D'où viennent les 52 milliards d'euros de pouvoir d'achat vantés par LREM ?

  • Publié le 24 septembre 2021 à 14:51

En présentant son budget 2022, l'exécutif a chiffré la baisse de la fiscalité des ménages à 26 milliards d'euros sur le quinquennat. Dans le même temps, des députés LREM assurent que ces réformes conduisent à une hausse du pouvoir d'achat de 52 milliards d'euros sur cette période. Ce dernier chiffre et son interprétation prêtent toutefois à confusion, selon des experts.

A environ six mois de la présidentielle, la bataille du pouvoir d'achat est déjà lancée et a connu une étape de poids avec la présentation cette semaine du projet de budget pour 2022. Défendant le bilan du président Macron, le gouvernement a avancé un chiffre-clé dans ses documents officiels: la baisse des prélèvements obligatoires des ménages a atteint 26 milliards d'euros depuis 2017, notamment grâce à la suppression progressive de la taxe d'habitation (TH) et de la baisse de l'impôt sur le revenu (IR).

Evoquant ces deux réformes économiques phares, plusieurs députés LREM, dont le patron du parti présidentiel Stanislas Guérini, ont assuré qu'elles conduisaient à elles seules à augmenter le pouvoir d'achat de 52 milliards d'euros.

Ce chiffrage, sans être factuellement inexact, déroge toutefois aux règles budgétaires classiques au risque d'introduire une confusion, selon un économiste et un ancien rapporteur de la Cour des comptes interrogés par l'AFP.

D'où vient ce chiffre?

Ces 52 milliards d'euros proviennent d'une simulation établie par la Direction générale des finances publiques (DGFIP), qui dépend du ministère de l'Economie et des Finances. Alors que le coût d'une réforme fiscale est traditionnellement calculé sur une année, la DGFIP procède, ici, différemment: elle a additionné les sommes qui n'auront pas été prélevées chez les contribuables du fait de la suppression progressive de la Taxe d'Habitation (qui sera complète en 2023) et de l'allègement de la première tranche de l'impôt sur le Revenu, de 14 à 11%.

Pour ce faire, elle a calculé l'effet de ces réformes depuis l'année de leur entrée en application --2018 pour la Taxe d'habitation, 2020 pour l'Impôt sur le revenu-- jusqu'à l'élection présidentielle de 2022. Et arrive au chiffre de 52 milliards d'euros en cumulant 39 milliards au titre de la taxe d'habitation et 13,1 milliards pour l'impôt sur le revenu, selon les documents de la DGFIP consultés par l'AFP.

Ce mode de calcul, qui a été repris dans plusieurs médias, fait tiquer les experts interrogés par l'AFP.

"Cette méthode n'est pas absurde mais elle induit de la confusion parce que la plupart des chiffrages budgétaires se font en montant annuel donc si on commence à faire des cumuls sur plusieurs années, ça trouble les esprits et ça aboutit à des chiffres énormes", explique François Ecalle, ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques et ancien membre du Haut Conseil des finances publiques.

De fait, dans la présentation du projet de loi de finances 2022, le gouvernement lui-même avance les chiffres sur une année précise pour vanter les bienfaits de ses réformes et la baisse des prélèvements de 26 milliards.

"Depuis 2017 et à horizon 2022, les principales mesures fiscales nouvelles concernant les ménages impliquent une
réduction des prélèvements obligatoires de 26 Md€ sur le quinquennat. Les ménages ont notamment bénéficié de la
suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales pour un montant de 15,7 Md€ (18,5 Md€ d’ici 2023,
lorsque la suppression sera complète), de l'allègement du bas de barème de l'impôt sur le revenu (-5,4 Md€), et de la
défiscalisation et de l'exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires (-3,6 Md€)".

Les années précédentes, pour mesurer par exemple l'impact de la réforme de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) --transformé en Impôt sur la fortuné immobilière (IFI) en 2018--, le gouvernement avait avancé le chiffre d'une baisse de 3,2 milliards d'euros d'impôts au bénéfice des ménages aisés mais n'a pas calculé le cumul de cette somme sur l'ensemble du quinquennat.

Extrait du rapport économique et financier du projet de budget 2021.

L'autre problème posé par ce mode de calcul est l'absence "d'horizon temporel", selon l'expression de Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). "La DGFIP a calculé les sommes non-prélevées jusqu'à l'élection de 2022 mais le problème c'est qu'on pourrait appliquer ce calcul jusqu'à la fin des temps, tant que ces réformes restent en vigueur", analyse-t-il.

Contactée par l'AFP, la DGFIP n'a pas souhaité faire de commentaires.

Peut-on parler de gain de pouvoir d'achat?

Cette affirmation fait tiquer les experts consultés par l'AFP, qui assurent qu'on peut parler de "gain fiscal" mais qu'il est abusif de parler de gain de pouvoir d'achat.

Le "pouvoir d'achat du revenu disponible brut des ménages", qui a augmenté de 0,4% en 2020 malgré la crise sanitaire après +2,6% en 2019 (selon l'Insee), dépend du revenu disponible des ménages et de l'évolution des prix, comme l'explique le ministère de l'Economie sur son site.

Si on voulait apprécier l'apport des 52 milliards de gain fiscal, il faudrait donc notamment le mettre en relation avec les revenus cumulés des ménages sur cinq ans, assure Mathieu Plane. "D'habitude le pouvoir d’achat est mesuré sur une année pendant laquelle on regarde l’évolution du revenu dégagé mais pas sur cinq années", explique-t-il. Pour avoir un ordre de grandeur, il faut savoir que le revenu disponible (salaires, prestations sociales...) des Français s'élevait en 2020 à près de 1.500 milliards d'euros, selon l'Insee.

Il faudrait également mesurer l'évolution des prix sur cette période. La récente hausse des prix de l'énergie a d'ailleurs remis le pouvoir d'achat au coeur du débat, les oppositions reprochant au gouvernement de ne pas en faire assez et rivalisant de propositions sur le sujet, comme l'expliquait l'AFP ici.

Joint par l'AFP, le cabinet du ministre de l'Economie Bruno Le Maire insiste d'ailleurs pour souligner que ces 52 milliards d'euros correspondent bien aux sommes non-prélevées entre 2017 et 2022 mais qu'il ne s'agit pas de 52 milliards de baisses d'impôts ou de hausse du pouvoir d'achat.

Dans leur commentaire qui accompagnait les chiffres de la DGFIP, Bruno Le Maire et son homologue des Comptes publics Olivier Dussopt sont restés sur cette ligne en prenant notamment soin de ne pas parler de pouvoir d'achat. "Les promesses du président de la République sont tenues : les impôts des Français ont baissé, indiquaient-ils. Sur l'ensemble du quinquennat, c'est plus de 50 milliards d'euros d’impôts qui n'ont pas été prélevés à nos concitoyens."



Jérémy Tordjman, AFP France
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