Tribune libre de l'association Vie Océane

Un récif corallien en bonne santé serait "une solution à la crise requin"

  • Publié le 16 mai 2017 à 00:55

Selon l'association Vie Océane, la bonne santé des récifs coralliens de La Réunion pourrait être une solution face à la crise requin. Dans une tribune diffusée ce lundi 15 mai 2017, le collectif développe cette idée : un habitat dégradé pourrait entraîner "des modifications du comportement de certains requins". Nous la publions dans son intégralité ci-dessous. (Photo archives)

Les récifs coralliens de La Réunion sont impactés depuis plusieurs dizaines d’années notamment par des arrivées d’eau douce plus nombreuses, par une urbanisation croissante du littoral et une pêche mal contrôlée. Les récifs résistent mais les taux de recouvrement corallien diminuent et les différentes communautés récifales ne sont plus représentatives de récifs en bonne santé. L’image pourrait être celle d’une forêt tropicale où les arbres sont encore debout mais où les branches et les oiseaux se raréfient…

La Réserve Naturelle Marine de La Réunion s’efforce depuis plusieurs années de protéger les récifs, mais les impacts liés aux différentes activités humaines sont encore trop nombreux et il est par exemple difficile de canaliser une quantité croissante d’infiltration d’eau douce provenant du bassin versant. Ces eaux finissent dans les lagons et contribuent à la mauvaise santé des coraux. Les poissons récifaux ne sont plus représentatifs d’un récif en bonne santé : leur nombre et leur taille sont très inférieurs à ce que l’on pouvait trouver auparavant à La Réunion et qui est encore visible sur un récif florissant.

Lorsque les bancs de poissons sont importants et diversifiés sur un récif corallien, des prédateurs comme les grands requins peuvent s’alimenter convenablement à partir de cette ressource disponible et, par voie de conséquence, le risque d’interaction dangereuse avec l’homme diminue d’autant. Au contraire, un habitat dégradé réduit les proies potentielles et entraine des modifications du comportement de certains requins opportunistes, notamment des requins bouledogues, qui peuvent ainsi créer un danger pour des usagers.

La pêche de ces requins est-elle une réponse ?

A court terme elle peut donner cette impression, mais elle ne peut être une solution définitive dans la durée pour différentes raisons. Il parait difficile d’évaluer la diminution du risque en le corrélant au nombre de requins pêchés puisque les comportements varient d’un individu à l’autre.

Plusieurs publications montrent que les requins apprennent et sont notamment capables d’enregistrer les sites où ils trouvent régulièrement de la nourriture. Certaines espèces et certains individus apprennent également à ne pas se faire reprendre après avoir été relâchés. Une population de requins peut également apprendre les uns des autres par transfert d’informations et en adoptant des stratégies collaboratives… Les sites régulièrement appâtés pourraient donc être mémorisés et intégrés dans le parcours quotidien de certains requins, d’autant que ces sites sont générateurs de déchets de pêche et que seuls 6% des appâts utilisés sur les drumlines (cf. caprequin2) permettent de capturer une des deux espèces de requins ciblés. La plupart des appâts sont perdus, "dé-prédatés", intacts, mordus,… et nourrissent vraisemblablement des requins non capturés.

La pêche présente également plusieurs autres problèmes :

Dans le cadre de Caprequin2, 7 prises sur 10 effectuées sur les drumlines ne concernent pas les requins ciblés et ces prises accessoires sont pour la plupart relâchées vivantes, sans observateur indépendant pour le confirmer. Et dans quel état ?

Une prise accessoire relâchée blessée peut aussi avoir un rôle attractif pour un requin dont le comportement et les différents sens ont justement évolué pour détecter ce type de proie en détresse. Les prises accessoires qui se débattent et émettent des signaux de détresse pendant plus d’une heure avant qu’un pêcheur n’intervienne, peuvent également avoir un rôle attractif auprès des espèces de requins ciblés.

De plus, il faut souligner que le rôle des espèces correspondant aux prises accessoires (carangues, autres requins, raies,…) est primordial pour la reconstitution de l’écosystème et le retour à un équilibre écologique des récifs coralliens.

