Tribune libre de Pierre Vergès

Après les noces, la vie quotidienne

  • Publié le 3 juin 2013 à 14:18

Il pleut actuellement en métropole autant de cordes que de demandeurs d'emplois suspendus à un hypothétique espoir de trouver, ou de retrouver, un job. C'est le triste et récurrent constat que nous faisons depuis plusieurs mois lors de la publication des chiffres du chômage.

Populations les plus touchées par ce fléau : les jeunes et les séniors. Les jeunes, pourtant formés et diplômés, ne parviennent pas à trouver un emploi. Les séniors, formés, diplômés parfois, et forts d'une expérience, ne parviennent pas plus à retrouver un emploi.

La cause ? Selon les spécialistes, la croissance qui ne parvient pas à décoller. Car, toujours selon ces derniers, seule la croissance peut faire reculer le chômage.

Mais au fait, c’est quoi la croissance ? C’est l’augmentation de la production de biens et services et d’échanges dans une économie. Le système s’appuie sur la technologie, sur la valeur du travail, l’esprit de concurrence, le devoir de compétitivité.

Malheureusement, ce dogme de la concurrence fait aujourd’hui que le système est surtout le plus efficace pour créer de l’inégalité entre les plus riches et les plus pauvres.

Mais peu importe, puisque grâce à la croissance, il restera quand même quelques miettes aux pauvres. C’est le triste raisonnement de ceux qui nous gouvernent.

En France, depuis un an, on a occupé les esprits avec le mariage pour tous.  Aujourd'hui, les noces sont à peines terminées que voilà la réalité refait surface, et nous nous réveillons avec la gueule de bois.

Et cette fois, ce ne sont certainement pas les conditions météorologiques qui pourront épargner le gouvernement. Bruxelles a déjà donné le ton en " exigeant " de la France que son gouvernement mette en œuvre ses grandes réformes structurelles, à commencer par celle des retraites.

Sur ce point, le gouvernement de Jean Marc Ayrault serait plus favorable à un allongement de la durée de cotisations pour, dit-on, ne pas toucher à l’âge de départ à la retraite. Sur le papier, car il est évident que si on augmente la durée de cotisation, mathématiquement on repousse l’âge de la retraite.

En effet, personne ne voudra aller à la retraite à 60 ans s’il ne totalise pas 43 ou 44 ans de cotisations, sous peine d’un important malus ! J’avoue qu’il y a de cela quelques temps, comme beaucoup de personnes, je voyais le recul de l’âge et de durée de cotisations comme les seuls leviers possibles pour réguler le problème des retraites.

Mais, que peut-on constater depuis les réformes de ces dernières années ?

1°- Plus on repousse l’âge de départ, plus les séniors occupent des postes qui pourraient être libérés et proposés à des jeunes.

2°- Pour réduire leurs charges, les entreprises licencient de plus en plus les séniors.

Résultat des courses : les plus touchés par le chômage sont les jeunes et les séniors. On continue donc à toujours tourner en rond. Puisque  le problème des retraites provient de son financement, pourquoi ne pas trouver d’autres modes de financement, en taxant davantage les spéculations financières et immobilières.

Et puis, ne faudrait-il pas revoir une bonne fois pour toutes les différents régimes de retraites ? Est-ce toujours acceptable ou supportable d’avoir une multitude de régimes de retraites qui créent des frustrations et de sentiments d’injustices dans une crise de plus en plus douloureuse pour une grande majorité de la population ?

Pourquoi, dans une république "égalitaire", certains peuvent continuer à partir à la retraite dés 50 ou 55 ans, alors que d’autres doivent suer 10 à 15 ans de plus ? Pourquoi les premiers cités auront droit à une rente calculée sur les 6 derniers mois de la carrière, et les autres une rente calculée sur les 25 années de carrière qui leur fera un montant de retraite égale à 47% de son dernier salaire ?

Telles sont les questions que devra se poser, du moins je le souhaite, le gouvernement dans sa démarche de réforme, et que nos parlementaires réunionnais devront exposer, en tenant compte de la situation particulière de notre île, lors des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Justement, à la Réunion, les derniers chiffres du nombre de demandeurs d'emploi confirment que les hausses se succèdent mois après mois et attestent de notre impuissance à réagir.

Au point qu’un sentiment d’indifférence, ou du moins de fatalisme, commence à s’installer. Les philosophes diront que cet état d’esprit s’explique par l’absence de véritable projet, de rêve "accessible".

Ce rêve qui a toujours fait avancer les sociétés. Nos anciens ont bien rêvé de liberté avant de lutter pour l’obtenir en 1848, nos anciens ont bien rêvé d’une société réunionnaise plus fraternelle et égalitaire. Nos anciens ont bien rêvé d’une industrialisation de la filière cannière au point de faire partie de l’élite mondiale. Nos  anciens ont bien rêvé de communiquer en temps réel avec la France continentale, notre mère patrie, et aujourd’hui nous voyageons à plus facilement, nous avons des relations directes avec nos proches. Nos anciens ont bien rêvé de partager l’eau de l’Est avec la région de l’Ouest, nos anciens ont bien rêvé de rapprocher le Nord et le Sud en bâtissant la Routes des Tamarins.

Mais de quoi rêvons-nous aujourd’hui ? Cette question d'importance, je l’ai posée à un jeune de 19 ans. Il m’a répondu calmement : "du dernier Smartphone". C’est triste ! Mais peut-on lui en vouloir ? Car ce sont nous, décideurs, élus et responsables locaux, au nom des citoyens que nous représentons, qui avons la responsabilité première de faire rêver d’un monde ou d’une société meilleure. Noyés dans le populisme pour certains, ou pour d'autres le nez sur le guidon pour conduire une politique "au jour le jour", qui fait rêver aujourd’hui?

L’absence de rêve s’explique par l’absence de projet pour la Réunion. Un projet bâti sur les piliers de la dignité, de la solidarité et de l’excellence avec comme seule et unique priorité: l’emploi. Car je reste persuadé que lorsqu’on accompagne quelqu’un à trouver un emploi, c’est la reconnaissance et la considération qu'on lui procure, c'est une grande partie du bonheur qu’on lui offre.

Pierre Vergès

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