Vaccination des 5-11 ans : où en est-on ?

  • Publié le 3 décembre 2021 à 21:07

Etats-Unis, Canada, Israël, Cambodge, Venezuela, Cuba…Plusieurs pays dans le monde ont fait le choix d'autoriser la vaccination contre le Covid-19 pour les enfants de moins de 12 ans. En France, le ministère de la Santé a ouvert la voie courant décembre à une vaccination des enfants risquant de développer des formes graves. Les chercheurs et médecins interrogés par l'AFP restent prudents sur la pertinence d’un élargissement à l’ensemble des 5-11 ans pour lutter contre la 5e vague.

Nous pourrions l’ouvrir à compter de la mi-à fin décembre”. Interrogé sur France info le 3 décembre, le ministre de la Santé Olivier Véran a fait un pas de plus vers l'ouverture de la vaccination aux enfants de 5 à 11 ans sujets à des comorbidités.

Selon Olivier Véran, l'incidence sans précédent chez les 6-10 ans, de 750 cas pour 100.000 enfants de la même classe d'âge, s'explique par le fait que "les enfants ne peuvent pas aujourd’hui être vaccinés".

Est-ce que cette campagne sera par la suite proposée à l’ensemble de cette classe d'âge ? Le ministre a laissé entendre que oui, "probablement au début du mois de janvier, de façon progressive et facultative", mais à condition d’un avis favorable de la Haute autorité de santé (HAS). “La Haute autorité de santé a besoin d’un peu plus de temps pour nous dire si le vaccin est parfaitement sûr et efficace et si la balance bénéfice-risque est positive”, a-t-il fait valoir.

Jusqu’ici, l'instance ne s’est prononcée favorablement que sur la vaccination des 5-11 ans qui "présentent un risque de faire une forme grave de la maladie et de décéder" et pour ceux "vivant dans l’entourage de personnes immunodéprimées ou vulnérables non protégées par la vaccination".

Dans un avis publié le 25 novembre, elle estime à environ "364.000" le nombre d'enfants "souffrant au moins d’une comorbidité à risque de forme grave de Covid-19 (soit une prévalence de 6,3% dans la classe d’âge des 5-11 ans, au 1er janvier 2021)", un nombre qui ne comprend donc pas forcément les enfants qui ont dans leur entourage un adulte à risque qui ne serait pas vacciné (pour des raisons médicales ou non).

Capture d'écran de l'avis de la Haute autorité de Santé
Capture d'écran de l'avis de la Haute autorité de Santé

 

 

Parmi les facteurs de risques identifiés par la HAS chez les enfants figurent : les cardiopathies congénitales, les maladies hépatiques chroniques, les maladies cardiaques, hépatiques (foie) et respiratoires chroniques (y compris l’asthme sévère), les maladies neurologiques, l’immunodéficience, l’obésité et le diabète, les hémopathies malignes, la drépanocytose ou encore la trisomie 21.

Cette recommandation a d'ailleurs été publiée le jour même où le régulateur européen a approuvé l'administration aux enfants de 5 à 11 ans du vaccin Pfizer, se basant sur une étude du laboratoire américain portant sur 2268 enfants, dont 1517 ont reçu le vaccin et 751 ont reçu un placebo.

Capture d'écran de l'avis du New England Journal of Medicine

Mais si l'autorisation du régulateur européen ouvre théoriquement la voie à la vaccination de tous les 5-11 ans dans l'UE, la Haute autorité de santé ne rend pas d'avis sur l’élargissement de la campagne à l’ensemble des enfants de la classe d'âge. Elle indique qu'elle "conduira des auditions de parties prenantes concernées", et qu'elle "prendra en compte dans son analyse les données de vraie vie des pays ayant déjà ouvert la campagne vaccinale aux enfants de 5 à 11 ans" dans leur ensemble.

Quels pays ont déjà élargi leur campagne vaccinale aux 5-11 ans ?

Les Etats-Unis ont ouvert la vaccination aux enfants âgés de 5 à 11 ans avec le produit Pfizer début novembre. Sur 28 millions d’enfants concernés, 2,6 millions avaient déjà reçu une première injection au 18 novembre, selon Jeff Zients, coordinateur de la lutte contre la pandémie à la Maison Blanche. Israël a rapidement emboîté le pas aux autorités sanitaires américaines, en donnant son feu vert, le 14 novembre, à la vaccination de la même classe d’âge, toujours avec le vaccin de Pfizer.

Au sein de l’Union européenne, l’Autriche a été le premier pays à autoriser les cinq ans et plus a pouvoir se faire immuniser contre le Covid-19 avec le vaccin de Pfizer à la mi-novembre, devançant l'approbation du vaccin Pfizer pour cette classe d’âge par l'agence européenne du médicament, quelques jours plus tard. Le 1er décembre, l’agence italienne des médicaments (AIFA) a, à son tour, approuvé l’extension de l’utilisation du vaccin de Pfizer pour les 5-11 ans.

