Courrier des lecteurs de Reynolds Michel

Claude MacKay, grande figure du mouvement de la Harlem Renaissance

  • Publié le 13 janvier 2021 à 10:41
  • Actualisé le 13 janvier 2021 à 10:50

Claude McKay (1889-1948) est connu comme l'auteur de Home to Harlem (1928) et surtout de Banjo (1929), ses deux premiers romans, et de If we must Die (Si nous devons mourir), son ode à la résistance noire face aux exactions racistes perpétrées par certains Américains blancs pendant l'été rouge de 1919 (de mai à octobre) : " Si nous devons mourir - que ce ne soit pas comme des porcs / Traqués parqués dans un coin déshonorant / ... / Si nous devons mourir, - oh, que ce soit dignement - / Que notre sang précieux ne soit pas versé En vain / .../ Qu'importe si devant nous s'ouvre une tombe ? / Comme des hommes, nous braverons la lâche meute meurtrière / Dos au mur, mourants, mais en se défendant ! " (Photo d'illustration AFP)

Ce poème de Claude McKay, écrit en 1919, incarne, selon Wallace Thurman (1902-1934), autre écrivain noir de cette période, l’essence du Nouveau Nègre. Auteur radical marqué personnellement par le racisme ambiant qu’il découvre en Jamaïque, son pays d’origine, et qu’il retrouve à son apogée aux États-Unis, McKay veut activer, par le biais de ses premiers écrits, le mouvement social, culturel et artistique qui se met en place dans le quartier de Harlem et qui émerge officiellement en 1925 avec le New Negro d’Alain Locke . Nous vous invitons à  suivre Claude McKay, écrivain-voyageur, dans ses divers engagements contre le racisme, pour la promotion de l’homme noir et de sa culture.

La découverte du racisme et de la tradition orale de son île


Claude Mckay, de son vrai nom Festus Claudius McKay, est né le 15 septembre 1889 dans un petit village de montagne de la Jamaïque, à Sunny Ville dans la paroisse (province) de Clarendon, dans une région profondément marquée par la résistance des Nègres marrons (esclaves en fuite et en résistance). C’est le benjamin d’une famille de onze enfants. Ses parents, Thomas Francis McKay et Hannah (Ann) Elizabeth Edwards, sont issus de la petite paysannerie relativement aisée de l’île. Menant une vie paisible avec ses frères et sœurs, le jeune McKay se passionne très tôt pour la lecture et l’écriture. Avec l’aide d’un frère instituteur, Uriah Theophilus, et d’un voisin passionné de la culture locale, l’érudit anglais Walter Jekyll (1849-1929), le jeune McKay étudie la poésie anglaise (John Milton (1608-1674), Alexandre Pope (1688-1744)…) tout en portant un certain intérêt pour certains philosophes européens. Il commence, alors qu’il habite chez frère Uriah, à rédiger ses premiers poèmes entre 10 et 15 ans, certains en créole jamaïcain sous le conseil de son ami Walter Jekyll, auteur de Jamaican Song and Story (1907). 

En 1911, nous retrouvons le poète comme agent de police à Kingstone, la capitale de la Jamaïque, après un passage dans une école de métiers et un stage d’apprenti chez un carrossier et ébéniste. Mal à l’aise il se fera relever de ses fonctions au bout de dix mois pour retrouver ses montagnes de Clarendon. Mais en quittant ce poste de policier, il a une conscience plus aigue du colonialisme et du racisme dans la société jamaïcaine, qu’il retranscrit d’ailleurs dans ses premiers écrits. En 1912, à l’âge de 23 ans, il publie successivement ses deux premiers recueils de poésies : Songs of Jamaica, écrit en créole jamaïcain avec une introduction et les notes en bas de page de Walter Jekyll, et Constab Ballads, une évocation de son expérience comme officier de police.

