Non, cette photo ne montre pas des "tonnes d'équipements militaires" russes tout juste livrées au Mali

  • Publié le 25 novembre 2021 à 20:45

Une photo partagée plus de 4.000 fois depuis le 19 novembre sur Facebook prétend montrer "des tonnes d'équipements militaires de dernière génération" livrées par la Russie à "l'aéroport de Bamako" au Mali. Attention: la photo virale montre en réalité la livraison d'hélicoptères russes destinés aux opérations de secours humanitaire au Burundi en 2004. 

Un imposant avion gris est arrêté sur le tarmac d'un aéroport. Sur son fuselage s'étalent les mots "Polet Airlines" ainsi qu'un drapeau russe accompagné de la mention "Russia". A l'intérieur, on aperçoit un hélicoptère blanc en train d'être déchargé par une dizaine de personnes, certaines d'entre elles portant un treillis. Selon les internautes qui la partagent, cette image montre les "tonnes d'équipements militaires de dernière génération" tout juste livrées par la Russie "à l'aéroport de Bamako", capitale du Mali. 

Sous cette photo, les auteurs de ces publications en profitent pour rappeler les difficultés rencontrées par la France au Sahel, et au Mali en particulier, avec lequel le climat est tendu, Paris étant opposé à l'éventuelle arrivée de Wagner, société paramilitaire russe à laquelle le gouvernement malien envisagerait de faire appel pour l'aider dans la lutte contre les jihadistes. 

Depuis la fin programmée de l'opération antijihadiste française Barkhane au Sahel, le gouvernement malien envisage de recourir à ces sous-traitants privés, une hypothèse incompatible selon plusieurs pays avec leurs présences militaires dans le pays. 

Signe des tensions dans la région, un convoi militaire français destiné à ravitailler une base au Mali est resté bloqué plus d'une semaine au Burkina Faso à la suite de manifestations contre la France. Il a néanmoins pu repartir le jeudi 25 novembre au soir, a indiqué l'armée à l'AFP vendredi 26.

Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 25 novembre 2021

Ces publications ont été partagées plus de 4.000 fois (1, 2, 3, 4...) depuis le 19 novembre sur Facebook et circulent principalement au Mali et au Burkina Faso. 

Livraison d'hélicoptères au Burundi en 2004

Si le Mali a ainsi bien annoncé le 1er octobre la réception de quatre hélicoptères russes -concrétisation d'un contrat avec la Russie signé en décembre 2020- l'image que nous vérifions montre autrechose : la livraison d'hélicoptères dans le cadre d'une mission humanitaire au Burundi en 2004.

Une recherche d'image inversée sur le moteur de recherche TinEye permet en effet de la retrouver sur le site des Nations unies (ONU) consacré aux contenus multimédia de l'organisation internationale. Elle a été prise en 2004 au Burundi et montre l'arrivée d'un avion, un Antonov 124-100, "transportant un des quatre hélicoptères russes dédiés aux opérations de secours humanitaires" dans le pays.

Capture d'écran du site multimedia des Nations Unies, réalisée le 25 novembre 2021

Dans certaines des publications virales que nous vérifions figurent d'ailleurs encore les lettres "UN", le sigle anglophone des Nations Unies, sur le flanc du petit véhicule blanc stationné sur le tarmac à la droite de l'avion (photo de gauche, rectangle rouge). D'autres internautes les ont, eux, recouvertes d'un drapeau russe (photo de droite, rectangle rouge). 

Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 25 novembre 2021
Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 25 novembre 2021

 

 

L'Antonov 124-100, deuxième plus gros avion au monde après l'Airbus A380 et capable de transporter jusqu'à 150 tonnes, est fabriqué par l'entreprise russe éponyme, selon cette brochure archivée de l'entreprise Antonov. La compagnie qui opérait celui que l'on voit sur les photos virales, Polet Airlines, a cessé son activité en 2015 comme l'indique cet article archivé d'Air Transport World: impossible, donc, que cette image soit récente.

Contactée par l'AFP, l'autrice de cette photographie, Martine Perret, confirme que cette photo n'a "rien à voir" avec une récente livraison d'armes au Mali. "C'était l'arrivée des hélicoptères des Nations unies à bord de l'Antonov, en 2004, au Burundi", se remémore-t-elle, "dans le cadre de l'opération des Nations Unies là-bas, l'ONUB [Opération des Nations Unies au Burundi]".  

Cette mission de paix avait été déployée entre juin 2004 et fin décembre 2006 afin d'aider le Burundi, déchiré par la guerre civile depuis près de 13 ans à l'époque, à consolider la paix et la réconciliation nationale. Le conflit opposait les rebelles hutus à l'armée, dominée pendant un temps par la minorité tutsie. 

Difficultés de la France au Sahel

Ces publications circulent dans un contexte tendu pour la France dans la région du Sahel, que les internautes ne se privent d'ailleurs pas de noter, en rappelant que cette dernière s'est élevée contre l'éventuelle arrivée de Wagner, soupçonnée d'être proche du président russe Vladimir Poutine (ce que nie le Kremlin),  sur le sol malien et d'avoir commis des exactions dans plusieurs pays.

Le Premier ministre de transition Choguel Kokalla Maïga a en effet accusé Paris d'un "abandon en plein vol" en raison du plan de la France de réduction de sa présence militaire au Mali. Des critiques censées justifier le possible recours par Bamako à cette société, considéré comme "inacceptable" par la France.

Face à cette situation, le gouvernement malien, qui "a bien compris que s'il ne compte que sur un seul partenaire, (...) pourra à tout moment être abandonné", en "cherche d'autres", a expliqué le Premier ministre dans un entretien au Monde Afrique publié le 18 octobre, démentant toutefois des discussions avec le groupe russe, qu'il a qualifiées de "rumeurs".

Le Premier ministre de transition malien Choguel Kokalla Maiga lors d'un entretien avec l'AFP le 26 septembre 2021, à New York. ( AFP / KENA BETANCUR)

La France a entrepris en juin de réorganiser son dispositif militaire au Sahel, en quittant notamment les bases les plus au nord du Mali (Kidal, Tombouctou et Tessalit) pour le recentrer autour de Gao et Ménaka, près de la "zone des trois frontières", aux confins du Niger et du Burkina Faso.

 



Marin Lefevre, AFP Mali
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