Non, 80 personnes n'ont pas été tuées dans l'attaque d'un convoi dans l'est de la RDC début septembre

  • Publié le 21 septembre 2021 à 20:50

Des publications partagées plus de 600 fois depuis le 1er septembre affirment que 80 personnes ont été "tuées ou enlevées" lors de l'attaque d'un convoi escorté par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et la Mission des Nations Unies en RDC (Monusco) survenue le 1er septembre dans une province orientale de la RDC. Attention: attribué aux Forces démocratiques alliées (ADF), l'un des groupes armés les plus meurtriers du continent, l'assaut a en réalité fait quatre victimes, toutes des civils. Depuis janvier, plus de 1.200 civils ont été tués dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri, selon le Haut commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR). 

Abandonnées au milieu de la route, une dizaine de voitures blanches carbonisées fument encore. Des militaires, certains arborant le reconnaissable casque bleu des Nations Unies, s'avancent d'un pas prudent parmi les restes du convoi. Un mouvement de la caméra à 180° révèle deux autres voitures fumantes, derrière la caméra. Certaines de ces épaves brûlent encore. Cette scène de désolation a été tournée juste après l'attaque d'un convoi protégé par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et la Mission des Nations Unies en RDC (Monusco) dans l'est de ce pays, le 1er septembre. Selon les internautes qui partagent cette vidéo, "80 passagers" ont été "tués ou enlevés" lors de cet assaut. 

Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 21 septembre 2021

Ces publications ont été partagées plus de 600 fois depuis le début du mois de septembre sur Facebook (1, 2, 3, 4, 5...).

Attaque d'un convoi en Ituri

L'attaque que les publications mentionnent dans la province d'Ituri, dans le nord-est de la RDC, a en réalité fait quatre victimes civiles, selon les FARDC et la Monusco, qui escortaient le convoi tombé dans cette embuscade. Une dizaine de véhicules ont également été incendiés. Depuis le 7 août, la sécurité des convois circulant sur la nationale 4, un axe stratégique reliant les territoires de Beni et d'Ituri, est assurée conjointement par les FARDC et la Monusco en raison de la dangerosité de cette route.

L'assaut du 1er septembre évoqué dans les publications a été mené par de présumés rebelles appartenant aux Forces démocratiques alliées (ADF), qui ont profité de l'isolement de certains véhicules du convoi pour lancer l'attaque "aux environs de 10H00", selon Dieudonné Malangayi, un responsable de la société civile locale. "Les rebelles ADF ont coupé le convoi au milieu, ils ont attaqué les véhicules", a-t-il précisé à l'AFP.

Accusées d'avoir tué des milliers de civils en Ituri et dans la province voisine du Nord-Kivu, les ADF étaient à l'origine des rebelles musulmans ougandais, opposés au pouvoir du président Yoweri Museveni. Ils sont maintenant présentés par l'organisation jihadiste État islamique (EI) comme sa branche en Afrique centrale et considérés comme le plus meurtrier des groupes armés qui sévissent dans l'est de la RDC. 

Lors de cet assaut, "les ADF ont tué quatre personnes", et non pas 80 comme le suggèrent les internautes qui partagent ces images, a déclaré à l'AFP le lieutenant Jules Ngongo, porte-parole des opérations militaires en Ituri. L'une des victimes "a été retrouvée calcinée dans un des 13 véhicules qui ont été incendiés" par les rebelles, a-t-il ensuite précisé, avant d'ajouter que les FARDC ont pu "récupérer plus de 60 disparus dans la brousse" après cette attaque. 

Un bilan confirmé à l'AFP par la Monusco: selon l'organisation, "quatre personnes [civiles] ont été tuées", et le mode opératoire ressemble bien à celui des ADF. Dans un message vidéo posté sur le compte Twitter officiel de la mission onusienne, le général de division Thierry Lion, commandant adjoint de la Monusco, précise que le convoi était composé d'"environ cent véhicules" et circulait entre les localités de Komanda et Luna.

