Attention aux affirmations trompeuses de ce médecin luxembourgeois sur les vaccins anti-Covid et les thromboses

  • Publié le 6 octobre 2021 à 18:51

Dans une vidéo partagée plusieurs milliers de fois sur les réseaux sociaux depuis le 1er octobre, un médecin luxembourgeois affirme que les personnes vaccinées risquent de "faire des micro thromboses partout dans le corps" et d'en mourir "l'année prochaine", expliquant avoir relevé un taux de D-dimères - marqueur possible de thromboses - "au dessus des normes" chez 1 patient vacciné sur 5. Mais "l'augmentation des D-dimères n’est pas spécifique des thromboses", comme l'ont expliqué à l’AFP le Groupe Français d'études sur l'Hémostase et la Thrombose (GFHT) et plusieurs experts.

"D-dimère très élevé chez les piqués", annonce la légende de cette vidéo partagée plus de 5.700 fois sur Facebook depuis le 1er octobre. A l'écran, le Dr Benoit Ochs affirme qu'"un patient sur cinq" aurait des D-dimères "au dessus des normes", avant de conclure qu'"il y a un risque que ces personnes fassent des micro thromboses partout dans le corps et à force, meurent toutes l’année prochaine." Il affirme également que l'on trouve de nombreuses thromboses dans les placentas de femmes enceintes. Ses affirmations sont également reprises sur Twitter.

En effectuant une recherche d'image inversée, on peut trouver que la vidéo de deux minutes est en réalité extraite d'une interview du Dr. Ochs dans l'émission Ondes de Choc diffusée en ligne et animée par Richard Boutry, ex-journaliste du service public, comme le montre la capture d'écran ci-dessous. L'AFP a déjà vérifié des fausses informations diffusées par M. Boutry, comme ici ou .

Qui est Benoît Ochs?

Benoît Ochs est médecin généraliste au Luxembourg. En juillet 2021, il a été interdit d'exercer pendant un an par le conseil de discipline du Collège médical luxembourgeois, pour avoir enfreint le code de déontologie, comme l'explique cet article du quotidien luxembourgeois Wort. Il a notamment administré des traitements non autorisés à ses patients atteints du Covid-19 et qualifié la vaccination des enfants d'"infanticide". L'avocat du médecin a affirmé qu'il comptait faire appel.

Selon nos confrères de Marianne, "Benoît Ochs s’inspire des figures critiques de la gestion de la pandémie en France, et vante notamment les mérites de Didier Raoult : "Je ne pense pas que Raoult soit le meilleur, mais ses résultats sont les meilleurs en termes de mortalité !". Il admire aussi Louis Fouché. Ce médecin, figure des mouvements corona-sceptiques en France s'est fait connaître pour ses prises de position tranchées sur la crise sanitaire : masques jugés « toxiques », confinement comparé à des « camps » ou risque de stérilité de la population du fait de la vaccination. « Des informations scientifiques intéressantes et importantes », selon Benoît Ochs, qui a rejoint le Collectif Reinfo Covid dont Louis Fouché est l'initiateur. "

Un taux de D-dimères peut être élevé pour plusieurs raisons

Dans la vidéo, Benoit Ochs affirme que les taux de D-dimères élevés sont une conséquence du vaccin."Les D-dimères sont des produits de la dégradation de la fibrine des caillots, a expliqué le 15 juillet à l'AFP Marie-Antoinette Sevestre-Pietri, présidente de la Société Française de Médecine Vasculaire.Donc quand on a un caillot de sang, on peut avoir des D-dimères circulant à un taux significatif qui peuvent être mesurés".Pour cette raison, un dosage de D-dimères, qui s'effectue par un prélèvement sanguin, peut être prescrit par un spécialiste lorsqu'il suspecte la présence d'un caillot sanguin.

Seulement, "ce n’est pas parce que l’on a un taux de D-dimères élevé que l’on a une thrombose", a nuancé le 20 juillet auprès de l'AFP le Dr Nicolas Gendron, médecin au service d'hématologie de l'hôpital Georges-Pompidou. "Si le taux de D-dimères est en-dessous d'un seuil significatif, ça veut dire qu’il n’y a pas de trace d’activation de la coagulation chez la personne, et on peut exclure la thrombose d'un diagnostic. Mais si le taux de D-dimères est élevé, cela ne veut pas dire qu’il y a une thrombose,cela veut dire que la suspicion n’est pas levée et qu'il faudra faire des examens complémentaires, comme un scanner, pour le confirmer", poursuit le Dr Gendron. En d'autres termes, un patient qui fait une thrombose aura très probablement un taux de D-dimères élevé mais un patient présentant un taux de D-dimères élevé n'aura pas nécessairement une thrombose.

