Un cas qui pourrait faire jurisprudence

Logement : après l'incendie de Montgaillard, l'usage massif du bois remis en question

  • Publié le 11 janvier 2022 à 07:40

L'incendie de Montgaillard, survenu dans la nuit du 12 au 13 décembre 2021, a secoué toute La Réunion. Rapidement, les flammes se sont propagées dans les couloirs de la résidence Marina, entraînant l'évacuation de 300 personnes par les pompiers. Cinq personnes ont perdu la vie dans ce drame, dont quatre enfants. Un cas qui pourrait faire jurisprudence selon certains spécialistes qui remettent en question les structures en bois de l'immeuble. Si les normes environnementales imposent désormais des matériaux plus écologiques, leur entretien doit bénéficier d'une vigilance de tout instant face au risque incendie. (Photo rb/www.ipreunion.com)

L'immeuble s'est enflammé en quelques heures. Déclaré à 1h du matin dans la nuit du dimanche 12 décembre au lundi 13 décembre 2021, le feu de la résidence La Marina à Montgaillard a été attisé par un vent fort, compliquant l'intervention des pompiers.

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Mais au-delà des complications météorologiques de cette nuit-là, les soldats du feu ont constaté une rapide propagation des flammes en partie liée selon eux à la structure même de l'immeuble : coursives, passerelles et escaliers de secours, tous étaient en bois.

Pour le colonel Frédéric Léguillier, directeur du Sdis de La Réunion (service départemental d'incendie et de secours), "il faudra tirer des enseignements de cet incendie". "Il y a eu de grands incendies en France, à chaque fois les réglementations ont été adaptées. Si d'autres éléments se sont accumulés, le bois est un facteur aggravant", estime-t-il.

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- "Un incendie qui fera jurisprudence" -

Construit en 2014 et constitué de 114 logements, l'immeuble géré par la SIDR répond aussi à des normes environnementales de plus en plus strictes. "Il y a certaines obligations dans le RTAA DOM (Réglementation thermique, acoustique et aération, ndlr) qui imposent aux constructeurs l'utilisation de matériaux non fossiles, donc le bois" nous explique un spécialiste du BTP. Le "recours aux énergies renouvelables" fait effectivement partie des exigences du RTAA.

Le programme d’action pour la qualité de la construction et la transition énergétique (PACTE), qui soutient 28 projets lauréats dans les Outre-mer pour améliorer la qualité de la construction, met d'ailleurs l'accent sur le "développement de filières locales". Ainsi le bois est partout dans les nouvelles constructions.

Une bonne nouvelle pour l'environnement, mais une norme qui divise davantage certains experts et pompiers qui craignent pour la survie de ces bâtiments en cas d'incendie. "Le cas de l'incendie de Montgaillard fera jurisprudence", estime notre spécialiste, qui espère voir disparaître les passerelles et escaliers en bois dans ce type d'immeubles abritant plusieurs centaines de personnes. "Utiliser le bois oui, mais il faut le faire intelligemment."

- "Ne faisons pas de faux procès" -

Pourtant le bois met bien plus de temps pour brûler que ce que l'on croit. C'est ce qu'affirme l'architecte Olivier Brabant à l'origine de plusieurs structures en bois sur l'île comme la médiathèque de Saint-Leu, l'amphithéâtre du Moufia ou encore l'aérogare bioclimatique de Roland-Garros. Ce fervent défenseur du bois appelle à "ne pas faire de faux procès" au bois. "C'est un matériau très dimensionnant, plutôt épais, il brûle certes, mais pas plus que tout le reste. D'autant plus s'il s'agit d'un incendie criminel, ce qui restera à prouver : quand vous voulez que quelque chose brûle, ça brûle. Le verre casse, ce n'est pas pour autant qu'on va arrêter d'en mettre aux fenêtres."

Indépendamment du matériau, le vent cette nuit-là a considérablement entravé l'intervention des sapeurs-pompiers. Le colonel Frédéric Léguillier est le premier à le reconnaître. Les voitures garées de façon "anarchique" selon ses termes au pied de l'immeuble ont également gêné l'arrivée des premiers soldats du feu.

