
La demi-route est finie : il s'agit de la partie viaduc, qui n'a finalement de route que le nom à ce stade. Pourtant Didier Robert, sourire aux lèvres, est persuadé d'avoir respecté le calendrier : objectif fin 2021. Le pont est terminé, le raccordement pas encore. Celui-ci devrait être livré en décembre, "si tout se passe bien".
Mais qu'à cela ne tienne. Certes on ne peut pas encore rouler sur cette route mais regardez un peu cet ouvrage pharaonique. Rappelez-vous "la majestueuse barge Zourite", "l'impressionnante poutre de lancement rouge et blanche", la mise en place des 48 piles comme "un jeu de construction"… C'est en ces mots emprunts de nostalgie que le vice-président à la Région Dominique Fournel a présenté cette demi-route.
Une séquence émotion prolongée de prise de parole en prise de parole. Emotion quand on applaudit à plusieurs reprises les travailleurs qui ont œuvré sur le chantier. Emotion quand on dévoile la plaque du viaduc. Emotion quand on distribue des médailles.
- Inauguration sans mise en service et compte de campagne -
Une inauguration assez insolite puisqu'elle est censée marquer le début de quelque chose, une mise en service, un lancement. Dans le cas présent on inaugure une route... sur laquelle on ne peut pas rouler. Une route qui "ne mène nulle part" pour reprendre les termes employés il fut un temps par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire en personne.
Et pourtant pour cette inauguration - appelée "lancement officiel" volontairement pour ne pas brouiller les pistes - s'est faite en grande pompe : représentants politiques, spot photos, petits sacs cadeaux, diaporama vidéo, médailles et plaque officielle. Quand on sait que l'installation des barnums aurait coûté à elle seule environ 10.000 euros, on se doute que le budget total de cette "livraison officielle" monte à plusieurs dizaines de milliers d'euros.
Et ce, à quelques mois des régionales, qu'elles se déroulent en juin ou en septembre. Dans les six mois précédant une élection les lois exigent des candidats, élus sortants, l'observation de la plus grande sobriété dans leurs actes financés par des fonds publics. Les festivités et autres cérémonies ne sont bien sûr pas interdites dans cette période, mais il faut qu'elles bénéficient d'une antériorité (par exemple un festival ayant lieu tous les ans). Les cérémonies pour les inaugurations et livraisons sont elles aussi autorisées par les lois à (au moins) une condition majeure : à la mise en service de l'ouvrage... Nous en sommes loin puisque la demi-route ne servira à personne pendant encore de longs mois.
L'événement de ce mardi a été organisé par la Région et payé par la collectivité sur des fonds publics alors que Didier Robert, actuel président, a annoncé officiellement ce vendredi matin 26 mars qu'il était candidat à sa succession. L'avis de commission des comptes de campagnes à ce sujet sera sans doute intéressant. Cette instance est chargée de vérifier, après les élections, que de l'argent public n'a pas été utilisé à des fins personnelles pendant la campagne et que le plafond décrété pour chaque élection n'a pas été dépassé. Elle peut rejeter les comptes de campagne ce qui peut entraîner l'inégibilité du candidat fautif.
- Budget mystère -
Mais selon le président de Région tout cela n'a aucun lien avec les échéances électorales. Aucun retard titanesque, qui ne dépasse ce qu'on peut attendre d'un tel chantier. Aucun écart de budget extravagant non plus. Tout va bien madame la marquise. Ou plutôt monsieur le marquis.
Ce budget d'ailleurs a mystérieusement stagné depuis 2017. Alors qu'à cette époque on parlait déjà d'une NRL chiffrée à hauteur de 2 milliards d'euros (pour un budget initial de 1,6 milliard d'euros) , Didier Robert parle d'un budget total, digue comprise, de "moins de 2 milliards d'euros". Le président de la collectivité régionale chiffre le coût actuel de la route à 1,7 milliard et anticipe les futures dépenses nécessaires à la poursuite et la fin du chantier.
Interrogé plus tard sur le même sujet, Dominique Fournel se montre plus réaliste et indique que la NRL coûte pour l'instant plus d'1,9 milliard d'euros, auquel il faudra ajouter à peu près 200 millions. Soit près de 2,2 milliards. Un total qui reste encore en-dessous des estimations de nombreux spécialistes ou élus et qui, surtout, ne prend pas en compte la rallonge que devrait attribuer prochainement l'Etat. On sait d'ores et déjà que le gouvernement accorde 17 millions à la Région pour la partie raccordement. Interrogé à ce sujet par Imaz Press, Didier Robert indique que le reste, pour la digue, est encore en cours de discussion.
- La digue fait de l'ombre -
Si le viaduc était la star du jour, au milieu des shootings photos avec vue sur la falaise, ou du diaporama constitué de belles photos aériennes de la NRL, la digue ne s'est pas faite complètement oublier pour autant.
Interrogé par Imaz Press au sujet de l'approvisionnement en roches, Didier Robert s'est montré très confiant dans un premier temps. Ainsi le chantier de la digue est assuré en roches massives, grâce au "plan andain" permettant d'aller chercher les roches sur les terres agricoles de La Réunion plutôt que dans les carrières.
Le président de Région est formel : pas besoin des carrières. Carrières qui ont pourtant été ajoutées au schéma d'aménagement régional (SAR), carrières que l'Etat a pourtant tenté de faire passer en force bien que le Conseil d'Etat ait retoqué leur demande, carrières qui font pourtant l'objet d'un examen de l'Autorité environnementale en ce moment même… pour les besoins de la NRL. Mais non, il n'y aurait subitement plus besoin de ces carrières, bien que la Région et l'Etat fassent tout pour les ouvrir.
C'est un peu moins sûr de lui qu'il a pris le micro devant l'ensemble des visiteurs présents pour indiquer qu'il "espère" que le plan andain suffira pour terminer le chantier. Espérons, donc.
Au fond de la salle, les transporteurs qui eux l'attendent cette digue. Et qui attendent donc le nouveau marché correspondant à la portion MT52, visant à terminer le chantier. Si le raccordement n'est pas concerné car encore relié à l'ancien marché, la digue, elle, dépend de l'appel d'offres qui n'a toujours pas été lancé. Il devait l'être à la fin de l'année 2020 mais a pris du retard. Didier Robert garantit qu'il sera lancé "d'ici trois semaines". Pari tenu ? "Il y aura sûrement encore beaucoup de difficultés à lever, mais il y a aujourd'hui une parfaite maîtrise de la situation" a déclaré le président de Région.
Nous voilà rassuré.e.s.
mm/www.ipreunion.com / [email protected]
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