Eviter de nouveaux drames

Protection de l'enfance : "on ne veut pas une nouvelle affaire Elianna"

  • Publié le 11 mai 2021 à 06:20
  • Actualisé le 11 mai 2021 à 11:51

Le procès du meurtre de la petite Elianna, jugé aux assises il y a quelques jours, a mis en exergue des faits qualifiés de " failles en matière de protection de l'enfance". Les services sociaux du Département estiment faire le nécessaire pour protéger les enfants dans le respect du cadre légal. Des associations pointent "une lenteur administrative" et " manque de communication dangereux" (Photo rb/www.ipreunion.com)

Cinq, c'est le nombre de signalements qui auraient été effectués pour la petite Elianna, deux ans, morte en 2018 après avoir été frappée. Le ti père, Cédric Babas, a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle, et la mère été acquittée. L'enfant est décédée des suites de coups de violents, les médecins légistes ayant révélé qu'elle avait eu le foie perforé, mais aussi des côtes cassées et de nombreuses ecchymoses.

Un drame que ne veulent plus vivre les associations du collectif Elianna. "Le premier signalement a été effectué quand elle avait trois mois. Si elle avait été placée plus tôt, on aurait pu éviter ce drame", déplore Jessy Yongpeng, présidente du collectif et membre de l'association EPA (Ecoute-moi, protège-moi aide-moi).

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Chaque année ce sont environ 4.500 informations préoccupantes qui sont remontées, 4.565 en 2020 précisément. L'an dernier, près de la moitié concernaient des enfants en situation directe de danger : 23% des signalements concernaient des violences physiques et 30% des violences sexuelles, après évaluation. 13,7% des signalements effectués concernent les enfants de moins de 2 ans, selon les données du Département.

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- Lenteur administrative -

"Des signalements il y en a tous les jours, mais ça prend énormément de temps. Il faut vraiment mettre l'accent dessus, accélérer les procédures" estime Jessy Yongpeng.

Egalement membre du collectif, Cynthia Cohen, de Solidarité créole 974, pointe "de nombreux dysfonctionnements au sein des services sociaux" : "le problème, c'est qu'ils disent que tout roule alors que les services sont beaucoup trop cloisonnés, ils ne communiquent pas entre eux. Le temps que Sainte-Marie envoie un dossier à Saint-Pierre, ça peut prendre trois mois". Des problèmes qui ressortent particulièrement en cas d'absences selon elle. "Si une assistante gère un dossier et part en congés, soit elle n'est pas remplacée, soit le dossier est perdu, soit il est donné à quelqu'un d'autre complètement déconnecté de l'affaire."

Le Conseil départemental dément tout problème de communication. "Il y a des étapes définies, mais le réseau fonctionne bien. Suite à un signalement, une information est rédigée par la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) et analysée dans la journée. Elle est ensuite envoyée aux maisons départementales. Selon l'urgence de la situation, le dossier peut être traité dans l'immédiat ou dans les trois mois. Pour les enfants de moins de 2 ans, la loi nous demande de réduire nos délais" explique Clarisse Calteau, à la direction de l'enfance et des familles au Conseil départemental.

Dans le détail, la CRIP comprend une équipe technique pluridisciplinaire (coordonnateur technique, 3 référents socio-éducatifs, et une psychologue à mi-temps) et une équipe administrative (deux secrétaires et quatre rédacteurs), indique le Département. Un médecin référent de la Protection de l’enfance apporte également son concours.

Si les services sociaux estiment nécessaire de transférer l'affaire au procureur, le dossier est transmis au parquet rapidement. Suit en général une ordonnance de placement provisoire (OPP) de l'enfant, pour assurer sa sécurité. "Il peut arriver qu'on contacte le parquet directement plutôt que la CRIP en cas d'urgence" affirme Clarisse Calteau. Dans les faits, le parcours est plus complexe, assure Jessy Yongpeng. "Il m'est déjà arrivé que le Département me dise d'alerter le parquet de permanence, et que le parquet, lui, me réponde de passer par la CRIP. Nous on dit qu'un enfant est en danger, il faut agir tout de suite !"

