Non, les vaccins contre le Covid n'injectent pas de "lames de rasoir dans le flux sanguin"

  • Publié le 14 décembre 2021 à 15:17

Les vaccins contre le Covid injecteraient des "lames de rasoir dans le flux sanguin", affirment des articles partagés des milliers de fois sur internet depuis fin novembre, en relayant la vidéo d'un "chimiste allemand" qui avance que ce phénomène serait dû à la présence d'"hydroxyde de graphène". C'est totalement infondé, ont expliqué plusieurs chercheurs à l'AFP. Les vaccins anti-Covid ne contiennent pas de graphène ou dérivés. De plus, la molécule qu'il dessine (qui n'est pas un dérivé du graphène) dans sa vidéo ne pourrait ni circuler dans un milieu aqueux tel que le vaccin ou les cellules du corps, ni "découper des vaisseaux sanguins".

"Les vaccins COVID injectent des lames de rasoir dans le flux sanguin, et les laboratoires et les politiques le savent…", titrent plusieurs articles de sites et blogs partagés plusieurs milliers de fois depuis fin novembre (1, 2, 3, 4), repris sur Twitter.

Ils relaient une vidéo dans laquelle intervient Andreas Noack, un YouTubeur présenté comme un "chimiste allemand". Avant la pandémie, ce dernier diffusait des conseils liés à l'alimentation et la nutrition sur sa chaîne.

Capture d'écran réalisée le 09/12/2021
Capture d'écran réalisée le 09/12/2021

 

 

Capture d'écran réalisée le 09/12/2021
Capture d'écran réalisée le 09/12/2021

 

 

La vidéo d'Andreas Noack a été postée sur un canal Telegram nommé "Arche Noack" le 23 novembre et vue près de 300.000 fois depuis. Elle a aussi été relayée avec des sous-titres en anglais, et circule en tchèque et en slovaque sur les réseaux sociaux.

Des recherches non validées par la communauté scientifique

Andreas Noack commence par mentionner une étude menée par un professeur espagnol spécialisé en sciences alimentaires, Pablo Campra Madrid, qui aurait démontré la présence d'oxyde de graphène dans le vaccin.

Ces recherches avaient été commandées par Ricardo Delgado Martin, un militant anti-vaccins connu en Espagne, qui relaie régulièrement des informations infondées sur son blog.

Andreas Noack indique que Pablo Campra aurait trouvé "dans chaque échantillon" de l'"hydroxyde de graphène". Ces mots n'apparaissent toutefois pas tels quels dans les recherches de Pablo Campra, qui conclut en fait à "des preuves solides de la présence probable de dérivés du graphène" dans le vaccin.

Cette étude n'a pas été relue et validée par d'autres scientifiques dans le cadre du processus d'une "évaluation par les pairs", avant publication dans une revue scientifique. L'expérience de Pablo Campra n'a en outre suivi aucun protocole scientifique rigoureux, et ne permet pas de parvenir à des conclusions fiables, détaillaient plusieurs chercheurs à l'AFP en juillet.

Plusieurs articles dans différents médias de vérification (ici, ici, ici) étaient parvenus aux mêmes conclusions.

"Les tests réalisés (dans le rapport, NDLR) sont insuffisants pour caractériser le graphène, ils montrent seulement quelques images de microscopie qui ressemblent à des images de graphène et d'oxyde de graphène dans la littérature. Cela est loin d'être une preuve scientifique - l'identification du graphène nécessiterait des analyses plus poussées utilisant d'autres techniques", détaillait ainsi Ester Vázquez, experte en santé et sécurité du graphène de l'organisme Graphene Flagship, qui "regroupe près de 170 partenaires universitaires et industriels de 22 pays" européens pour travailler sur ce matériau, selon son site internet

L'Université d'Almeria, à laquelle est affilié Pablo Campra, s'est aussi défendue d'avoir un lien avec cette étude face à l'ampleur prise par le relai de celle-ci sur Internet.