Les Emirats arabes unis, le Cambodge, la Colombie, le Chili ou la Chine vaccinent, eux-aussi, les moins de 12 ans, mais avec des vaccins chinois. Cuba, a, de son côté lancé une campagne de vaccination unique au monde dès l’âge de 2 ans, avec ses propres vaccins, condition fixée par le gouvernement pour la réouverture des écoles en novembre.

Pourquoi la HAS française préconise d'attendre ?

Selon le dernier point épidémiologique de Santé Publique France (SpF), au niveau national, le taux d’incidence (proportion des nouveaux cas) a fortement augmenté (du 21 au 28 novembre, NDLR ; +61%) atteignant 311 cas pour 100 000 habitants. Toujours selon SpF, les plus fortes hausses étaient observées "chez les 0-9 ans (389, +85%) et les 10-19 ans (344, +76%)".

"Parmi eux, les élèves de primaire (6-10 ans) avaient un taux d’incidence particulièrement élevé à 663 (+92%), associé à un très fort taux de dépistage (13 199, +65%) et à un taux de positivité des tests de 5,0% (+0,7 point)", détaille l'organisme.

En ce qui concerne le Covid-19 chez les 0-9 ans, on compte au 3 décembre 81 hospitalisations dont 17 en soins critiques. Toujours sur la même classe d'âge, 132 admissions ont été comptées à l'hôpital sur la dernière semaine, selon la base de données de Santé Publique France.

Au bilan depuis le début de l'épidémie, les enfants sont indéniablement moins touchés que les adultes par le Covid-19 et ses conséquences, mais certaines peuvent néanmoins les affecter. Il y a plusieurs types "de conséquences possibles pour les enfants qui ne sont pas à risque", développe ainsi Vincent Maréchal, chercheur en virologie à l'université Paris-Sorbonne. "Les Covid longs, mais on voit que la proportion de Covid long chez les enfants n'est pas très élevée, et le PIMS (syndrome inflammatoire multi-systémique pédiatrique) qui représente à peu près 700 cas en France depuis le début de la pandémie pour lesquels il y a un lien probable ou confirmé".

Dans le détail, selon Santé Publique France, entre le 2 mars 2020 et le 21 novembre 2021, 702 cas de syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques ont été signalés par des pédiatres en lien avec le Covid. Parmi eux, 3/4 (642) ont été confirmés par un test ou une sérologie Sars-Cov-2 (le virus responsable du Covid-19).

Un séjour en réanimation a été nécessaire pour 318 enfants (41%) et en unité de soins critiques pour 199 (25%) fait encore valoir SpF.

Capture d'écran du site de Santé Publique France, prise le 03/12/2021

Pour autant, la Haute autorité de Santé note dans son avis que "lorsqu’ils sont infectés, les enfants développent le plus souvent des formes légères ou asymptomatiques de la maladie". Surtout, elle considère que l'essai de Pfizer sur 2268 enfants n'est pas suffisant pour faire pencher suffisamment pour l'instant la balance bénéfice/risque du bon côté pour les jeunes enfants sans comorbidités. "Il apparaît important de souligner que la taille insuffisante de l’effectif d’enfants exposés au vaccin candidat associée à la courte durée de suivi des événements indésirables (3 mois post-seconde dose) pour 1518 d’entre eux ne permettent pas de détecter des réactions indésirables rares".

La question du bénéfice/risque

"C'est toujours important de se remettre dans le bon contexte : pourquoi est-ce qu’on vaccine ? Il faut toujours qu’il y ait un bénéfice individuel", estime François Angoulvant, pédiatre à l'hôpital Robert Debré (AP-HP). "Sur le fait que le vaccin serait efficace pour prévenir le Covid-19 chez les 5-11 ans, oui, on a des données qui le disent et ce n’est pas très surprenant. En revanche, on n'a pas forcément encore les données suffisantes pour anticiper tous les effets indésirables rares liés à une potentielle vaccination", juge-t-il.

D'où l'importance des résultats de la vaccination dans d'autres pays comme les Etats-Unis : "Ce sont des observations qui sont importantes pour prendre une décision avec malgré tout quelques limites", explique Frédéric Rieux-Laucat, directeur de recherche à l’Inserm, et directeur du labo d’immuno-génétique des maladies auto-immunes pédiatriques à ‘Institut Imagine. Il évoque notamment "un fond génétique" qui peut être "un peu différent entre les pays" et "des prédispositions différentes à certaines maladies".

"Sur presque 3 millions d’enfants vaccinés aux Etats-Unis, il n'y a pour l'instant à ma connaissance aucune remontée d’effets indésirables graves liés aux vaccins. Ça ne garantit pas qu’il n’y aura pas de cas", poursuit-il.

