Courrier des lecteurs de Wilfried Bertile

La Réunion : le devoir de lucidité

  • Publié le 3 novembre 2018 à 12:30

Les débats suscités par le vote du budget des Outre-mer au Parlement sont riches d'indications sur la situation de ces territoires et sur ce qui les attend. Une prise de conscience de leur évolution est nécessaire, ainsi qu'une réflexion sur un projet spécifique à chacun d'eux. Le principal enseignement concerne l'action gouvernementale et c'est bien naturel : un budget est toujours le reflet d'une politique (ou d'une absence de politique). Dans le cas présent, tout se passe comme si la vision politique s'est effacée au profit d'une logique comptable : le gouvernement veut réduire de 3 points de PIB la dépense publique et de 5 points la dette publique d'ici 2022.

Ce fil  rouge de sa politique se traduit notamment par le " matraquage fiscal " qui rappelle au pays sa situation à la veille de 1789 (cf. la " jacquerie " du 17 novembre) ;  par la baisse des APL ; par la suppression de l’allocation logement accession (même si son rétablissement provisoire est annoncé) ; par la diminution de la LBU… Plus significatifs encore apparaissent l’abaissement du plafond de l’abattement de l’impôt sur le revenu et la remise en cause de la TVA non perçue récupérable qui profitaient respectivement aux ménages et aux entreprises. Il leur en coûtera 100 millions d’euros chaque année. Il n’a été tenu aucun compte de l’opposition des organisations patronales et des parlementaires ultramarins toutes tendances politiques confondues.

Le Gouvernement parie aussi sur l’incapacité des Outre-mer à consommer les crédits qu’il leur alloue. Ainsi, alors que les autorisations de programme restent d’un bon niveau, les crédits de paiement sont en baisse d’un milliard, dont 500 millions pour la seule Réunion. C’est bien la peine que nos collectivités locales multiplient les SEM et les SPL pour agir à leur place, en théorie plus efficacement. De même il est à craindre qu’afin de ne pas décaisser trop de crédits de paiements, le Gouvernement manque de zèle pour faire avancer les projets dans lesquels il intervient financièrement.

Ce budget sans vision politique semble bien décroché du " livre bleu " dont tout le monde a oublié le contenu. En ne consacrant que 23 millions d’euros aux  " plans de convergence et de transformation " alors préconisés, le " pouvoir " ne semble pas croire en cette énième réponse technocratique à une question politique pourtant fondamentale : quel projet de développement pour chacun des Outre-mer ?

Et pourtant, plus que jamais, les Outre-mer ont besoin d’une action sur le temps long. Des questions de fond devraient mobiliser les politiques. Les discussions ont commencé sur la suite à réserver aux Accords de Partenariat Economique qui organisent les relations  entre l’Union européenne avec les pays ACP de  l’environnement géographique des Outre-mer. Il en est de même de la prochaine programmation des crédits européens (2020-2027) qui fixe les montants et définit les programmes financés par l’Europe. Enfin, l’octroi de mer  dont la compatibilité avec la Constitution est actuellement examinée par le Conseil constitutionnel risque en outre d’être remis en cause par la Commission Européenne en 2022. Il importe de se saisir à l’amont de ces questions sous peine d’être désemparés, comme précédemment, au moment des échéances.

Mais tout cela ne saurait occulter le fait que le modèle des Outre-mer est à bout de souffle : il repose sur les crédits publics nationaux et européens, jusqu’ici sans cesse croissants, mais aujourd’hui raréfiés. Quoi qu’il en soit, il laisse de côté près de 50% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté dont l’immense majorité survit des minima sociaux. De plus, ce modèle, incompatible avec l’idéologie néolibérale dominante, est détricoté par la dérégulation: les quotas sucriers ont été supprimés, les aides aux entreprises sont remises en causes, l’octroi de mer menacé, les avantages fiscaux  des ménages écornés.

Enfin ce modèle est d’une grande vulnérabilité : les édifices socio-économiques ultramarins, bâtis autour de la rente de la solidarité nationale et européenne, sont très  fragiles. Si cette rente diminue ou même se tarit, c’est la ruine et même la famine. Et cela peut bien arriver, en cas de conflit ou, plus sûrement, lors de la prochaine crise financière quand les Etats n’auront plus la capacité de renflouer les banques-casinos comme la dernière fois, en 2008. 

C’est pourquoi La Réunion devrait s’engager dans un nouveau modèle de développement, plus endogène, et revoir sa politique de coopération, en privilégiant Madagascar. Ce pays d’où est originaire une bonne part des Réunionnais, riche de sa population et de ses ressources naturelles, est complémentaire de La Réunion dans bien des domaines. Un co-développement de La Réunion avec  ce pays améliorerait la situation des Malgaches et assurerait les approvisionnements de La Réunion.

Et même si la crise ne survenait pas, en privilégiant nos importations régionales, nous réduirons la distance des acheminements, diminuant du même coup leur empreinte écologique et sauvegardant ainsi l’environnement mondial.
 

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2 Commentaires
JP
JP
5 ans

J'ai un peu de mal à comprendre comment M Bertile est autorisé à publier des propos dans une presse, lui qui a été condamné durant sa carrière politique et qui a passé beaucoup plus de temps à se mettre de l'argent public dans les poches plutôt que de faire ses cours à L'Université de la Réunion (pour lesquels il était largement payé) mais il se dit qu'il sous-traitai ses cours à d'autres personnes, ce qui est bien entendu tout à fait illégal et pourtant sous le couvert des instances universitaires.

colimaconvert
colimaconvert
5 ans

c'est bizarre, mais j'avais donné mon avis sur cette question d'avenir économique et sociale pour la Réunion et Madagascar, proposée par W. BERTILE, mais elle n'a pas eu l'heure de plaire aux contrôleurs ? aussi je vais me répéter, soit:
"un nouveau modèle de développement plus endogène... en privilégiant Madagascar" me semble complétement utopique au regard de l'incapacité politique des gouvernements successifs malgaches, depuis l'Amiral Rouge" à développer cette île pour le bien de sa population. Il a été démontré que les gouvernants ont détourné les fonds européens et aides internationales à leurs profits exclusifs, laissant exsangues les populations rurales. ('pour mémoire, avant les années 70, la Grande Ile était auto-suffisante en production vivrière, notamment le riz et le bétail. La Réunion importait le riz et la viande de zébus pour la consommation des réunionnais (les importations de Métropoles pour ces produits étaient marginales). Depuis les années 80 à aujourd'hui, les fameuses richesses du sous-sol malgaches (pierres semi-précieuses) ainsi que forestières (le bois de rose) sont mises en coupes réglées (avec la complicité des politiques et les douanes) par des sociétés étrangères dont les profits ne retombent pas dans l'économie malgache.
Non, je pense que la seule solution pour Madagascar, comme pour les Comores, c'est de décrêter ces iles patrimoines de l'Humanité et en faire assumer la gestion économique par des organismes internationaux,comme l'UNESCO, seule solution pour que les fonds d'aide au développement soient réellement investis dans les programmes de développements pour le bien des populations. (il faut vraiment mettre les politiques élus hors des circuits financiers et de leurs gestions).
Mais je sais que d'aucun me diront que c'est de l'ingérence dans les affaires d'un état souverain !!
A ceux-ci je répond que quand cet Etat se conduit comme un brigand, il est urgent d'appliquer le principe d'assistance à population en danger de mort ...