En août de la même année, l’attribution d’une bourse lui permet de se rendre aux États-Unis pour étudier l’agronomie au Tuskegee Institute (Alabama) du célèbre leader et éducateur noir, Booker T. Washington (1856-1915). Installé à Charleston, en Caroline du Sud, McKay est horrifié par la ségrégation raciale qui sévit dans  la région. Il déménage alors dans l’Etat du Kansas pour poursuivre ses études universitaires. C’est là, au cours de son séjour à l’Université de Kansas, qu’il découvre l’ouvrage fondateur qui va inspirer son engagement politique, Souls of the Black Folk (1903) de W.E.B Du Bois, sociologue et militant des droits civiques, fondateur de la NAAPC (Association pour la défense des hommes de couleur) et de son organe d’expression, la revue The Crisis .

Deux ans plus tard, il abandonne ses études d’agronomie pour la création poétique. Avec le soutien financier de Walter Jekyll, Claude Mckay s’installe alors à New York, où il retrouve son amie d’enfance, Eulalie Imelda Lewars. Ils se marient, mais au bout de quelques mois, Eulalie décide de rentrer au pays. Elle donnera quelque temps après naissance à leur fille, Hope McKay. Quant à McKay ‒ il ne remettra jamais les pieds dans son île natale ‒ on le retrouve comme serveur aux chemins de fer, après avoir été un temps gérant de restaurant. C’est là dans ce milieu de chemin de fer qu’il fait la rencontre des militants et syndicalistes révolutionnaires américains de l’IWW (The Industrial Workers of the World). McKay n’hésite pas à s’engager dans les grèves et à payer ses cotisations. Durant cette période, le poète militant a du mal à se faire publier.

Un appel à la résistance à travers une écriture engagée

En 1917, McKay arrive à publier sous le pseudonyme d’Eli Edwards deux poèmes dans le périodique Seven Arts : Harlem Dancer et Invocation. En découvrant l’auteur véritable de ces textes, le critique littéraire Frank Harris, qui appréciait le travail de McKay, arrive à inclure quelques poèmes de ce dernier dans Pearson's Magazine, dont To the White Fiends. Dans ce poème au vitriol, paru en 1918, McKay met violemment en question la suprématie de l’homme blanc, tout en leur lançant un sévère avertissement : " Pensez-vous que je ne pourrais pas prendre une arme à feu et tirer sur dix d'entre vous pour chacun de mes frères noirs tués, brûlés par vous ? ". Quelques mois plus tard, McKay rencontre Max Eastman et sa sœur, Crystal, tous deux militants socialistes et responsables du journal The Liberator. Il intègre l’équipe de rédaction et publie dans les colonnes The Liberator plusieurs poèmes, dont le célèbre If we must Die (déjà cité) qui exprime la volonté des opprimés à la liberté. McKay est devenu un poète engagé. Il veut être la voix des sans voix, la voix des noirs américains.

Après la publication de "Si nous devons mourir", McKay voyage en Europe, un voyage de près de deux ans qui le conduit à Londres après un passage par la Hollande et la Belgique. À Londres où il séjourne durant un peu plus d’une année, il fréquente l’International socialiste  club de Shoreditch, club local à tendance communiste, tout en mettant ses talents d’écrivain au service du journal The Workers’ Dreadnough. Il rencontre là, entre autres personnalités, Sylvia Pankhurst (1882-1960), féministe, membre de la gauche communiste et fondatrice du journal pour lequel il travaille comme journaliste salarié. Il se plonge dans les écrits de Marx, tout en travaillant son écriture poétique pour que ses écrits soient reconnus. Durant son séjour, il publie Spring in New Hampshire (1920), son troisième recueil de poésie, mal accueilli par la critique subrepticement  raciste et condescendante.

