Tribune libre

La communauté chiite dawoodi bohra pleure son 52ème Dâ'î

  • Publié le 28 janvier 2014 à 14:00

Les Bohras du monde entier et de La Réunion sont en deuil. En ce 17 janvier 2014, la nouvelle est tombée : Sa Sainteté Syedna M. Burhanuddin (TUS) venait de s'éteindre suite à un arrêt cardiaque dans la ville de Bombay où il résidait. Partout les membres de la communauté chiite Dawoodi Bohra, qui compte plus d'un million de personnes installées en Inde et dans trente-cinq pays sur les cinq continents, se sont rassemblés dans leurs mosquées pour partager leur chagrin et prier ensemble. La personnalité qui vient de disparaître, à 102 ans (selon le calendrier islamique) a été leur Guide suprême (Dâ'î al-mutlaq), celui qui régit leur vie spirituelle et temporelle, de 1965 à sa mort. Le 4 juin 2011, au cours d'un voyage à Londres, sa Sainteté avait désigné son second fils Syedi Aali Qadr Muffadal Bhaisaheb Saïfuddin, né le 20 août 1946, comme son successeur et 53ème Dâ'î.

Le Dr Mohammed Burhanuddin, né en 1915 à Surat (Gujarat), était une personnalité hors du commun, un homme d’une grande érudition qui, depuis la mort de son père Sayedna Taher Saïfuddin en 1965, s’est employé à revivifier la communauté dont celui-ci lui avait confié la charge. Voyageur infatigable, il a parcouru la planète, en particulier les Etats-Unis (où il a été reçu par le Secrétaire général des Nations-Unies), à la rencontre de ses fidèles, déclenchant partout la même ferveur et le même afflux de dons. Il a rencontré de nombreux chefs d’Etat et participé au développement des pays qu’il visitait. Partout, il a initié et soutenu des œuvres caritatives et des projets de grande envergure à l’image du Saïfee Hospital de Bombay qu’il a inauguré en 2005. Le mausolée qu’il a fait ériger à la mémoire de son père, le Raudhat Tahera à Bombay, symbole grandiose de l’architecture fatimide, a été construit dans le même marbre blanc que le Taj Mahal. C’est le seul monument au monde dont les murs intérieurs sont ornés de la totalité des sourates coraniques, inscrites en lettres d’or enrichies de pierres précieuses. Le 18 janvier, une marée humaine d’hommes en blanc et de femmes en ridas multicolores ont accompagné sa Sainteté jusqu’à cette dernière demeure où les honneurs militaires lui ont été rendus. C’est là qu’il repose désormais, aux côtés de son père.

Très engagé en faveur de la reconnaissance des racines fatimides de la communauté bohra, Syedna  s’est impliqué dans  la rénovation de plusieurs mosquées fatimides du Caire, en particulier celle de la mosquée Al-Hakim (Al-Anvar).

Depuis sa prise en main de la communauté bohra, Sa Sainteté a porté une attention particulière à l’enseignement. On peut mettre à son actif quelque 400 écoles et universités à travers le monde. Il était particulièrement fier de l’Université Jamiyya al-Sayfiyya, créée par son père à Surat dans laquelle un enseignement général est dispensé en anglais à plus de 800 étudiants, garçons et filles et de l’annexe de cette institution qu’il a créée en 1983 à Karachi et dont les diplômes sont reconnus par les universités d’ Oxford (GB), de Houston (Texas), de Karachi (Pakistan) et d’Al-Azhar au Caire. Une nouvelle annexe s’est ouverte en 2012 à Nairobi (Kénya) et une autre, en 2013 à Marol-Mumbaï.

Venu à trois reprises à La Réunion, Syedna, que ses fidèles appelaient respectueusement Maula, décide en 1990, lors de son premier voyage, la construction d’une mosquée dont la conception est confiée à un architecte local. En 1992, il  vient en poser la première pierre sur un terrain de la communauté, dans le quartier de Duparc, à Sainte-Marie. Le 19 février 1999, le Dâ’î sera accueilli à La Réunion qu’il honorera de sa présence pendant deux semaines pour  l’inauguration (iftetah) de la Mosquée Saïfee. Celle-ci sera le prétexte à de grandioses cérémonies. Les Bohras de La Réunion qui représentent environ un millier de personnes, membres de 310 familles, sont fiers d’avoir édifié la  première mosquée de style fatimide de France, reprenant ainsi à leur compte l’héritage fatimide dont leur Guide a voulu faire une référence identitaire majeure de la communauté. A chacun de ses voyages, Syedna Burhanuddin remettait  aux autorités civiles un chèque de solidarité destiné à une Fondation locale.

Son engagement en faveur de nobles causes lui a valu d’être décoré de l’Ordre de l’Etoile de Jordanie, d’être élevé au grade de Docteur honoris causa en Etudes islamiques au sein de la prestigieuse université Al-Azhar du Caire et de recevoir le titre de Docteur en Théologie à l’université musulmane indienne d’Aligarh dont il avait été fait président en 1999.

Son message, maintes fois délivré à travers le monde aux membres de la communauté dont il avait la charge, témoignait de sa volonté de voir l’esprit d’harmonie et de paix les animer. Il les enjoignait de rester fidèles à leurs propres valeurs, à leur culture, mais de respecter les traditions, la foi et les valeurs d’autrui. Il leur fallait promouvoir la paix et participer à l’épanouissement social, culturel et économique de leur pays d’accueil. Enfin, il insistait sur le fait qu’ils devaient être des citoyens loyaux, respectueux de la société qui les avait accueillis.

Marie-France Mourrégot

Docteur en anthropologie sociale et historique

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