Car "l’augmentation des D-dimères n’est pas spécifique des thromboses", a précisé le 19 juillet à l'AFP le Groupe de la Société Française d'Hématologie (GFHT). Les D-dimères "augmentent avec l’âge, chez les femmes enceintes et dans de nombreuses situations pathologiques comme les infections bactériennes ou virales même bénignes", note le GFHT.

Même si un taux de D-dimères était élevé chez des patients vaccinés, cela ne serait pas forcément un signal inquiétant. "Lorsque vous vous faites vacciner, il y a souvent une inflammation : on a un peu de fièvre, des courbatures donc ça traduit une réaction de l’organisme qui est heureuse puisqu'elle prouve que le vaccin fonctionne", précise Marie-Antoinette Sevestre-Pietri. Or une réaction inflammatoire va entraîner un taux de D-dimères élevé mais ça ne signifie pas qu'il y aura une thrombose pour autant". "A ce jour, aucune donnée scientifique ne permet de prédire un effet délétère d’une augmentation isolée des D-dimères", atteste le GFHT.

Aucune preuve

Dans la vidéo devenue virale, Benoit Ochs se base sur ce qu'il a observé chez ses propres patients pour dire que les D-dimères augmentent à cause du vaccin. Il affirme qu'"un patient sur cinq" serait concerné. Il ne détaille aucun protocole scientifique et ne fournit aucune preuve.

Le médecin luxembourgeois affirme qu'"une trentaine (de ses patients vaccinés) ont plus de 3.000 de D-dimères" au lieu de 500 et qu"'à 3.000 de D-dimères vous êtes en train de thromboser toutes vos petites artères." Mais comme l'a expliqué Marie-Antoinette Sevestre-Pietri à l'AFP le 7 octobre, "il n'y a pas de taux normal de D-dimères." Ils peuvent augmenter avec l'âge et fixer un seuil de 500 comme le Dr Ochs est trompeur. "Ils sont un marqueur biologique utile dans plein de circonstances. On l'utilise en cas de suspicion de thrombose, phlébite ou embolie pulmonaire, en se disant que si c'est inférieur à 500, il n'y a pas de thrombose, donc on utilise le négatif pour exclure l'existence d'une thrombose, mais si c'est supérieur à 500, on ne peut rien dire."

Le Dr Gendron abonde en ce sens : "Le seuil de 500 ng/mL évolue, après 50 ans, c’est notre âge fois dix. Donc, si vous avez 60 ans c’est 600, si vous avez 70, c'est 700, 80, c'est 800 etc." Il ajoute que “dans le cas d’une suspicion clinique d’embolie pulmonaire (avec des symptômes), s’ils sont élevés, ça ne veut pas dire que vous avez une embolie pulmonaire, ça veut dire qu’on ne peut pas exclure une embolie pulmonaire, et on doit vous faire un scanner. C’est un examen en fait qui sert à économiser les scanners et à économiser du temps aux urgences.”

Avec le Covid-19, les D-dimères ont été observés car "des taux élevés peuvent être un marqueur d'évolution défavorable mais avec plein d’autres choses", ajoute Marie-Antoinette Sevestre-Pietri. “Les chiffres cités ne me choquent pas. Depuis le Covid, on trouve des taux très élevés, on a vu des taux à plus de 100.000. Dans ce cas, ils peuvent indiquer l’aggravation d’un cas de Covid, ou bien s’ils sont très élevés dès le début, on en déduit que c’est un cas de Covid grave,” affirme Nicolas Gendron pour sa part. "Parfois on nous adresse des patients qui ont des D-dimères élevés, à cause d’une inflammation, d’un cancer ou sans raison apparente, et ce n’est pas pour cela qu’ils vont mourir dans l’année," ajoute-t-il.

A l'inverse, une étude italienne de juin 2021 relue par les pairs et portant sur le suivi de 30 patients ayant reçu une première, puis une seconde dose de Pfizer-BioNTech conclut qu'il n'y a pas d'augmentation du taux de D-dimères, ni aucun autre signe d’activation de la coagulation chez les personnes vaccinées, comme on peut le lire sur la capture d'écran ci-dessous.

Capture d'écran réalisée le 06/10/21.

