Non, une boisson à base de chardon ne soigne pas les hépatites

  • Publié le 21 octobre 2021 à 19:59

Une publication partagée plus de 52.000 fois sur Facebook depuis avril 2020 affirme qu'une préparation à base de chardon permet de guérir les hépatites virales A,B,C, qui se manifestent par une inflammation du foie. Il suffirait de "faire bouillir" cette plante avec d’autres ingrédients cités dans le post viral. Mais les spécialistes de santé contactés par l’AFP soulignent qu'il n'y a aucune preuve scientifique permettant de croire à l'efficacité d'une telle préparation et mettent en garde contre les "recettes miracles" proposées sur internet.

Capture d'écran d'une publication virale sur Facebook, réalisée le 20 octobre 2021

"Ne vous faites plus jamais escroquer. L'hépatite A, B, C se soigne en moins de 21 jours", affirme l’auteur de ce post viral publié sur Facebook le 27 avril 2020. Sa "recette miracle" s'appuie sur une plante épineuse montrée en photo. D'après une recherche d’image inversée sur Google, il s'agit d'un chardon aux ânes ou chardon-marie (Onopordum acanthium, de son nom scientifique). 

Selon ce message viral, repris par de nombreuses pages en Afrique subsaharienne (1,2,3,4…), il suffit de faire bouillir ce chardon dans 5 litres d’eau, avec 50 clous de girofle, 20 dattes et du vinaigre rouge. "Fermentez pendant 3 jours et buvez un verre matin et soir", indique l'auteur de cette publication, qui reçoit ainsi des centaines de messages de remerciements. "Merci, voilà à quoi servent les réseaux sociaux", félicite par exemple une internaute.

Si cette recette miracle déclenche tant de réactions, c'est parce que les hépatites représentent un grave problème de santé publique. Elles sont principalement causées par un virus qui attaque le foie, organe chargé de filtrer et purifier le sang, et peuvent déboucher sur une cirrhose ou un cancer. Elle peuvent être mortelles.

"325 millions de personnes avec l'hépatite B et/ou C"

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime "que 325 millions de personnes dans le monde vivent avec l’hépatite B et/ou C, et pour la plupart, le dépistage et le traitement restent hors de portée".

Les hépatites B et C sont les plus meurtrières. La B se trouve essentiellement en Afrique subsaharienne et Asie du sud-est, alors que la C est surtout en Afrique du nord et dans le sous-continent indien, selon une vidéo de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les hépatites.

"On ne reconnaît pas à la plante appelée chardon-marie de vertus thérapeutiques scientifiquement prouvées sur les hépatites”, indique Dr Casimir Manzengo, conseiller régional chargé du programme de lutte contre les hépatites virales à l’OMS-Afrique. Il souligne que les hépatites (A,B,C,D,E) sont causées par cinq virus qui nécessitent des principes thérapeutiques différents. 

La science dénombre en effet cinq principaux types d’hépatites : A, B, C, D, E. Leurs symptômes: fièvre, fatigue, baisse de l’appétit, coloration jaune de la peau et du blanc des yeux et coloration foncé des urines, puis nausées, vomissements, comme énumérés dans la vidéo de l'Inserm, diffusée en juillet 2016 sur Youtube.

"A lui seul, le virus de l’hépatite C peut prendre 6 formes différentes et toutes ne se soignent pas de la même façon", indique l’Inserm dans cette vidéo. 

En revanche, précise Dr Casimir Manzengo, globalement, le traitement homologué et établi contre l’hépatite B est le ténofovir  que le malade prend à vie. Pour la C, ce sont les antiviraux à action directe (combinaison de médicaments). Le traitement homologué sur le virus de l’hépatite B, vise selon l'OMS, à ralentir la progression de la cirrhose, réduire l’incidence des cancers du foie et améliorer la survie à long terme. Quant à l’hépatite A, moins grave que les deux précédentes, "il n’existe pas de traitement spécifique", note l’OMS. Dans ce cas, précise l’institution, "en l’absence de défaillance hépatique aiguë, l’hospitalisation n’est pas nécessaire". “Il faut parfois attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour que les symptômes disparaissent". 