A ce jour, "il n'y a pas d'études démontrant la présence de graphène ou de ses dérivés dans la solution de ce vaccin dans les bases de données des publications parues dans des revues scientifiques", confirme le 13 décembre la professeure Cécile Zakri, qui travaille sur le graphène au Centre de Recherche Paul Pascal, unité mixte du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) et de l'Université de Bordeaux, auprès de l'AFP. Elle ajoute que "le vaccin est transparent, or ces molécules seraient colorées, proches du marron".

Le Graphene Flagship, interrogé par l'AFP au sujet des affirmations d'Andreas Noack a, le 14 décembre, également assuré que "les vaccins ne contiennent absolument pas de graphène, sous aucune forme", ajoutant préparer des "explications qui seront publiées sur [leur] site" à propos de la présence d'"hydroxyde de graphène" dans les vaccins.

Graphène, oxyde de graphène et "hydroxyde de graphène"

Le graphène est un nanomatériau, c'est-à-dire un composé constitué de minuscules particules, qui aurait des propriétés antibactériennes et antivirales. "C'est un matériau issu du graphite, comme votre mine de crayon, qui est faite de graphite, et si vous n'en prenez qu'une feuille, c'est du graphène. Il n'a rien de mystérieux, ce sont des atomes de carbone reliés entre eux", expliquait à l'AFP Erik Dujardin, chercheur au Centre d'élaboration de matériaux et d'études structurales du CNRS à Toulouse, le 13 juillet.

Fiche sur les propriétés du graphène, le matériel le plus résistant connu dans la nature ( AFP / Nicolas RAMALLO, Gustavo IZUS, Kenan AUGEARD)

L'oxyde de graphène en est un dérivé. "L'oxyde de graphène, ce n'est jamais que du graphène dégradé. Les atomes de carbone ne sont plus seulement liés entre eux, mais aussi avec des atomes d'oxygène", ajoutait le chercheur.

"L'oxyde de graphène est une substance différente, qui peut contenir jusqu'à 50/60% d'oxygène. La présence des atomes d'oxygène mène à une structure complètement différente du graphène, qui a été utilisée dans des batteries, des capteurs, des encres et d'autres choses encore", abondait encore Maurizio Prato, directeur de la santé et l'environnement à Graphene Flagship, dans un mail à l'AFP le 27 septembre.

Andreas Noack parle d'"hydroxyde de graphène", qu'il définit comme "des structures nanométriques", qui "peuvent être comparées à des lames de rasoir", en schématisant une molécule sur un tableau blanc derrière lui.

Cependant, à ce jour, cette appellation n'est pas couramment utilisée par les scientifiques étudiant le graphène et ses dérivés, fait remarquer Philippe Poulin, chercheur au Centre de Recherche Paul Pascal du CNRS et de l'Université de Bordeaux et spécialiste du graphène. "'Hydroxyde de graphène', c'est un terme qui n'apporte rien. Dans la communauté scientifique, on emploie plutôt le terme générique 'oxyde de graphène'", explique-t-il le 13 décembre à l'AFP. 

"'L'hydroxyde de graphène' n'est pas un dérivé connu du graphène : une recherche bibliographique sur web of science (qui recense des publications scientifiques, NDLR) par exemple donne très peu voire pas d'entrées, souvent pour parler de structures extrêmement proches de celle de l'oxyde de graphène. Par contre, l'oxyde de graphène (GO pour 'graphene oxide') et sa forme réduite (RGO, 'reduced GO', plus proche du graphène en termes de propriétés physiques et chimiques) sont très connus et facilement obtenus à partir de graphite", explique encore Stéphane Berciaud, chercheur à l'Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg, de l'Université de Strasbourg et du CNRS.