Le Dr Ochs affirme également que l'on trouve de nombreuses thromboses dans les placentas de femmes enceintes.

Une étude publiée le 11 mai par l'université américaine de Northwestern a conclu que les vaccins contre le Covid-19 n'abimaient pas les placentas des femmes enceintes. "Le placenta est comme la boîte noire d'un avion. S'il y a un problème pendant la grossesse, nous constatons généralement des changements dans le placenta qui nous aident à comprendre ce qu'il s'est passé", explique l'un des auteurs le Dr. Jeffrey Goldstein, professeur adjoint de pathologie à l'école de médecine de l'Université Northwestern. "Selon ce que l'on voit, les vaccins anti-Covid n'abîment pas le placenta." L'étude a porté sur 84 patientes vaccinées, avec Moderna ou Pfizer, et 116 patientes non vaccinées qui ont accouché au Prentice Women's Hospital à Chicago.

"L’étude montre qu’il n’y a pas plus de thrombus, ce qui dit qu’il y en a quand même quand on ne vaccine pas," constate Nicolas Gendron. Selon Marie-Antoinette Sevestre-Pietri, "les D-dimères sont plus élevés pendant la grossesse de façon générale, avec le placenta, la présence d'un organisme vivant, la production de protéines de coagulation est plus importante."

La grossesse est un phénomène où vous êtes à risque de faire des thromboses. C’est connu. Certaines femmes réagissent à l’augmentation des oestrogènes en thrombosant. Le but physiologique de la grossesse c’est d’éviter une hémorragie post-partum, les D-dimères augmentent car le but du corps est que le jour de l'accouchement, la personne enceinte soit procoagulante et évite une hémorragie,” explique Nicolas Gendron.

Thrombose et vaccination : un effet secondaire "très rare"

En avril, l'Agence européenne du médicament (AEM ) a indiqué que les caillots sanguins devaient être répertoriés comme un effet secondaire "très rare" des deux vaccins à vecteur viral, AstraZeneca et Janssen, mais ce n'est pas le cas pour les vaccins à ARN messager de Moderna et Pfizer/BioNTech. L'AEM a reconnu "un lien possible" entre les vaccins d'AstraZeneca et Janssen et "de très rares cas de caillots sanguins inhabituels associés à des plaquettes sanguines basses", tout en estimant dans les deux cas que les bénéfices l'emportent sur les risques. Pour le vaccin AstraZeneca, l'agence estimait en avril le risque de tels caillots à 1/100 000.

De plus, les hématologues interrogés par l'AFP tiennent à rappeler que le Covid-19 favorise les risques de thrombose veineuse cérébrale, une conséquence de la maladie souvent occultée. Une étude publiée en avril par l'université d'Oxford conclut même que le risque de développer un caillot de sang cérébral serait 10 fois plus élevé après avoir contracté la maladie qu'après une injection anti-Covid.

Infographie sur la thrombose veineuse cérébrale, lorsqu'un caillot bloque l'afflux sanguin du cerveau ( AFP / Gal ROMA, Sophie RAMIS)

L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) note concernant l'ensemble des quatre vaccins autorisés dans son dernier point de situation du 13 septembre 2021, mis à jour le 5 octobre 2021, que "depuis le début de la vaccination, 48 923 cas d’effets indésirables ont été analysés " sur "plus de 71 206 000 injections réalisées". "La majorité des effets indésirables sont attendus et non graves", rapporte l'agence sanitaire. La France a atteint le seuil des 50 millions de primo-vaccinés le 17 septembre 2021, rattrapant son retard sur ses voisins européens.

Comparaison de l'évolution de la part de la population ayant reçu au moins une dose de vaccin contre le Covid-19 au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne, en Italie et en France depuis le 1er janvier, selon un comptage de l'AFP à partir des bilans fournis pas les autorités ( AFP / Kenan AUGEARD, Laurence SAUBADU)


Astrig AGOPIAN, AFP France
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1 Commentaires
ambellir
ambellir
2 ans

Il y a une erreur dans votre article.Vous écrivez que "concernant l'ensemble des quatre vaccins depuis le début de la vaccination, il y aurait seulement 48.923 cas d'effets indésirables ont été analysés sur plus de 71 206 000 injections". Relisez le document : en réalité à cette date de septembre 2021 c'était 84.501 effets indésirables pour l'ensemble des 4 vaccins... 48923 c'est le chiffre uniquement chez Pfizer.