"Il n’existe pas de recette miracle contre les hépatites"

Pourtant, les "recettes miracles" restent prisées par les malades, comme en témoignent des responsables d’associations de sensibilisation sur les hépatites.  

"Nous voyons beaucoup de publications de recettes censées guérir les hépatites virales et qui n'ont aucune preuve scientifique sinon que de maintenir les gens dans l'ignorance et qui peuvent les conduire dans les complications telles que la cirrhose ou le cancer", déplore Justine Yara, présidente de l’association SOS hépatites au Burkina Faso. Ibrahima Gueye, président de l’association sénégalaise “Safaara Hépatites" constate aussi que de nombreux malades ont de plus en plus recours aux plantes dites médicinales et autres potions concoctées par des tradi-praticiens. 

"C’est surtout du fait d’une ignorance de la maladie de la part des patients, note-t-il. Ces tradi-praticiens leur font miroiter un espoir de guérison avec des boissons sans dosage expérimenté et non adossées à l’état d’avancement du virus dans l’organisme du malade", explique-t-il. Ibrahima Gueye confie que certains malades se laissent ainsi convaincre par les tradi-praticiens parce que certaines plantes peuvent "cacher les marqueurs de l’hépatites B et donner lieu à un test sérologique négatif alors que la maladie est bien présente et va revenir de plus belle"

En ce qui concerne la préparation à base de chardon aux ânes, "je n'ai pas connaissance de cette recette dans les phytothérapies anti-hépatite", déclare Dr Patrice Eméry Itoudi, hépatologue et gastro entérologue, par ailleurs secrétaire général adjoint de la Société gabonaise des maladies de l'appareil digestif

"Il faut se méfier de ces plantes prétendant soigner les hépatites sans étude fiable au préalable. De mon expérience de médecin, les malades se réfèrent d’abord aux tradi-praticiens et arrivent à l’hôpital dans un état aggravé ; au stade de l’encéphalopathie (complication de l’insuffisance hépatique)", regrette le Dr Maurice Rocher Mbella, chef du service des luttes contre les Infections sexuellement transmissibles (IST) et les hépatites, au ministère camerounais de la Santé publique.

Il existe pourtant des traitements homologués comme mentionnés précédemment. Même si la science a nettement allégé le traitement des hépatites, jadis lourd et long. Mais le coût des soins reste exorbitant, notamment pour les malades des pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-est. 

Un traitement coûteux pour les pays à faibles revenus 

Dans la vidéo de l’Inserm, le Pr Arnaud Fontanet, médecin épidémiologiste à l'Institut pasteur, en France, expliquait déjà que les traitements contre l’hépatite C "sont beaucoup plus simples, quasiment sans effets secondaires et surtout très efficaces puisqu'ils éradiquent le virus de l’hépatite C dans 95% des cas". 

Mais il s'agit de traitements difficiles à obtenir, car très onéreux. "Le traitement contre les hépatites C était très cher par le passé", explique Dr Casimir Manzengo, de l’OMS. "Mais de 1.000 dollars pour une cure de trois mois, il est descendu jusqu’à 60 dollars pour les médicaments génériques des firmes pharmaceutiques basées en Inde, en Egypte", pays parmi les plus atteints au monde par l’hépatite C. 

Le Dr Manzengo note que pour l’hépatite B, le traitement en médicaments génériques est passé à 23 dollars par an. Cependant, "il n’y a malheureusement pas encore de bailleurs de fonds pour aider les pays à acheter ces médicaments ; contrairement au VIH et à la tuberculose dont le traitement bénéficie d’une subvention internationale grâce au Fonds mondial".

Dr Manzengo explique qu’au Cameroun, par exemple, le traitement contre l’hépatite C pour trois mois coûte 500 dollars contre 50 dollars en Egypte. "Pour le moment, les pays africains engagés et avancés dans l'élimination des hépatites sont l’Egypte et le Rwanda", constate-t-il. 

En plus du challenge de la baisse des coûts de traitement, il faut également "mettre l'accent sur l’information, la communication de proximité sur les moyens de prévention, le diagnostic et l’offre de soins", conclut Dr Maurice Mbella, du ministère camerounais de la Santé publique.



Monique Ngo Mayag, AFP Sénégal
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