"En somme, tous ces dérivés (GO, RGO et l'hypothétique GH) sont un peu 'le graphène du pauvre'. Par rapport au graphène, le GO et le RGO sont des matériaux plus faciles et nettement moins coûteux à élaborer à grande échelle mais leur propriétés physiques sont de manière générale moins remarquables que celles du graphène. Néanmoins, ces matériaux ont des atouts intéressants en vue d'applications industrielles, dans le domaine des matériaux composites, de la micro-électronique flexible, mais aussi pour la catalyse chimique, la biologie et la médecine", abonde aussi le chercheur de Strasbourg.

Quoi qu'il en soit, la molécule dessinée par Andreas Noack dans sa vidéo ne correspond pas à du graphène, ajoute Philippe Poulain du Centre de Recherche Paul Pascal de l'Université de Bordeaux : "on n'emploierait pas le terme oxyde de graphène pour ce qu'il montre sur son tableau : c'est une molécule d'hydrocarbure aromatique polycyclique".

Cette molécule est par ailleurs "insoluble dans l'eau. Il est impossible qu'elle circule dans un milieu aqueux et donc dans le corps ou le vaccin", ajoute sa consoeur Cécile Zakri.

"Des lames de rasoir"

L'"hydroxyde de graphène" peut, selon Andreas Noack, "être comparé à des lames de rasoir", qui pourraient "découper les vaisseaux sanguins", et ainsi, à terme, causer des saignements internes chez les personnes vaccinées, et en particulier chez les sportifs, dont le sang "circule plus vite".

"D'un point de vue scientifique, c'est totalement absurde. Le graphène est une molécule très fine, qui pourrait effectivement ressembler à une lame de rasoir. Sauf qu'une lame pèse 20 grammes environ et que c'est un matériau massif, un million de fois plus épais que la molécule de graphène. La molécule qu'il a dessiné sur son tableau a un poids très faible. Je l'ai calculée, ça ferait 10¯²â' kg, c'est tout petit", détaille Jean-François Berret, directeur de recherche spécialiste en biophysique au laboratoire Matière et Systèmes Complexes de l'Université Paris Diderot et du CNRS.

"Sa démonstration n'est pas scientifique : il confond plusieurs choses. Le matériau qu'il dessine est si petit qu'il faudrait l'envoyer à une vitesse extrêmement élevée pour pouvoir couper des cellules en deux, et cette vitesse n'est pas compatible avec la vitesse du sang. Pour avoir une image, quand vous coupez du pain avec un couteau, vous appliquez une force sur la lame. Sans force, la lame du couteau ne coupera rien du tout. Dans le cas du graphène dans le sang, cette force est si faible qu’il ne se passera rien au niveau des cellules", analyse encore le chercheur.

Philippe Poulin du Centre de Recherche Paul Pascal confirme : "c'est comme si on voulait couper le stade de France avec une petite planche".

Les chercheurs interrogés par l'AFP au sujet de la vidéo et des propos d'Andreas Noack les ont unanimement qualifiés de "scientifiquement infondés", voire "dangereux".

Des affirmations infondées au sujet des conséquences de la vaccination chez les sportifs circulent abondamment sur les réseaux sociaux et ont déjà fait l'objet d'articles de vérification. C'est le cas de ce calcul trompeur censé prouver une augmentation des malaises cardiaques mortels dans le foot.

Les vaccins "testés uniquement dans des boîtes de Petri"

Andreas Noack affirme aussi que les vaccins n'ont pas été testés sur des être vivants mais "uniquement dans des boîtes de Petri" avant d'être mis sur le marché.

Or, les vaccins contre le Covid ont fait l'objet de tests sur des animaux puis sur des humains pendant plusieurs mois, et les résultats ont fait l'objet de publications dans des revues scientifiques, comme détaillé par leurs fabricants (1, 2, 3), comme déjà expliqué dans cet article de l'AFP en mai.

Les vaccins contre le Covid-19 autorisés en France ont tous suivi les étapes imposées à chaque traitement avant une mise sur le marché européen et hexagonal, dont la phase d'essais dits "pré-cliniques", dans laquelle ils sont testés en laboratoire et sur des animaux, indique aussi le site de l'Agence Nationale de sécurité du médicament et des produits de Santé (ANSM).