"Le feu s'est déclaré sur la côte, l'été : les gens dorment les fenêtres ouvertes, ce qui attise les flammes. Dans la panique, ils quittent leur logement sans les refermer. Les terrasses sont pleines d'encombrants, des combustibles sont stockés, on a retrouvé des bouteilles de gaz…" liste-t-il. Autant d'éléments qui poussent en effet à ne pas incriminer le bois.

- Pas de contre-indication avec le climat réunionnais -

Si le vent n'aide pas les pompiers à éteindre les flammes, la chaleur tropicale, elle, n'aggrave en rien les incendies selon l'architecte Olivier Brabant. "Il n'y a pas à La Réunion ce qu'on appelle l'auto-combustion, soit des poussières qui s'enflamment, comme on peut le voir dans d'autres pays chauds."

Le bois serait justement un matériau bénéfique face aux fortes chaleurs. "Il est adapté partout, ce n'est pas pour rien que nos anciens avaient des cases en bois sous tôle. C'est un produit qui rejette le soleil et atténue la chaleur, contrairement aux façades en béton" explique notre spécialiste du BTP.

- Un contrôle insuffisant ? -

Alors le bois est-il à proscrire des nouvelles constructions ? Pas nécessairement à entendre les spécialistes, tout est une question de bon sens… et de contrôle. Si la mise au point de certains éléments pourrait effectivement être rediscutée – comme les passerelles ou escaliers de secours –, le matériau n'est pas incompatible avec le climat réunionnais.

Tout est une question d'entretien et de contrôle, selon Erick Fontaine, administrateur de la CNL (confédération nationale du logement), qui appelle cependant les architectes et les bailleurs sociaux à faire preuve de discernement. "Attention, sous couvert de développement durable et d'écologie, à ne pas accepter n'importe quoi." L'administrateur de la CNL a d'ailleurs en tête l'affaire de l'îlot Saint-Jacques à Saint-Denis, pour laquelle il s'était appliqué à démontrer que le bois n'était pas suffisamment solide. "On m'a dit, en gros : taisez-vous, vous n'êtes pas architecte. Deux ans plus tard, il a fallu tout refaire."

Là encore la CNL tout comme les pompiers veulent éviter une "nouvelle Marina". Si Erick Fontaine remet en question la compatibilité du bois avec le climat réunionnais - avec des poutres "rongées par le sel de mer" selon lui - il s'attaque surtout à la question du suivi de ces constructions."Il faut déjà s'assurer de la provenance du bois. Celui-ci doit répondre à des normes d'hygiène, et doit être entretenu régulèrement. Le cahier des charges doit être strict, les alarmes incendie vérifiées régulièrement, les installations sur les terrasses, ou encore la fonctionnalité des ascendeurs, etc."

Pour la résidence La Marina à Montgaillard, seule l'enquête permettra de définir quelle surveillance a été effectuée par le bailleur en charge, en l'occurrence la Société immobilière du département de La Réunion. Contactée sur cette question du suivi, la SIDR ne souhaite pas s'étendre en raison de l'enquête en cours, mais elle confirme "s'inscrire dans le cadre réglementaire en matière de sécurité et d'incendie".

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mm/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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3 Commentaires
Observateur, depuis son mobile
Observateur, depuis son mobile
2 ans

Et les termites qui ont déjà leur travail de destruction sur la résidence SIDR Malaca du Port...

Jose
Jose
2 ans

Et veiller aussi à l'encombrement des espaces communs, par des détritus, ou autre, ici en l'occurence un canapé qui aura mis le feu à tout l'immeuble. Si le feu prend là où se trouve les principaux accès, les gens se retrouvent piégés comme des rats. Plus jamais ça !

Assurancetourix
Assurancetourix
2 ans

Il faut faire attention à la mise en 'uvre du bardage bois en façades . Il y a une lame d'air bien souvent . S il n'y a pas de recoupement, il peut y avoir effet cheminée et le feu se' propage d étage en étage rapidement ...