Pour minimiser, d’une part l’impact sur les prises accessoires en milieu récifal et, d’autre part, le risque de mémorisation par les requins des sites régulièrement appâtés à proximité des zones balnéaires, il serait préférable de déployer des engins de pêche sur des sites où les études et observations ont révélé une fréquence de présence plus importante de requins bouledogues : baie de Saint Paul, étang du Gol, Est de l’île… Dans ce cas, la palangre horizontale est deux fois plus efficace que les drumlines (cf. Caprequin 2) et moins couteuse. Si l’Etat et les différentes associations pro-pêche souhaitent réguler la population de requins bouledogue, il est préférable de pêcher dans ces zones pour impacter tous les individus, matures et immatures. Mais, il sera malgré tout difficile de donner une estimation de la diminution du risque, à moins d’exterminer la population de requins bouledogues tout autour de l’île, ce qui, en dehors de son caractère impensable, serait difficile à réaliser car l’effort de pêche devrait être intense, et être prolongé même lorsque le nombre de captures aura considérablement diminué.

D’autre part, des individus pourraient venir occasionnellement ou régulièrement de l’extérieur de l’île. Des études génétiques en cours sont nécessaires afin de valider ou non cette hypothèse. Il a bien fallu que des individus à l’origine de la population actuelle arrivent à La Réunion ! On peut difficilement penser que ces déplacements d’individus en dehors ou vers La Réunion n’existent pas.

Certains individus peuvent circuler dans l’océan Indien comme de nouvelles études sur la connectivité entre les hauts fonds sous marins et les îles le laissent entendre. Si la pêche est une solution envisagée par l’Etat à court terme, l’effort de pêche devra donc être continu et préférentiellement dans les zones fréquentées par les requins bouledogues. Néanmoins, il se posera toujours la question des indicateurs permettant à l’Etat de lever l’arrêté d’interdiction de baignades en mer ouverte.

Une limite à "l’occupation de la colonne d’eau"

Derrière l’argument de "l’occupation de la colonne d’eau" se trouve une demande de réouverture à la pêche sous marine dans certaines zones de protections renforcées de la Réserve. D’autres activités au sein de ces zones (plongées, apnée, canoë,…) et qui occupent la colonne d’eau, sont actuellement bien développées. Si l’on compare l’évolution du nombre de personnes occupant la colonne d’eau depuis 30 ans, il y a une augmentation constante et régulière des différentes activités nautiques et de la présence humaine dans le milieu.

En quoi la réouverture à la pêche sous marine pourrait contribuer à diminuer les risques d’interaction entre requins et activités nautiques ? De nombreuses observations en milieu récifal prouvent le contraire : la détresse d’une proie fléchée, les poissons frais accrochés à une bouée pendant plusieurs heures,… sont des stimuli potentiels d’attractivité pour les requins éventuellement présents dans la zone et peuvent mettre en danger les pratiquants de cette activité.

Quid de l’argument "garde-manger" affectée aux zones coralliennes de la Réserve marine ?

Les dernières études montrent que la taille et le nombre de poissons récifaux dans les zones les plus protégées de la réserve sont encore aujourd’hui très inférieurs à ce que peut présenter un récif en bonne santé. Il n’y a donc pas de "garde-manger", et ce n’est pas dans les zones protégées de la réserve que les requins bouledogues vont trouver la ressource nécessaire à leur alimentation quotidienne. Ces requins bouledogues sont potentiellement en état de stress alimentaire, vu la diminution des ressources disponibles autour de l’île, et certains individus opportunistes s’adaptent et élargissent leur régime alimentaire. Les déchets de pêche et les abats d’animaux terrestres retrouvés dans les estomacs de certains individus montrent cette capacité à s’adapter. On peut aussi penser - et regretter - que certains spécimens se soient également habitués à intégrer sur leurs parcours de recherche alimentaire des stimuli attractifs tels ceux produits par les activités sur les spots de surf.

