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Macron, Pompidou et le verbe "emmerder": les limites du parallèle établi par LREM

  • Publié le 5 janvier 2022 à 23:09
  • Actualisé le 6 janvier 2022 à 06:10

Après la sortie d'Emmanuel Macron contre les non-vaccinés, des responsables de la majorité ont tenté de minimiser ses propos en affirmant que le chef de l'Etat s'inscrivait dans l'héritage de Georges Pompidou qui aurait appelé à "cesser d'emmerder les Français". Cette référence est toutefois sujette à caution: si ces propos prêtés à Pompidou sont souvent invoqués, ils n'ont pas été tenus publiquement, ont été rapportés à un seul journaliste et n'ont jamais été authentifiés.

A trois mois de la présidentielle, la volonté affichée par Emmanuel Macron de "continuer à emmerder" les non-vaccinés a provoqué un emballement généralisé et soulevé un tollé chez les oppositions, au point de parasiter le débat parlementaire sur la mise en oeuvre du pass vaccinal.

Dans l'espoir d'éteindre l'incendie, certains responsables de LREM, dont leur chef de file à l'Assemblée nationale Christophe Castaner, ont tenté de minimiser ces propos en assurant que le chef de l'Etat ne faisait que s'inscrire dans les pas de son lointain prédécesseur, Georges Pompidou, qui aurait déclaré qu'il fallait "arrêter d'emmerder les Français".

"Le président a repris cette formule qui appartient à Georges Pompidou: +il faut arrêter d'emmerder les Français+ et à partir de cette phrase-là, il a confirmé ce qui était notre politique en matière sanitaire (...) qui est de faire porter la contrainte à celles et ceux qui ne sont pas vaccinés", a déclaré M. Castaner sur BFMTV.

 

Cette comparaison a toutefois ses limites : si ces propos prêtés à Georges Pompidou, qui dateraient de 1966, ressurgissent régulièrement dans la bouche des politiques, ils n'ont jamais été tenus publiquement et n'ont ainsi pu jamais être authentifiés notamment par leur auteur, qui était décédé au moment où ils sont apparus dans le débat public.

Ils reposent ainsi entièrement sur les confidences de Jacques Chirac à un journaliste du Figaro qui en a fait la matrice d'un livre paru en 2000 qui dénonçait l'inflation supposée de normes en France.

Une authenticité incertaine

Que ce soit à droite, dans la bouche d'Alain Juppé ou de François Fillon, ou même dans celle de François de Rugy et d'Emmanuel Macron, la citation prêtée à Georges Pompidou est très prisée dans le monde politique, où elle sert le plus souvent à rejeter un supposé trop-plein de normes ou à plaider pour une libéralisation de l'économie, en usant d'un ton très direct.

"On use et on abuse de cette phrase", estime Olivier Sibre, historien et directeur des études à l'institut Georges Pompidou. Elle est souvent utilisée pour se donner une image au-dessus de partis, de proximité avec le peuple en profitant de l'image de Pompidou qui était proche des Français dans son attitude et qui venait d'un milieu modeste”.

Elle apparaît dans le débat public en 2000, plus de trente ans après avoir été supposément prononcée, à la faveur de la publication d'un livre de Thierry Desjardins, alors journaliste au Figaro et Prix Albert-Londres 1975. Dans cet ouvrage intitulé "Arrêtez donc d'emmerder les Français", cet ancien reporter rapporte pour la première fois les propos que Georges Pompidou, alors Premier ministre de Charles de Gaulle, aurait lancés en 1966 à un de ses collaborateurs :

"Mais arrêtez donc d'emmerder les français : Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays. On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira beaucoup mieux".

Aujourd'hui retraité, M. Desjardins n'a pu être joint par l'AFP mais il avait raconté la genèse de cette anecdote à Paris Match en 2017 en assurant qu'elle lui avait été confiée par Jacques Chirac, qui n'était autre que le destinataire de la saillie de Pompidou. Selon le journaliste, Jacques Chirac travaillait alors au cabinet du Premier ministre et s'était présenté devant lui avec une "une pile de parapheurs".

Cette citation est-elle toutefois authentique ? Mort en 1974, Pompidou n'a jamais pu se prononcer au moment de la parution de l'ouvrage. L'AFP n'a par ailleurs retrouvé aucune autre trace de ce récit dans la bouche de Jacques Chirac, qui n'en fait par ailleurs jamais mention dans les deux tomes de ses Mémoires.

"C'est plausible sur la formulation, Pompidou avait parfois une parole un peu directe mais la citation peut aussi être apocryphe", résume Olivier Sibre. On ne peut pas l'authentifier parce que Pompidou n'a, à ma connaissance, pas laissé de traces de cette expression dans un discours public. On sait bien que rapporter un propos privé ne peut qu'être sujet à caution et elle n'engage que celui qui l'a répétée".

Georges Pompidou en avril 1962 après sa nomination au poste de Premier ministre. ( AFP / -)

Spécialiste de Georges Pompidou, Bernard Lachaise juge, lui, tout à fait vraisemblable que l'ex-président (1969-1974) ait prononcé cette phrase mais ne peut toutefois pas le certifier. "Ca me paraît tout à fait vraisemblable même si Pompidou n'utilise pas un langage fleuri dans ses écrits ou propos, assure ce professeur émérite d'histoire contemporaine à l'Université de Bordeaux-Montaigne. Cette déclaration respire un souci de bonheur des Français, une proximité liée au tempérament de Pompidou, à sa personnalité et à ses origines".

Une chose est en revanche certaine : ces propos relèvent du cadre privé et n'ont pas vocation à refléter un cap politique, ce que ne mentionnent jamais ceux qui s'en sont réclamés par le passé ou ceux qui veulent aujourd'hui établir un parallèle avec les déclarations d'Emmanuel Macron dans son interview au Parisien.

"Quand Pompidou employait cette formule, c'était en off, pas dans une interview adressée à tous les Français", décrypte Jean Garrigues, professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans.

"C'est un propos privé et cela n'a pas la valeur d'une expression employée dans un discours", renchérit Bernard Lachaise.

Olivier Sibre récuse; lui, le parallèle entre les deux époques. "Pompidou avait le souci de l'efficacité administrative mais ce n'est pas une phrase clivante. Il n'était du tout pas contre la fonction publique mais il recherchait la traduction, la plus rapide possible", indique l'historien, qui déplore surtout que l'héritage de l'ancien président soit souvent réduit, dans le débat public, à ces propos.

"C'est dommage qu'on le cite sur une phrase à l'origine incertaine et qu'on oublie en revanche son discours visionnaire sur l'environnement comme celui qu'il a tenu à Chicago le 29 février 1970", estime l'historien.

Jérémy Tordjman, AFP France

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