
De longues heures, très longues heures, de discussions en préfecture, jusqu'à tard dans la nuit... Ces scènes déjà vécues à de multiples reprises pourraient-elles se reproduire ? A en croire les transporteurs, "prêts au combat", la fin du chantier de la NRL promet de nouvelles réunions ponctuées de tensions inévitables.
Ce mercredi en effet, la nouvelle présidente de Région Huguette Bello a avancé que l'option du "tout viaduc" pour terminer la NRL était "préconisée". Une position qui n'est pas nouvelle et qu'elle tenait déjà lorsque Didier Robert était à la tête de la collectivité régionale. Mais l'affirmer aussi clairement déstabilise les transporteurs. "On ne s'y attendait pas, on a eu une réunion le 2 décembre 2021 avec elle, mais il n'était pas question d'abandonner la digue, c'est incompréhensible pour nous" lâche Jean-Gaël Rivière, président de la FNTR (Fédération nationale des transporteurs routiers). Les transporteurs qui se disent prêts à se mettre en "grève illimitée".
Sur Antenne Réunion, le vice-président de la Région Patrick Lebreton a indiqué que "si les transporteurs demandent à être reçus à la Région, ils seront reçus. Mais faisons les choses dans l'ordre : le premier tronçon avant le second." Des solutions sont avancées, et les négociations se poursuivent avec l'Etat, a-t-il assuré. "A mon niveau je dis : il faut une solution viable financièrement. Si demain on trouve une autre solution pour La Possession - la Grande chaloupe qui soit le viaduc, il faut qu'elle réponde au critère prix, au critère matériau, et au critère houle, qui atteint moins vite le viaduc que la route actuelle."
Le projet pourrait coûter environ 560 millions d'euros, a-t-il confirmé. Mais rien n'est encore décidé. "Toutes les solutions sont sur la table. Nous voulons avant tout faire des choses que nous pouvons payer. La décision n'est pas prise" a-t-il ajouté sur le plateau d'Antenne Réunion.
- L'éternelle question des roches -
Interrogée par Imaz Press, la Région rappelle aussi le "problème de fond" que constitue la pénurie de matières premières, en l'occurrence les roches massives. "L'erreur est humaine mais persévérer est diabolique" nous dit-on, en ce sens que "décider de continuer coûte que coûte une route en digue aurait des répercussions graves sur la poursuite même des travaux de la NRL". Des répercussions possibles également "sur d'autres chantiers ou d'autres opérations".
L'argument ne passe pas pour les transporteurs. "Dire qu'il n'y a pas de roches à La Réunion, c'est une excuse qui ne tient plus pour nous. Des andains il y en a" affirme Didier Hoareau, président de l'OTI (Organisation des transporteurs indépendants).
Un avis partagé par son collègue du SRTT (Syndicat réunionnais des transporteurs et terrassiers), Hubert Poinapin. "Les roches, ça fait un moment qu'on en parle : l'ancien président (de Région, ndlr) avait dit qu'on finirait la route avec. On a investi dans des véhicules spécifiques. Si on finit en tout viaduc, on n'aura rien nous" déplore celui qui redoute des licenciements dans ses rangs. Lui ne se prononce pas à ce stade sur la possibilité de se mettre en grève mais ne cache pas son désarroi si l'option du viaduc est retenue.
Pour Didier Hoareau, la question des roches doit se poser plus largement, au-delà de la NRL. "Cette nouvelle majorité se dit opposée à la carrière de Bois blanc : ça on peut le comprendre mais quoi qu'il se passe, il faut une carrière parce qu'on va devoir finir par importer du gravier et du sable. Il faut qu'on puisse relancer le BTP, qu'on ait des matériaux pour construire."