"L'intérêt individuel direct (pour des enfants qui ne risquent a priori pas de formes graves) paraît à l'instant où l'on parle assez faible, même s’il y a eu des formes graves", estime-t-il. "Il y a éventuellement un intérêt essentiellement indirect pour éviter la fermeture des classes, et relancer les interactions sociales entre enfants. Lors des confinements il y a eu des effets psychologiques évidents sur les enfants (...) On a mesuré un réel impact lors de la fermeture des écoles lors de la première vague, et encore une fois ce sont les familles les plus fragiles qui en pâtissent le plus. On creuse les écarts", selon le chercheur.

Cette semaine, 4.578 classes (soit 0,9% du total) ont été fermées à cause du Covid-19, selon le ministère de l'Education nationale. C'est moitié moins que la semaine précédente, mais cette baisse est artificielle puisque le protocole a changé : il n'y a désormais plus de fermeture de classe dans les écoles primaires dès le premier cas de Covid détecté chez un élève, et seuls ceux testés positifs sont isolés.

Dans une tribune publiée le 1er décembre sur le site de L'Express, un collectif de médecins et de parents a réclamé "une décision sur la vaccination des enfants fondée sur des données scientifiques", en déplorant un "attentisme" sur la question.

"Est-ce que vacciner les 5-11 ans va permettre de faire diminuer la circulation et baisser le nombre de formes graves chez les adultes ? C’est très compliqué de le dire", juge Romain Basmaci, secrétaire général de la Société française de pédiatrie. "C’est un nouveau virus, qui continue à muter. Peut-être qu’avec le nouveau variant les choses seront très différentes".

"Aujourd'hui, il y a des circonstances dans lesquelles il est évident qu'il faut vacciner les enfants, lorsqu'ils sont à risque de développer des formes graves de la maladie. La question c'est 'quel serait le gain réel d'une extension de la vaccination à tous les enfants' ? Pour cela, il faudra voir ce que vont nous dire les expériences grandeur nature en Israël et aux Etats-Unis", souligne Vincent Maréchal, chercheur en virologie à l’université Paris Sorbonne.

"Il faut, certes, prendre en compte le rapport bénéfice/risque sociétal, car les enfants peuvent être des relais de l'infection, et la vaccination pourrait donc être utilisée pour limiter la circulation du virus. Mais il manque un facteur important : on ne connaît pas encore précisément l'efficacité des vaccins contre la transmission", souligne le virologue.

"Sur la campagne qui s’annonce de vaccination avec comorbidités, cela a a priori du sens parce qu’on est vraiment sur une protection directe des enfants à risque", abonde Pascal Crépey, épidémiologiste à l’Ecole des Hautes études en Santé publique (EHESP). "En revanche sur la vaccination généralisée des enfants de 5 à 11 ans la question est plus complexe".

"Les vacciner n’aurait pour seul objectif de réduire le nombre de contaminations et donc réduire la circulation ? C’est-à-dire vacciner les enfants pour protéger les enfants ou les grands-parents. Ça en France ce n’est pas une stratégie à laquelle on est habitué. Est-ce dû à une habitude culturelle ou à une défiance générale sur les vaccins ? En tout cas, c’est comme ça", poursuit l'épidémiologiste, selon lequel "l’impact serait relativement tardif" concernant cette 5e vague de Covid-19.

"Même si on élargit la campagne de vaccination, on n'aura probablement pas un taux de vaccination énorme chez les enfants de 5-11 ans. Si c’est 10 ou 20 % des 5-11 ans qui se font vacciner c’est toujours ça à prendre, mais on n’arrivera pas à des taux de vaccination suffisamment forts et importants pour avoir un impact significatif sur la dynamique actuelle de l’épidémie", détaille Pascal Crépey.

"La balance coût-bénéfice (de la vaccination chez les 5-11 ans) est probablement légèrement positive", a de son côté déclaré au site Contrepoints l'épidémiologiste suisse François Balloux, directeur de l'Institut de génétique de l'University College de Londres.

"Mais si l'on doit choisir entre vacciner les enfants ou améliorer la couverture vaccinale chez les personnes âgées, il n'y a pas photo : il vaut mieux vacciner une seule personne de 75 ans que 500 enfants !", a-t-il ajouté.

Pour l'Académie de médecine : "le principe éthique selon lequel la vaccination des enfants, qui ont peu de risques de développer des formes sévères de la maladie, ne doit pas servir, pour atteindre l’immunité collective, à compenser le refus de vaccination de certains adultes".

Le gouvernement français a aussi demandé l'avis de l'organisme chargé de le conseiller sur les questions d'éthique, le Comité national d'éthique (CCNE).



Juliette Mansour, Sami Acef, AFP France
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