Une écriture qui évolue au fil de ses voyages et rencontres

En 1921, McKay est de retour aux États-Unis où il devient coéditeur du journal The Liberator jusqu’en juillet 1922. Il publie la même année Harlem Shadows, un recueil de poèmes qui expriment la colère face aux diverses formes d’oppression dont il a été le témoin ici et là. McKay est alors acclamé par ses pairs comme le meilleur poète noir depuis Paul Laurence Dunbar (1872-1906). Peu après, il quitte à nouveau les États-Unis pour un nouveau et long marronnage à travers l’Europe et l’Union soviétique à la recherche d’un nouveau foyer et de nouvelles inspirations. Grâce aux contacts de Sylvia Pankhurst, McKay parvient à rejoindre la Russie et à assister au quatrième Congrès de la Troisième Internationale Communiste, à Moscou, à la fin de 1922. Dans la foulée, il visite Pétrograd et Kronstadt. Il est partout fêté. J’étais, écrit-il plus tard, comme " une icône noire ". Durant son séjour, il écrit plusieurs articles, notamment " Petrograd, May Day, 1923 " dans la Pravda. De là, il se rend en Allemagne, puis en France où il résidera durant plusieurs années, d’abord à Paris, puis à Marseille où il passe plus d’une année. Il termine sa vie d’errance et de rencontres en 1934, année où il retourne définitivement aux États-Unis après un séjour de quatre années  en Espagne et au Maroc.

C'est en France qu'il écrit et publie ses deux premiers romans : Home to Harlem et surtout Banjo. Le premier, Homme to Harlem, qui paraît en 1928, est accueilli avec enthousiasme par les critiques et le public. C’est alors le roman le plus vendu et le plus lu, et le succès est couronné par l’obtention du Hamon Gold Award of Literature. Toutefois, ce roman qui décrit "la vie des rues et des dessous de Harlem - avec ses scènes sordides et parfois déchirantes de la vie de ghetto" -  n’était pas du meilleur goût pour certains intellectuels de la communauté afro-américaine qui cherchent à donner l’image la plus positive et la plus flatteuse du Noir, notamment de W.E.B. Du Bois. Nonobstant cette réserve, ce roman, traduit en français par Louis Guilloux en 1932, sous le titre de " Quartier noir " est toujours considéré comme les commentateurs comme un grand roman populaire de réalisme social.

C’est à Marseille que McKay commence à écrire Banjo : A Story without a Plot (Banjo : une histoire sans intrigue, en français), publié en 1929. En fait de roman, il s’agit d’une série de scènes montrant la vie de petites gens, la vie des immigrés échoués à Marseille. C’est là, dans cette ville portuaire ouverte sur la Méditerranée qui attire toutes les populations marginalisées d’Afrique, des Antilles et d’ailleurs, que débarque un musicien afro-américain né dans les plantations du sud avec un instrument de musique qui lui vaut son surnom, Banjo – de son vrai nom Lincoln Agrippa Daily. En compagnie d’amis et de connaissances de passage, il déambule dans les bas-fonds et les lieux plus ou moins louches et, au Café africain, porté parle le blues, Banjo fait swinguer toutes ses populations à la peu noire ou brune qui aimaient faire la fête. Ce roman, disent les critiques littéraires, a fortement influencé les auteurs anglophones et francophones de la génération suivante, tels que Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, Aimé Césaire ‒ ce dernier a rencontré McKay lors de son séjour à Paris.

C’est pendant son séjour au Maroc que McKay publie son troisième roman Banana Bottom, en 1933, dans lequel il explore la difficulté d’être soi face au racisme par le biais de l’histoire d’une paysanne jamaïcaine, Bita Plant. Claude McKay, qui souffrait d’hypertensions depuis quelques années, connaissait alors une situation financière difficile. Gingertown, son recueil de 12 nouvelles ‒ six sont consacré à la vie de Harlem, quatre à la Jamaïque et les autres à l’Afrique ‒, publié l’année précédente, n’a pas connu le succès commercial qu’il espérait. Avec ces deux écrits, McKay renoue en quelque sorte avec son pays natal et ses traditions.