Capture d'écran du site de l'ANSM, prise le 14/12/2021

"On ne mettra jamais un produit sur le marché qui n'a pas été testé in vitro, et vivo sur des animaux, et ensuite sur l'homme/la femme. C'est ce qui s'est passé avec le Covid, où les vaccins ont été d'abord testés sur des centaines de milliers de personnes avant de les recommander pour des populations entières", assure aussi le chercheur Jean-François Berret.

Des théories sur d'éventuels "ingrédients" suspects ou secrets dans les vaccins anti-Covid circulent en ligne depuis l'annonce de leur développement. Pourtant, leurs composants ne sont pas secrets. Ceux de Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca et Janssen ont tous été publiés par les autorités sanitaires.

Dervila Keane, porte-parole de Pfizer, avait confirmé le 8 juillet auprès de l'AFP que "l'oxyde de graphène n'est pas utilisé dans la fabrication du vaccin Covid-19 de Pfizer-BioNTech."

Marcelo Mariscal, vice-doyen de la faculté des sciences chimiques de Córdoba en Argentine, avait quant à lui expliqué début octobre que l'oxyde de graphène comme adjuvant potentiel de vaccin est une piste qui fait l'objet de recherches, mais qu'il "s'agit d'études modèles dans des phases de recherche fondamentale, qui sont encore loin d'une application".

Par ailleurs, "la toxicité de tous les dérivés carbonés est étudiée", note Cécile Zakri du Centre de Recherche Paul Pascal.

"Comme tout matériau, le graphène peut être façonné et traité de diverses façons. Le graphène est un métal. Il existe des lames de rasoir en métal, même des 'micro ou nano lames en métal'. Il existe aussi des pièces de métal polies et aux contours adoucis (...) Il est tout à fait concevable de préparer des structures, 'nano' ou pas, qui ne seraient pas toxiques ou physiquement dangereuses. Une vaste communauté scientifique travaille sur ces problématiques de biocompatibilité et de toxicité et veille à respecter des cahiers des charges évidemment très exigeants", abonde aussi Stéphane Berciaud, de l'Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg.

Andreas Noack

Il avait déjà fait parler de lui en novembre 2020, lorsque des policiers semblaient s'être introduits chez lui pendant l'une de ses vidéos diffusées en direct. Des internautes avaient ainsi affirmé que les forces de l'ordre étaient venues arrêter Andreas Noack car il s'opposait aux mesures sanitaires.

La police locale avait cependant démenti cette information sur Twitter, indiquant que l'opération ayant eu lieu dans le bâtiment ne visait pas le Youtubeur, ce qui avait été confirmé par le procureur général de Berlin auprès de médias en allemand (1, 2). Le média de vérification anglophone Lead Stories avait consacré un article à cette histoire.

Fin novembre 2021, des publications, fondées sur la vidéo d'une femme présentée comme la compagne d'Andreas Noack, ont aussi affirmé qu'à la suite des "révélations" de Noack sur l'hydroxyde de graphène, ce dernier aurait été "agressé et tué".

La femme est ensuite revenue sur ces affirmations dans une autre vidéo, expliquant quelques jours plus tard qu'Andreas Noack serait bien dédédé, mais des suites d'une crise cardiaque, comme le relatait cet article de CheckNews ou cet autre de Lead Stories.

Sur le site des pompes funèbres de Wolfsberg, en Autriche, où il aurait résidé dernièrement, on trouve un avis de décès à son nom, daté du 26 novembre 2021.

La théorie selon laquelle il y aurait du graphène ou de l'oxyde de graphène dans les vaccins anti-Covid est devenue au fil des mois un classique de la désinformation vaccinale et ont déjà fait l'objet de plusieurs articles de l'AFP Factuel, comme ici en juillet ou là en août.

Cette même idée a été vérifiée par d'autres médias dans le monde entier, comme ici ou .



Claire Line NASS, AFP France
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