Le milieu récifal réunionnais est dégradé et la solution à la crise requin n’est pas de le déséquilibrer davantage en l’impactant par la pêche, ses prises accessoires, ses déchets, la chasse,…. Le retour à un milieu récifal équilibré est la meilleure protection contre les requins bouledogues à long terme et il faut pour cela se donner les moyens d’y arriver.

 

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4 Commentaires
breizhcailloux
breizhcailloux
6 ans

Et la problématique de la peche intensive dans l'océan indien, n'est elle pas la la solution à explorer depuis 1980 (début de cette forme de peche en hauts fonds à + de 400 m de fond). A défaut certains groupes s'adaptent et se tournent vers des ressources disponibles autour d'eux sur les bords de cotes... Les chaluts prennent les ressources alimentaires des requins et d'une chaine alimentaire qui était jusque la "équilibrée". C'est simple à comprendre pourtant.

bluebell
bluebell
6 ans

Puisqu'il est question d'équilibre nourriture disponible, bouledogues, et que vous constatez qu'il y a trop de bouledogues par rapport à la ressource. Vous constatez qu'il est long et difficile d'augmenter la ressource, vous constatez que ça ne fonctionne pas bien depuis le temps que la réserve existe. Alors pourquoi refuser de diminuer le nombre de bouledogues pour rétablir cet équilibre?

Flof
Flof
6 ans

Comment peut-on argumenter que la qualité du milieu récifal est un facteur de baisse du risque d'attaque ?
Depuis la création de la réserve, qui, logiquement devrait améliorer la santé du récif, l'augmentation de la population des requins grands prédateurs comme le bouledogue est en forte augmentation et les attaque sur l'humain en croissance exponentielle !
Le récif devraient donc être en meilleur état qu'avant la création de la réserve et les attaquent de requin devraient diminuer dans le temps.. Hors, force de constater que l'inverse se produit alors que la mer est fermée à l'humain depuis 2013 ! Et que le nombre de surfeurs a très très nettement diminué !
Aurait-on un "effet réserve" qui attire les prédateurs mais, comme on voudrait le faire croire, ne sont pas des gentils toutous et s'attaque à l'humain comme à n'importe qu'elle proie ?

Votre article démontre pleinement l’échec de la politique réserve, qui d'après vous ne donne pas suffisamment à manger à ses supers prédateurs, qui doivent se rabattre sur la chair humaine des surfers qui par leur activité stimulent les requins ! C'est globalement ce que vous insinuez et c'est un argument, à la fois d'une inhumanité et absolument infondé !
On en est donc à un échec de la politique réserve d'après cet article avec une occupation anormale des pauvres lagons encore accessibles à l'humain, ce qui ne va pas arranger leur état, et une augmentation de la population de bouledogues comme jamais vu ailleurs dans le monde le tout accompagnés d'attaques sur l'humain.

Et L'argument qui vise à dire que les smarts drumlines avec alerte pour libérer les prises accessoires attirent les requins... Où avez-vous trouvé cette info ? Adressez-vous çà ceux qui utilisent cette technique depuis des années comme les Sud Africains ... Pas d'attaque sur humains.

Finalement, cette tribune atteste l’échec de la politique réserve de ses dernières années et chercher des justificatifs à cet échec, qui impacte sociologique sur l'ile, un impact psychologique et un impact économique.
Que proposez-vous donc pour palier à tout cela ?

Breizhatoll
Breizhatoll
6 ans

Quand on ne connaît pas la population de requin fréquentant nos cotes comment pouvez vous prétendre que la biomasse n'augmente pas ? Dans beaucoup de réserve l'augmentation de la biomasse des prédateurs est observée passant de 3% à 53 %.

De plus préféré un mode de pêche à 50 hameçons sans alerte de capture par rapport à un système de pêche à un seul hameçon avec alerte de capture est tout de même drôlement tiré par les cheveux même pour vous.

Enfin encore une fois vous contestez sans jamais proposer de solutions concrètes. Si le retour à un milieu protège était la solution pourquoi les attaques augmentent elles alors que la réserve marine interdit tout depuis 10 ans ?