Selon Jean-Gaël Rivière, seul le projet de carrière de la Ravine du trou permettrait de finir la digue de la manière la plus rapide et la moins coûteuse. "Il faut qu'on arrête de payer les règlements de compte entre politiciens" estime-t-il. "Une carrière, c'est un poumon en termes d'agrégats, pas seulement pour la NRL mais pour l'avenir de La Réunion. Aujourd'hui une tonne coûte 23,46 euros contre 11,23 euros il y a dix ans. On n'a plus de carrière à part Sainte-Anne. Un jour la tonne va finir à 30 euros là-bas !"
Pour le président de la FNTR, le potentiel abandon de la digue serait un coup dur. "Il faut être honnête, ce chantier serait une bonne bouffée d'oxygène pour les transporteurs mais pas seulement : pour les travailleurs réunionnais en général. On trouverait ça dommage de ne pas pouvoir profiter d'un chantier d'une telle ampleur." Lui aussi appelle à finir la route dans son intégralité au plus vite. "C'est inadmissible en 2022 d'être en alerte rouge et de voir que la veine principale qui alimente toute la côte ouest soit arrêtée totalement !" Durant le passage du cyclone Batsirai, la Route du littoral a été fermée durant quatre jours.
- Du retard supplémentaire ? -
Alors que la nouvelle majorité régionale avait déjà prévenu qu'une fin de chantier ne serait sans doute pas envisageable avant 2027-2028, les transporteurs redoutent un retard supplémentaire. "Ce sera loin d'être plus rapide : il faudra refaire des études, puis reconstruire une méga-barge puisque la Zourite n'est plus là. Ça ne va pas se débloquer comme ça" fustige Didier Hoareau. "Nous on ne va pas attendre deux-trois ans de plus qu'ils fassent leurs études. Les entreprises vont mettre la clé sous la porte à ce rythme-là" s'indigne-t-il. "On demande simplement à ce que les paroles des politiques soient tenues, on demande ce qui était prévu et budgétisé, financé par l'Europe, l'Etat et Région : une partie viaduc et une partie digue."
Les transporteurs s'attendent aussi à un chantier plus onéreux que la solution digue, bien qu'il soit pour l'instant présenté comme plus économe. "Pour relancer un viaduc ça va coûter plus cher : il va falloir en effet racheter des bateaux et réinstaller des tabliers de ponts" appuie Jean-Gaël Rivière.
Un courrier va être envoyé par les transporteurs à la préfecture et la Région pour demander une nouvelle table ronde. L'hypothèse d'une grève dépendra des discussions engagées. "La Région demande encore à l'Etat de faire un geste, et on sait que c'est nous qui allons être pris en otage. Ça fait six ans déjà, on ne sait que s'endetter" ajoute Didier Hoareau. Depuis le début de l'année 2022, les transporteurs ne travaillent plus du tout sur le chantier.
- Ne pas ouvrir la route "au mépris des exigences de sécurité" -
Au-delà des problèmes de roches et de l'inclusion des transporteurs dans le projet final de la NRL, se pose la question de la sécurité notamment après le passage du cyclone Batsirai. Les élus régionaux ont discuté des fissures apparues sur quatre piles du viaduc, suite à une information parue dans le JIR ce mercredi. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il est question de piles défaillantes. En août 2019, Imaz Press avait appris que sept piles de la NRL, sur les 48 mises en place, avaient nécessité des réparations.
L'élu cilaosien Jacques Técher a appuyé la demande d'expertise réclamée par Huguette Bello sur le sujet, "pour que tout doute soit levé sur l'ouverutre du viaduc". Dès la veille, la présidente de Région avait évoqué par voie de communiqué l'importance de ne pas ouvrir cette portion de route "à n'importe quel prix et de céder à l'empressement (...) au mépris des exigences de sécurité". Elle répondait notamment au conseiller régional de l'opposition Jean-Jacques Morel qui presse la Région d'ouvrir au plus vite le viaduc.
La première portion de la NRL pourrait ouvrir durant le deuxième semestre de l'année 2022, a rappelé Huguette Bello. Inauguré en grande pompe en mars 2021 par Didier Robert, à cette époque candidat à sa propre succession à la Région, le viaduc reste toujours fermé et donc impraticable par les automobilistes.
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