La dernière étape d’une vie mouvementée


De retour aux États-Unis en 1934, il se consacre à son autobiographie, A long way from home (Loin du pays natal), publiée en 1937, l’année même de sa naturalisation américaine, ainsi qu'un recueil d'essais politiques et spirituels, Harlem Negro Metropolis (1940). Dans A Long way from home, McKay revient sur son marronnage à travers le monde de 1916 à 1934, les défis auxquels il a été confrontés en tant qu’homme noir, ses expériences en tant qu’écrivain noir engagé, tout en décrivant ses nombreuses rencontres avec des personnalités aussi remarquables que Charlie Chaplin, George Bernard Shaw, H.G. Wells, Léon Trotsky et quelques grandes figures de la Renaissance de Harlem, tels que :  W.E. Du Bois,  Jessie Redmon Fauset, Alain Locke, John Toomer…

En 1938, McKay fait la connaissance de l’afro-américaine Ellen Tarry, auteure des livres pour enfants et catholique engagée dans un mouvement social, la Friendship House (la Maison de l’Amitié), qui cherche à relier l’Église à la justice interraciale, aux pauvres et aux marginalisés, tout en fournissant aux plus pauvres des services médicaux et des loisirs. McKay, qui avait déjà pris depuis quelque temps ses distances avec le Parti communiste, passe avec Ellen Tarry de longs moments à échanger sur le christianisme social. Fortement impressionné par le personnel de la Friendship House, suite aux soins médicaux reçus après son hospitalisation à la Maison d’Amitié de Harlem pour cause d’hypertension aggravée, McKay se sent alors de plus en plus proche de ce christianisme social. C’est Mary Keating, l’une des amies de McKay à la Friendship House, qui l’aidera, au début de 1944, à trouver un emploi dans la nouvelle Maison de l’Amitié de Chicago. Il est ensuite engagé comme enseignant auprès de la jeunesse catholique au National Catholique Youth Organization, à Chicago.

Le 11 octobre 1944, Claude McKay devient membre de l’Eglise Catholique par le baptême et proche collaborateur de l’évêque progressiste de Chicago, Bernard Skeil. Il avait, quelque temps avant sa conversion au catholicisme, repris contact avec Dorothy Day (1897-1980) ‒ journaliste américaine, militante anarchiste et communiste convertie au catholicisme à l’âge de 30 ans ‒, qu’il avait autrefois rencontré chez Max Eastman (voir ci-dessus). Sensible à la pauvreté et à l’oppression des travailleurs, Dorothy Day a fondé en 1933 avec Peter Maurin le Catholic Worker Mouvement (Mouvement des travailleurs catholiques) en engageant à fond dans la lutte contre la pauvreté, le racisme et l’oppression subie par les ouvriers. Elle est devenue par la suite une grande figure du catholicisme social américain . Après sa reprise de contact avec Dorothy Day, McKay commença à soumettre des poèmes à The Catholic Worker, journal également fondé par Dorothy Day.

Malgré une santé de plus en plus fragile, McKay continue d’écrire et de travailler. Il publie une douzaine de poèmes dans le journal The Catholic Worker, tout en préparant son dernier recueil de poèmes, Selected Poems. C’est la dernière étape d’une vie trépidante. McKay meurt d'une crise cardiaque à l'âge de 59 ans. Son recueil Selected Poems est publié à titre posthume en 1953. Poète-écrivain accompli, Claude McKay est reconnu aujourd’hui comme l’une des voix les plus importantes de la Renaissance de Harlem et un auteur majeur de la littérature américaine de cette période.     

Reynolds Michel

1 - Michel Reynolds, Alain Locke (1885-1954) et la Renaissance de Harlem, in Le Journal Témoignages, 11/10/2010
2 - Michel Reynolds, W.E.B. Du Bois (1868-1963) et la question noire, In le Journal Témoignages, 21/06/2010

Sources :
Garcin François, L’identité diasporique de Claude McKay, la découverte désenchantée du progrès, https : //dumas.csd.cnrs.fr, 2015.
Lara D. Oruno, Mac Kay Claude, Encyclopœdia Universalis.
Small B. Lily, A survey of the life and work of Claude McKay, Thesis, Freno State College, Juin 1971

        

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