Non, la règle des 500 parrainages pour la présidentielle ne figure pas dans la Constitution

  • Publié le 8 décembre 2021 à 19:59

Le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand (LREM) affirme qu'Eric Zemmour ne pourrait se soustraire à la règle des 500 parrainages pour la présidentielle notamment au motif qu'elle figurerait "dans la Constitution". C'est toutefois inexact: cette exigence n'a pas été posée par la Loi fondamentale mais par une loi votée en 1976 et dénuée de valeur constitutionnelle.

Désormais officiellement candidat à la présidentielle, Eric Zemmour s'est mis en quête des 500 "parrainages" d'élus, sésame indispensable pour briguer l'investiture suprême.

Invité mardi sur franceinfo à commenter cette quête, que le polémiste d'extrême droite a mise en scène dans une vidéo, le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand a défendu cette règle, régulièrement critiquée par les "petits candidats", en assurant qu'elle était issue de la norme la plus élevée en droit français : la Constitution.

"Dans notre Constitution, aller chercher la signature de 500 maires, c'est un premier acte de campagne. Pourquoi le Constituant a-t-il voulu qu'il y ait 500 maires ? (…) Eh bien, c'était une sorte de garantie », a déclaré M. Ferrand. Interrogé sur le point de savoir si ce serait un "scandale démocratique" qu'Eric Zemmour renonce à présenter à cause de cette règle, il a ensuite répondu : "Bien sûr que non puisque que c'est dans la Constitution, ça fait partie des règles constitutionnelles".

L'affirmation du quatrième personnage de l'Etat, proche allié d'Emmanuel Macron, est toutefois inexacte : d'après les documents et experts consultés par l'AFP, la règle dite des 500 parrainages n'a jamais figuré dans la Constitution mais a été posée par une loi dite "organique" votée en 1976, qui n'a pas la même force juridique. Après avoir été sollicité par l'AFP, M. Ferrand a par ailleurs reconnu une "méprise".

D'où vient cette règle?

Comme le précise le Conseil Constitutionnel, qui est chargé de valider les candidatures, chaque aspirant à l'Elysée doit avoir réuni dans les délais impartis au moins 500 parrainages --ou "présentations" selon la terminologie officielle-- émanant de différents élus, et pas seulement de maires comme le laisse entendre M. Ferrand. Ils peuvent ainsi notamment provenir de parlementaires, de députés européens ou de conseillers régionaux mais doivent émaner d'au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer différents.

Cette règle ne figurait pas dans la Constitution de 1958 pour une raison bien simple: dans la version originelle de la Loi fondamentale, le président de la République n'est pas élu au suffrage universel direct mais par un collège comprenant les membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des territoires d'Outre-Mer, ainsi que les représentants élus des conseils municipaux.

Un premier filtrage était toutefois déjà en vigueur puisqu'un candidat devait avoir été au moins "présenté" par cinquante membres de ce collège, ainsi que l'indique le Conseil constitutionnel sur son site.

Les règles du jeu changent quand le général de Gaulle fait adopter par référendum le 28 septembre 1962 une révision de la Constitution qui instaure l'élection au suffrage universel direct du chef de l'Etat et qui est massivement approuvée par la population (82% de oui).

A Paris, en octobre 1962, une affiche de campagne en faveur du "oui" au référendum. ( AFP / -)

Ce oui massif se traduit par un changement de l'article 7 de la Constitution acté le 6 novembre 1962 mais aussi par la promulgation d'une loi dite organique qui précise que chaque candidat à la présidentielle devra avoir réuni au moins 100 parrainages d'élus.

Une loi organique n'a pas la même force que la Constitution mais elle est chargée d'en mettre en musique certaines modalités. A ce titre, elle est régie par des règles spécifiques: elle doit être adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres du Parlement et fait l'objet d'un contrôle systématique de constitutionnalité, contrairement à ce qui prévaut pour les lois ordinaires.

Ce filtre des 100 parrainages a contenu le nombre de candidatures lors des scrutins présidentiels de 1965 (6 candidats) et 1969 (7 candidats), mais beaucoup moins en 1974, au cours de laquelle 12 candidats concourent pour l'Elysée.

En proclamant les résultats cette année-là, le Conseil constitutionnel se fend d'ailleurs d'une déclaration peu commune dans laquelle il appelle à resserrer le filet en augmentant le nombre de parrainages requis pour briguer l'Elysée.

"Si le principe de la présentation des candidats par certaines catégories de citoyens n'appelle aucune critique, il importe, pour respecter l'esprit même de l'institution de l'élection du président de la République par le suffrage universel, que les candidatures aient une assise véritablement nationale", écrit le Conseil constitutionnel.

Le message est rapidement entendu par le gouvernement de l'époque qui fait voter, deux ans plus tard , le 18 juin 1976, une loi organique qui instaure la règle, qui continue de s'appliquer aujourd'hui, des 500 parrainages.

Extrait de la loi organique du 18 juin 1976 publiée au Journal officiel.

Cette loi avait deux objectifs, explique à l'AFP Pierre Esplugas-Labatut professeur de droit public à l'université Toulouse 1 Capitole. "Il y avait déjà le but d'éviter des candidatures considérées comme fantaisistes comme celle de Marcel Barbu", un proche de l'abbé Pierre qui se présenta in extremis à la présidentielle de 1965 sans être affilié à un parti, rappelle M. Esplugas-Labatut, qui souligne que cette règle contribuera également à dissuader Coluche de se présenter en 1981.

"Le but est également d'éviter la multiplication des candidatures", souligne également l'universitaire, qui note qu'elle n'a toutefois pas empêché le nombre record de 16 aspirants à la présidentielle de 2002.

En aucun cas toutefois, cette règle n'a valeur constitutionnelle, ce qui implique qu'elle est plus facilement modifiable. Pour réviser la Loi fondamentale, il faut en effet convoquer un référendum (article 11) ou passer par une procédure législative complexe (article 89) qui requiert, en bout de chaîne, une consultation du peuple ou l'approbation par les trois cinquièmes des membres des deux chambres réunis en Congrès.

"L'intérêt d'une loi organique c'est qu'elle rend beaucoup plus envisageable la possibilité de faire évoluer le droit", convient M. Esplugas-Labatut.

Après avoir été sollicité par l'AFP, le président de l'Assemblée nationale a d'ailleurs rapidement reconnu son "erreur" sur Twitter.



Jérémy Tordjman, AFP France
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