Désormais, la présidente du collectif Elianna fait automatiquement un double envoi, pour être certaine que ses signalements seront lus par tout le monde. "Récemment, j'ai eu l'affaire d'une petite fille qui a menacé de se suicider, j'ai envoyé ça au parquet comme à la CRIP, mais il a fallu attendre plusieurs heures pour avoir un retour. Alors qu'on parle de suicide !"

- L'urgence parfois mal cernée -

Pour les associations, ces retards d'intervention impactent une deuxième fois l'enfant, déjà victime de négligence ou de maltraitance. "Dans certaines situations, les parents ont des conseils contradictoires. Récemment on a eu affaire à une maman qui soupçonnait le père de maltraiter leur enfant, en garde alternée. Elle a porté plainte, une enquête est en cours. Mais d'un côté le juge des affaires familiales lui conseille de ne plus laisser l'enfant avec le père, de l'autre les gendarmes lui disent que le père a quand même un droit de garde, et l'école, elle, lui dit qu'ils ne savent pas s'ils doivent laisser le père venir chercher l'enfant au portail. Des tonnes de discours différents !" s'agace Jessy Yongpeng. "Nous on les a au téléphone ces mamans-là. Et on leur dit : vous gardez votre enfant, vous le protégez, vous ne le laissez plus avec le père".

Des situations extrêmement tendues, pour lesquelles les assistant.e.s ne sont pas toujours suffisamment armé.e.s. "Il y en a évidemment qui font très bien leur travail, mais d'autres qui ne vont pas chercher au-delà. Quand on parle de soupçons de maltraitance sur un enfant, il faut s'ouvrir, s'investir, aller questionner les voisins, se renseigner… La maltraitance, c'est tout un système, pas juste interroger la mère ou le père" ajoute la présidente du collectif Elianna. Cynthia Cohen, elle, estime qu'il y a un manque de formation "partout, au niveau de tous les professionnels... il faut que la parole de l'enfant soit mieux écoutée."

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Pour elle, une urgence : arrêter de prendre des rendez-vous. "On ne verra jamais la réalité de la famille si on prévient. Les interventions spontanées, il faut que ça devienne régulier. Quand vous voyez le jour du rendez-vous l'enfant tout prêt, lavé, coiffé, avec des vêtements neufs, le frigo bien rempli… ça veut dire qu'il est toujours bien traité ?" Pour Clarisse Calteau, du Département, impossible cependant de ne pas prévenir. "On n'intervient pas comme ça dans le milieu familial. On informe toujours les parents."

- Un passage à la majorité compliquée -

Lorsqu'un enfant est placé jusqu'à sa majorité, le passage dans la vie adulte change du tout au tout. Pour Cynthia Cohen, le risque d'abandon est grand. "J'ai rencontré un jeune garçon de 18 ans concerné il y a peu. Heureusement les parents ont repris leur rôle, et il a fini par renouer avec sa mère. Mais sans elle, il aurait sans doute fini à la rue", raconte-t-elle.

Le jeune homme en question a subi "une violence extrême avec son père" enfant, raconte Cynthia Cohen, et la mère "n'arrivait plus à gérer". Des situations qui justifient évidemment un placement en foyer, mais qui ne sont pas suffisamment suivies par le Département, selon elle. "Ils ne sont clairement pas au courant de ce qui se passe à l'intérieur…" Et à la fin, c'est le saut dans l'inconnu. "Il n'y aucune préparation pour le passage aux 18 ans. Quand on parle avec d'anciens placés, on le voit : pendant des années, on coupe les liens avec la famille. A 18 ans, ils se retrouvent où à votre avis ? Dans le chemin."

