Tribune libre de Bruno Bourgeon, président d'AID

Le cancer du jardinier

  • Publié le 30 août 2018 à 09:37

Un tribunal de San Francisco a condamné ce 10 août la firme Monsanto à verser près de 300 millions de dollars à un jardinier qui avait utilisé du glyphosate et qui, atteint d'un cancer, avait attaqué la firme, accusée de ne pas avoir délivré les informations adéquates sur la dangerosité de ses produits. Ce qu'un jury populaire a décidé, Monsanto le conteste : le glyphosate n'est pas cancérogène. Traduire : la preuve scientifique n'a pas été établie.

Bien des affaires de cet ordre sont en cours d’instruction. Le Centre international de recherche sur le Cancer (CIRC) a classé en 2015 le glyphosate comme cancérogène probable et perturbateur endocrinien. C’est autour du mot probable que se joue le bras de fer entre Monsanto (racheté par Bayer), les victimes supposées du glyphosate, et la partie de l’humanité soucieuse d’anticiper le retentissement des modifications de l’environnement sur la santé humaine. Ce combat éthique se mène à trois échelons :

  • Le premier veut faire dire à la justice ce que les scientifiques ne peuvent dire. Comme dans les affaires criminelles, on fait appel à l’intime conviction au nom de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Or la vérité du juge est fragile car plaignants et accusés usent de voies de recours qui peuvent contredire les jugements antérieurs. En France la Cour de Cassation a cassé le jugement de la Cour d’Appel de Lyon qui avait fait droit à la plainte d’un agriculteur charentais contre Monsanto. Depuis 2007, un jugement définitif est en attente. Le temps des juges est celui du temps long.
  • Le deuxième échelon tient à l’opposition entre les tenants de la réaction à la suspicion et les tenants de la preuve scientifique. La preuve, c’est le nombre de morts suffisant pour établir la relation de cause à effet.
  • D’où la naissance d’un troisième échelon, celui du principe de précaution qui nage entre suspicion et preuve. La France l’a inscrit dans sa Constitution mais rien n’est réglé sur la signification de précaution. Car ce principe est de l’ordre du qualitatif et du quantitatif : il doit réunir les arguments qui indiquent qu’un produit peut nuire à la santé. Il dépasse ainsi la simple suspicion car il procède d’une démarche qui considère que la vie humaine ne peut être sacrifiée à des dangers plausibles. La science estime qu’un fait est démontré et véridique si l’on a moins de 5 % de chances de se tromper en l’affirmant comme vrai. La vérité se loge dans les probabilités ! L’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) a contredit le CIRC pour écrire, en s’appuyant sur ses experts que " ni les données épidémiologiques, ni les éléments issus d’études animales n’ont démontré de causalité entre l'exposition au glyphosate et le développement de cancer chez les humains ". Or Monsanto ne reconnaît pas le principe de précaution et s’abrite derrière ce seuil de 5 %. Attendre cette preuve, c’est bien attendre qu’il y ait suffisamment de victimes pour déclarer négligeable le risque de se tromper. Le principe de précaution est dans cette zone. Il faudrait le renforcer mais aussi le nuancer. Son application doit tenir compte de la gravité du risque et de la robustesse de la présomption de nocivité. On ne peut tout interdire. Tel est son talon d’Achille car le choix, la décision opposent en fait la suspicion sur les risques en santé et le pouvoir de l’argent. La force de Monsanto est d’avoir su imposer au monde un mode de productivité faisant miroiter l’abondance sans se préoccuper de la nocivité. Monsanto surfe sur le désaccord entre le CIRC et celui de l’Efsa, habilement orchestré par une armée de lobbyistes forcenés.

Appelons les citoyens, agriculteurs ou citadins, à une marche résolue vers une nouvelle relation entre l’homme et son environnement. C’est de la santé des jardiniers et des agriculteurs eux-mêmes dont il s’agit. Et plus loin de l’ensemble des consommateurs. Non seulement en France, mais en Europe, aux Etats-Unis et dans le monde. " De mémoire de rose ", disait Fontenelle, " on n’a jamais vu mourir de jardinier. Dans la plénitude de leurs destins éphémères, ni les roses, ni le blé ne peuvent s’imaginer que les êtres humains ne soient pas immortels. Et pourtant ! "

Dr Bruno Bourgeon,
Vice-président de l’Espace éthique de La Réunion
Président de l’Association Initiatives Dionysiennes

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