Non, des avions n'ont pas répandu de produits chimiques anti-Covid 19 en Espagne

  • Publié le 20 octobre 2021 à 18:22

Selon des publications partagées plusieurs milliers de fois, quatre employés de l'Agence de météorologie espagnole (AEMET) auraient "admis" la pulvérisation par des avions de produits chimiques dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de coronavirus. Attention : il s'agit d'une affirmation qui a commencé à circuler en 2014, donc bien avant la pandémie, et qui a été démentie à la fois par la Commission européenne et l'AEMET. L'interview dans laquelle cette affirmation aurait été assénée, est par ailleurs introuvable.

"Quatre employés de l’agence météorologique nationale ont avoué que les avions répandent du dioxyde de plomb, de l'iodure d’argent et de la diatomite dans toute l'Espagne et en Europe", écrit l'auteur d'un article publié le 28 septembre et dont le contenu a été relayé depuis plusieurs milliers de fois dans plusieurs langues sur Facebook ou Twitter, y compris en français.

Cet article, qui mentionne la théorie des "chemtrails" selon laquelle les traînées d'avions visibles dans le ciel sont la trace de produits chimiques répandus délibérément pour des raisons secrètes, est notamment repris dans plusieurs publications en espagnol, anglais , arabe , italien , allemand , portugais et catalan.

Qu'en est-il réellement? Selon un porte-parole de l'AEMET Juan Esteban Palenzuela, cette affirmation est loin d'être nouvelle et remonte à plusieurs années déjà. "Cette information est déjà apparue il y a quelques années" et est "récurrente" , "surtout en période de sécheresse", a-t-il déclaré à l'AFP.

Une rapide recherche par mot-clé sur les réseaux sociaux permet en effet de retrouver des publications Facebook remontant à 2014 et mentionnant des "travailleurs de l'institut de météorologie" qui auraient "avoué dans le cadre d'un rapport à l'Union européenne que toute l'Espagne est en train d'être aspergée avec (du dioxyde de plomb)".

Selon ces publications, l'information aurait été révélée par la radio Cadena Ser et l'objectif du projet serait "d'éviter les pluies et de pouvoir faire grimper les températures afin de créer un environnement climatique estival pour le tourisme".

Or, cette interview est introuvable sur le site de la radio. Une recherche par mot clé sur le site et sur Google n'aboutit à aucun résultat. Contactée par l'AFP, Cadena Ser n'avait pas répondu dans l'immédiat.

Ce même message a par la suite continué de se propager en 2015 , 2016 , 2018 et 2019 , en faisant toujours mention de "l'institut météorologique", pourtant dissous en 2008 et dont les missions ont été en grande partie reprises par l'Agence météorologique d'État, l'AEMET.

"On n'a jamais pu trouver ce programme et la seule chose qu'on a pu trouver ce sont des forums de groupes qui défendent l'existence de la théorie des chemtrails", souligne le porte-parole de l'AEMET. La seule différence entre la publication de fin septembre et celles remontant à 2014 "c'est que désormais la question de la pandémie est évoquée", ajoute-t-il.

Selon l'outil de mesure d'audience des réseaux sociaux CrowdTangle, l'article, qui a été initialement publié le 28 septembre en espagnol sur le site Alerta Digital, a été partagé sur Facebook plus de 1.600 fois. Il y est fait référence dès le premier paragraphe à la théorie des "chemtrails", contraction de "chemical trail", ou "traînée chimique", selon laquelle les traînées d'avions visibles dans le ciel sont la trace de produits chimiques répandus délibérément pour des raisons secrètes.

Or, ces traînées sont tout simplement le produit de la condensation de vapeur d'eau dégagée par les moteurs d'avions, ont souligné auprès de l'AFP ces derniers mois des spécialistes du sujet.

"Quand on voit des traînées blanches, il s'agit de condensation, des gouttelettes d'eau liquide" dont la durée et la taille dépendent "des conditions très locales de température et de pression", expliquait ainsi auprès de l'AFP le 24 mars 2021 la directrice de l'observatoire physique du globe de Clermont-Ferrand, Nathalie Huret.

