Tribule libre de Patrick Hoarau

"La parole des pierres pour écrire l'histoire"

  • Publié le 4 juin 2016 à 15:42

Contrairement à ce que certains veulent faire croire, ce ne sont pas les "bonnes idées" qui naissent de la pierre, mais l'âme et le patrimoine d'un territoire. Les détruire, c'est faire disparaître une partie de soi. Je m'appelle "Ti roche", et je pèse lourdement près de huit tonnes. J'ai vu le jour il y a quelque cent mille ans, lorsque les deux massifs "ancien" et "nouveau" se sont séparés par une trouée formée de La Plaine des Palmistes et de La Plaine des Cafres. (Photo d'illustration)

J’ai vu le Piton des Neiges s’endormir après de violentes éruptions, il y a plus de vingt deux mille ans. Plus tard, j’ai assisté à l’apparition des premiers arbres endémiques puis l’arrivée des animaux sur l’île. Longtemps isolés, faune et flore constituaient alors un véritable paradis sur terre. Seuls les passages réguliers de cyclones ou des éruptions dans le grand Sud venaient perturber notre paisible vie. Je me souviens d’ailleurs qu’un de mes cousins, aussi énorme que moi avait un jour été entraîné par des eaux boueuses vers le littoral. Je ne l’ai plus revu depuis ce jour.

Il n’y a pas si longtemps, j’ai vu les premiers humains fouler le sol de notre île, en prendre possession pour finalement la baptiser Ile de La Réunion. Les animaux et les arbres ont commencé alors à être abattus pour construire une nouvelle communauté insulaire. Beaucoup de roches comme moi ont été récupérées, puis brisées, et broyées avant d’être utilisées à la construction de routes, de radiers, de canalisations, des usines, des maisons… On peut certes être costauds et durs, mais nous les roches nous avons toujours été impuissants face aux humains. Nous n’avons pas la parole, mais une âme de témoins de notre île si précieuse.

J’ai assisté à des révoltes entre les esclaves et les propriétaires. Moi même et mon ami voisin " Roche Bleu " nous avons servis d’abris à des esclaves marrons. Nous avons été témoins de leur souffrance, puis celle des paysans qui suaient pour construire des champs. Nous avons vu les premières machines, les premières automobiles, les premiers tracteurs et engins de chantier, un train à vapeur … qui lui aussi a rapidement disparu.

Ainsi passait la vie, entre la terre et le ciel. Depuis plusieurs mois, nombreux sont mes semblables à disparaître sous les coups mortels d’impressionnantes pelles mécaniques. Mon fidèle ami Roche Bleu a toujours été inquiet depuis que nous avons commencé à voir nos amis les Paille en queue qui nichaient juste au dessus de nous fuir ces lieux, les lendormis qui venaient bronzer sur nos têtes, tandis que les becs roses et les sereins péi n’ont pas eu le temps de nous dire au revoir… Nous qui étions habitués au silence de la nature, avons dû mal à supporter le bruit des engins de travaux publics, des camions… Nous sommes en permanence recouverts de poussière et de silice qui nous asphyxie.

Depuis une semaine, je suis triste ! Un énorme brise roche est venu un beau matin mettre en morceaux mon ami Roche Bleu pour l’embarquer dans un camion. Des gens de jaune vêtus et casqués m’ont mesuré avant de me marquer d’un chiffre. Deux jours plus tard, j’ai vu le même brise roche se rapprocher de moi et me briser en trois avant de me charger dans la benne d’un camion de chantier.

Inconscient que j’étais entrain d’effectuer mon unique et dernier voyage. Le long du trajet, je découvre combien l’homme a façonné notre si belle île au fil des siècles, des années. Là où les magnifiques Tamarins, les Bois de raisin, le Palmiste rouge, le Gros bois d’oiseaux, le Mahot rempart, le Bois joli coeur… resplendissaient de bien être, ont laissé la place à des habitations, des routes, des champs, des voitures partout. Nos amis les oiseaux : le Bihoreau, l’Albatros à cape blanche, le Crécerelle de Dubois, l’Ibis sacré, le pigeon de La Réunion… tous disparus.

Qu’ont-ils fait ? Que s’est-il passé pendant toutes ces années où Roche bleu et moi, millénaires, plantés sur notre terre, imaginaient être immortels ? Nous voilà arrivés sur un immense chantier entre l’océan et une falaise où nous sommes tous déchargés sans ménagement. Sous un déluge d’engins de travaux publics, les blocs de roches sont ainsi poussés vers l’océan. Certains tentent vainement de s’accrocher à leur terre en laissant derrière eux des sillons, d’autres maudissent les hommes avant d’être ensevelis sous la mer. Bientôt ce sera mon tour. Avec d’autres roches dures, nous roulons dans un nuage de poussière vers l’océan qui nous tend les bras ; "Qu’ils soient maudits" me lance "Roche cabri" à mes côtés. Avant d’être noyés avec mes amis, je parviens à lui dire : "Avec nous c’est leur histoire et une partie de leur âme qu’il font disparaître". De ce qui est désormais mon tombeau, je n’ai qu’un seul regret : n’avoir pu voir une dernière fois mon île si chère qui m’a porté plus de cent mille ans sur son sol.

Une pensée d’un grand homme que je n’ai naturellement pas connu me vient alors à l’esprit, un certain François-René Chateaubriand qui affirmait, "la nature précède les hommes, les déserts les suivent". Adieu mon île adorée, puisse les hommes qui y habitent prendre conscience qu’ils sont entrain de te détruire… eux avec.

Mémoire d’outre-tombe de Ti Roche

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1 Commentaires
pilleurs et assoifés de pouvoirs et de fric
pilleurs et assoifés de pouvoirs et de fric
7 ans

Les bénis oui oui de la Région ne sont pas venus salir la Mémoire de Ti Roche

Ils n'ont pas compris. Il n'y a pas les mots magiques : Didier, galets ou Thierry dedans...
De vrais nazes dangereux par leur aveuglement (aveuglement voulu en échange un ti katsou)