation directe à commettre des actes de violence, alors la question de la responsabilité des auteurs reste ouverte. Si plusieurs personnes ont commis une action de meute pour s'acharner sur le professeur dans un laps de temps très court, ça peut s’apparenter à du cyber harcèlement.

Déterminer la responsabilité sur un simple partage nécessite de faire preuve de discernement et de prendre tous les éléments en compte. La tâche ds enquêteurs est très ardue puisqu’il va falloir prendre cet ensemble d’éléments sans se laisser emporter par l’émotion ambiante, qui est légitime.

Il faut vraiment prendre le temps d’analyser la nature des messages pour voir s’ils tombent sous le coup d’une des provocations de la loi de 1881, ou si elle tombe dans le périmètre de l’infraction de cyber harcèlement.

aa / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

guest
2 Commentaires
Vincent
Vincent
3 ans

Pffff! Interroger Monsieur Dupont Moretti IMAZ PRESS ce serait largement mieux!

Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
3 ans

Il a beaucoup d'agressions verbales sur les réseaux sociaux ;
Sur un sujet banal comme la préférence d'un joueur de tennis, ça dégénère très vite ...
pourquoi tant d'enervement, d'intolérance .... il n y a plus aucune maîtrise des propos.
Tout ceci fait monter la mayonnaise ; je n aime pas ça et donc j'évite de plus en plus d'ouvrir l'application .