Pour Clarisse Calteau au Conseil départemental, l'accompagnement continue, même après le passage à la majorité. "C'est un vrai souci en Métropole, mais pas à La Réunion. Ici il y a des dispositifs, des aides financières pour les jeunes adultes qui ne sont pas autonomes, notamment pour les aider à trouver un logement, jusqu'à 533,58 euros" assure-t-elle. Une aide à l'installation unique de 900 euros est aussi proposée. L'accueil peut être prolongé comme pour un mineur en cas de besoin, et il est possibe de faire appel à un.e assistant.e familial.e.

Passés les 21 ans, "la stratégie pauvreté nous permet d'apporter une aide financière pour la poursuite des études, et des allocations de 240 euros par mois pour le logement" joute la directrice du service enfance et familles. Des aides matérielles précieuses, mais qui dépendent "du projet" du jeune, ajoute le Département. Le soutien moral et le suivi thérapeutique, eux, sont insuffisants selon les associations.

- Une vigilance nécessaire dans le milieu scolaire -

Dans le milieu scolaire, certains signes ne trompent pas et doivent être mieux analysés, pour ces associations. Mais la tâche est ardue. Professeure en zone prioritaire dans le collège Paul Hermann à Saint-Pierre, Corinne Peyre le rappelle : "les enseignants ne sont pas médecins". Celle qui est également secrétaire académique de la SNES FSU remarque que repérer ces enfants en souffrance dépend énormément des équipes pédagogiques.

Les professeurs sont souvent les interlocuteurs les plus directs pour les élèves. "Ils nous passent des messages dans ce qu'ils écrivent vous savez. En cas de doutes, on peut faire remonter les informations à la vie scolaire, aux CPE, aux assistants et aux infirmiers du collège. Mais les moyens humains sont insuffisants", déplore-t-elle. Avec souvent un.e seul.e infirmier.e ou un.e seul.e psy par établissement, difficile de répondre aux besoins de tous les élèves.

Pour le Conseil départemental, le lien avec le rectorat est essentiel pour suivre ces enfants qui ont besoin d'assistance. Une relation réciproque : "c'est un partenariat nécessaire, le Département a beaucoup de travail mais n'est pas sur le terrain contrairement à nous" indique François Penent, conseillère technique de la rectrice en charge des services sociaux. "En début d'année, il y a toujours une réunion dans les établissements scolaires où chacun dit ce qu'il sait faire. Ce qu'on dit aux enseignants c'est de ne pas rester seul avec des doutes ou même des révélations. Il faut savoir s'adresser à la bonne personne."

Les établissements de La Réunion comptent environ 80 assistant.e.s, qui gèrent chacun.e deux établissements. "Les situations sont d'abord traitées dans l'établissement et ne sont pas toujours signalées au Département ou au parquet. Sur 20.000 situations, 10% demandent un entretien avec les services sociaux" indique Françoise Penent.

Dans le cas d'élèves déjà suivis, il faut parfois entreprendre de longues conversations avec les familles, pour leur expliquer notamment pourquoi l'enfant ne peut pas repartir avec tel ou tel parent quand une enquête est en cours.

C'est pourquoi le rôle de l'Education nationale est crucial, et pousse les associations à vouloir inclure le rectorat dans les prochaines discussions qu'elles envisagent. "On demande à mettre en place une vraie table ronde, qui rassemble tous les partenaires : Département, rectorat, associations. Il faut qu'on travaille tous ensemble" estime Cynthia Cohen.

Objectif : que tous les dysfonctionnements pointés du doigts et les problèmes de terrain soient remontés. "On est là pour changer les choses, pour que les enfants soient sauvés, et que l'on n'ait pas demain une deuxième affaire Elianna."

mm/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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1 Commentaires
Pouf
Pouf
2 ans

Comment zot i veut que les dossiers le suivis, la plupart des travailleurs sociaux du département en arrêt psy. Normal avec les remplacements si nana bien sur.