C'est aussi le nombre de victimes comptées par le Baromètre sécuritaire du Kivu (Kivu Security Tracker, KST), une initiative conjointe de Human Rights Watch et du Groupe d’étude sur le Congo. "Certaines sources affirment [que le bilan] était en réalité de dix, sans que nous n’ayons à ce stade assez d’éléments pour le confirmer", a déclaré à l'AFP Pierre Boisselet, coordonnateur de ce projet. "Mais en tout cas, le chiffre de 80 est faux", a-t-il assuré. Selon lui, il est "très courant" que des bilans plus élevés que la réalité circulent juste après une attaque. "Les gens diffusent les chiffres plus ou moins vérifiés du nombre de disparus, en suggérant qu'ils ont tous été tués", a-t-il expliqué, "alors qu'en fait, fort heureusement, quand il y a une attaque, les gens s'enfuient dans la brousse [...], on ne les retrouve peut-être pas tout de suite". Les victimes étaient des hommes, et "deux de ces quatre victimes étaient des commerçants", selon Pierre Boisselet, qui cite une source journalistique locale en contact avec le KST.

L'expert a également confirmé que le mode opératoire de cette attaque "peut tout à fait laisser penser" à celui des ADF, que l'on peut voir à l'oeuvre sur d'autres axes de cette zone. Cet assaut précis n'a pas été revendiqué, car le groupe armé ne revendique pas souvent ceux qu'il mène, a souligné le spécialiste. "L'Etat islamique [qui les présente comme une branche locale, ndlr] le fait parfois", mais il est difficile, selon Pierre Boisselet, de savoir si le groupe islamiste est bel est bien derrière les faits revendiqués.

Plus de 1.200 civils tués au Nord-Kivu et en Ituri en 2021 

Cette attaque s'inscrit dans un contexte plus large de violences qui règnent dans l'est de la RDC. En mai, les provinces orientales du Nord-Kivu et de l'Ituri ont été placées par les autorités congolaises sous état de siège, mesure exceptionnelle visant à mettre fin aux activités des groupes armés présents depuis 25 ans dans l'est de la RDC, notamment les ADF. Depuis janvier, 642 personnes ont été tuées par ce groupe au Nord-Kivu et en Ituri, d'après le dernier décompte du Baromètre sécuritaire du Kivu.

Plus de 1.200 civils ont été tués cette année dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri, s'est par ailleurs alarmé le 10 septembre le Haut commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR), soulignant que des millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire dans cette partie de l'est de la République démocratique du Congo.

Le HCR indique également avoir "enregistré 25.000 violations des droits humains cette année" et "plus d'un million de Congolais déplacés à l'intérieur de l'est du pays". Cette agence onusienne appelle à des mesures urgentes pour protéger les civils et à davantage de soutien de la communauté internationale. "À moins de quatre mois de la fin de l'année, nous n'avons reçu que 51% des 205 millions de dollars nécessaires en 2021 pour l'opération en RDC", a noté le HCR.

Un état de siège pour l'instant inefficace

Pour autant, l'établissement d'un état de siège au Nord-Kivu et en Ituri en mai a-t-il pu changer la donne ? "Malheureusement, l'état de siège n'a pas permis de changer la situation, surtout pas dans cette zone", balaye Pierre Boisselet, du KST.  "Le nombre de civils tués semble même en augmentation par rapport à l'année dernière", note-t-il, avant de conclure que la déclaration de cet état de siège par le président congolais n'a eu "aucun effet positif sur le nombre de civils tués par les ADF". 

La nomination par le président Félix Tshisekedi d'un coordonnateur national, Emmanuel Tommy Tambwe Rudima, à la tête du nouveau Programme de Désarmement, Démobilisation et Relèvement communautaire et Stabilisation (P-DDRCS), le 7 août, pourrait néanmoins changer les choses. "Depuis l'échec du troisième Programme de Désarmement, démobilisation et réintégration [...], qui devait commencer en 2015 mais n'a jamais véritablement vu le jour", analyse le KST dans cet article, "le pays n'avait plus eu de programme de cette nature". L'initiative conjointe de HRW et du Groupe d'étude sur le Congo conclut néanmoins qu'améliorer la situation ne "sera pas une mince affaire".



Marion Lefèvre, AFP République démocratique du Congo
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