En janvier 2021, le professeur Xavier Gimenez, du département de science des matériaux et de physique chimie (UB) avait quant à lui assuré à l'AFP qu'il n'y avait aucune opération visant à asperger, par le biais d'avions, la population de produits chimiques.

Dans la même veine, le Keith Group de l'université Harvard a publié un article sur les "chemtrails" dans lequel il juge cette théorie infondée. Ces conclusions sont similaires à celles contenues dans l' étude 2018 du magazine Nuevo Hospital du Complejo Asistencial de Zamora, en Espagne.

Loin d'être nouvelle, cette théorie a contraint en septembre 2.000 différentes institutions, comme l'Environmental Protection Agency (EPA), la Federal Aviation Administration (FAA), la National Aeronautics and Space Administration (NASA) et la National Oceanic Administration and Atmosférica (NOAA) à faire une déclaration conjointe pour répondre aux "multiples demandes" sur ce sujet.

En Espagne, l'AEMET a quant à elle mis en ligne un document explicatif sur les traînées de condensation.

Revenons à l'article relayé fin septembre 2021 sur les réseaux sociaux. Il renvoie à une question posée le 19 mai 2015 par l'eurodéputé catalan Ramon Tremosa, du groupe parlementaire Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE) à la Commission européenne.

L'élu y évoque notamment les "confessions" de quatre membres de l'institut de météorologie, en renvoyant via un lien vers un article de 2015 relayant cette rumeur.

S'il évoque la question de l'eurodéputé, l'article d'Alerta Digital ne fait aucune mention du démenti apporté le 16 juillet 2015 par la Commission européenne. "La Commission a enquêté sur la question avec les autorités espagnoles et n'a trouvé aucune preuve des allégations relatives à un plan de géo-ingénierie militaire visant à changer le climat en Espagne", peut-on lire.

( AFP / JAIME REINA)

L'Espagne a-t-elle par ailleurs autorisé l'utilisation des "chemtrails" comme l'affirme l'auteur de l'article ? Ce dernier mentionne une autorisation du ministère de la Santé accordée aux unités nucléaires, biologiques et chimiques (NBQ) des forces armées et à l'Unité militaire d'urgence (UME) pour l'utilisation des biocides un mois après le début de l'état d'alerte imposé pour faire face à la pandémie de Covid-19.

Cette approbation figure au Journal officiel (BOE) du 17 avril 2020. Les biocides mentionnés dans le BOE sont ceux qui figurent dans le décret royal 830/2020 , qui établit les "règlements réglementaires pour la formation à la réalisation de traitements avec des biocides" . Ceux-ci sont détaillés dans une liste disponible sur le site du ministère de la Santé, qui comprend la liste des produits virucides autorisés, leur utilisation et leur application. Selon l'élément à désinfecter et les caractéristiques du produit biocide, il existe deux techniques d'application : par contact et par voie aérienne (nébulisation, nébulisation thermique et micro-buée).

Aucun de ces documents ne mentionne le dioxyde de plomb, l'iodure d'argent ou la diatomite.

Contacté par l'AFP, un attaché de presse du ministère espagnol de la Santé assure qu'"aucun biocide de ce type n'a jamais été fumigé à partir d'avions".

Tous les produits inclus dans la liste "sont utilisés dans la désinfection d'éléments spécifiques comme indiqué dans l'ordonnance SND / 351/2020, qui cite la désinfection d'installations telles que les centres sociaux résidentiels , les prisons, les centres de gestion du trafic, etc.", ajoute-t-il.

"Tous les biocides ont été évalués à la fois par le ministère de la Santé du point de vue de la santé humaine et par le ministère de la Transition écologique du point de vue de l'environnement", précise par ailleurs le porte-parole. "De plus, leur étiquetage indique clairement à la fois la classification de danger et les usages auxquels ils sont destinés et la forme d'application".



Adrià Laborda, AFP France
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