Vérification

Non, l'Arizona n'a pas adopté le bitcoin comme monnaie légale

  • Publié le 31 janvier 2022 à 21:56
  • Actualisé le 1 février 2022 à 05:53

L'Arizona aurait "déclaré le bitcoin monnaie légale", a affirmé l'essayiste controversé Idriss Aberkane dans un post largement relayé sur Twitter. C'est inexact : si une sénatrice républicaine a effectivement déposé une proposition de loi pour inscrire le bitcoin parmi les monnaies officiellement autorisées dans cet Etat américain, ce texte n'a pour l'heure passé aucune des étapes qui pourraient mener à son approbation et son application.

"C'est confirmé : l'Arizona déclare le bitcoin monnaie légale", prétend un tweet publié le 28 janvier par Idriss Aberkane, un essayiste controversé dont plusieurs publications sur les réseaux sociaux au sujet du Covid-19 ont fait l'objet d'articles de vérification de plusieurs médias (ici, ici ou ici).

 

Capture d'écran Twitter, prise le 31/01/2022

L'idée de rendre le bitcoin utilisable comme une monnaie légale en Arizona a certes été "déposée" par une sénatrice mais elle n'a pas, à ce stade, été approuvée par l'Etat, ce que plusieurs internautes ont d'ailleurs relevé (1, 2) et ce que précisait d'ailleurs la publication spécialisée "Bitcoin Magazine" dans le post cité par M. Aberkane.

Une proposition de loi non approuvée

Le bitcoin est une monnaie dématérialisée, créée en 2009 à partir de code informatique et dont le concepteur n'a jamais été identifié. Contrairement à une monnaie classique, elle ne dépend d'aucun gouvernement ni d'aucune banque centrale. Le contrôle et la régulation du bitcoin sont assurés par ses utilisateurs via le système de blockchain, un livre de comptes infalsifiable qui contient l'ensemble de l'historique partagé dans le réseau.

Wendy Rogers, une sénatrice républicaine de l'Arizona, a proposé le 25 janvier 2022, d'inscrire cette cryptomonnaie parmi les monnaies utilisables en Arizona. Cette proposition est consultable sur le site de l'organe législatif d'Arizona, sous le nom "SB1341".

Cependant, pour qu'une proposition de loi soit adoptée et devienne effective dans l'Etat, elle doit passer par de nombreuses étapes, comme le détaille un document de la Northern Arizona University.

D'abord, la proposition doit être examinée par un ou plusieurs comités pour, entre autres, déterminer si elle est conforme à la Constitution américaine. Puis, elle doit être inscrite à l'ordre du jour et être ensuite adoptée dans les mêmes termes par les deux composantes du corps législatif local, la Chambre des représentants et le Sénat, toutes deux à majorité républicaine.

Après avoir passé toutes ces étapes, elle doit être ratifiée par le gouverneur de l'Etat et alors devenir effective en Arizona.

Or, au 31 janvier, la proposition de loi de la sénatrice Rogers a uniquement été "déposée", sans passer d'autres étapes du processus, comme on peut le voir en consultant la base de données recensant toutes les lois et projets de loi déposés dans l'Etat.

Capture d'écran de la base de données sur les lois, prise le 31/01/2022 sur le site du législateur d'Arizona

Par ailleurs, la Constitution américaine indique notamment, dans la section 10 de son article I, qu'"aucun État ne peut (...) faire en sorte qu'aucune autre chose que les pièces d'or et d'argent ne serve de monnaie d'échange pour le paiement des dettes". Ainsi, plusieurs médias américains traitant des actualités liées aux cryptomonnaies, comme Blockworks, qui a interrogé un avocat américain, et Coin Desk ou AMBCrypto, ont souligné que la possibilité pour que le bitcoin devienne une monnaie légale en Arizona était "discutable", et pourrait "ne pas être compatible avec la Constitution".

La sénatrice Wendy Rogers, qui a déposé la proposition de loi, est une figure locale qui s'est fait connaître notamment pour son engagement en faveur de Donald Trump. Elle a également participé, fin 2021, à une convention de partisans de la mouvance conspirationniste QAnon, et a déjà relayé des allégations, infondées, de "fraude électorale" lors de l'élection présidentielle américaine de 2020.

En septembre dernier, le Salvador était devenu le premier pays du monde à faire du bitcoin une monnaie légale, à côté du dollar américain. Le 25 janvier 2022, le Fonds monétaire international avait exhorté le pays à faire machine arrière, mettant en garde contre les "risques importants (...) pour la stabilité financière, l'intégrité financière et la protection des consommateurs", et la volatilité de la cryptomonnaie.

Après avoir commencé 2021 autour de 20.000 dollars, le bitcoin s'est envolé à plus de 60.000 dollars avant de connaître de vifs revirements au long de l'année. Il a atteint le 24 janvier 2022 un plus bas depuis six mois, à 32.970 dollars.

Idriss Aberkane, essayiste controversé

Idriss Aberkane, qui a relayé l'affirmation sur son compte Twitter, s'y présente comme un "hyperdoctor", diplômé de "trois doctorats dont un de l'Ecole polytechnique à 29 ans" et y est suivi par plus de 170.000 personnes à ce jour. L'essayiste a été très médiatisé en 2016, pour ses conférences sur le développement personnel et après la publication d'un livre, classé cette année-là au 5ème rang des meilleures ventes, selon l'Express.

Après la parution de son portrait élogieux dans Le Monde cette même année, plusieurs scientifiques ont cependant émis des doutes sur ses qualifications, soulignant la maigreur de ses publications scientifiques, un CV gonflé et des liens rompus avec des structures dans lesquelles il prétendait enseigner. Selon une enquête menée par Le Parisien en janvier 2022, l'école d'ingénieurs CentraleSupélec a ainsi assuré ne plus avoir "aucun contact avec lui depuis cinq ans."

Depuis le début de la pandémie, les prises de position de ce chercheur sur l'épidémie de Covid-19 ont aussi trouvé de l'écho dans les mouvements complotistes et anti-vaccins. En décembre 2021, il avait faussement sous-entendu dans un tweet devenu viral qu'un patient non vacciné décédé du Covid-19 connu sous le nom de "Karim", était un faux patient, comme détaillé dans cet article de vérification de CheckNews. En janvier 2021, il avait aussi publié une vidéo intitulée "18 mensonges sur Didier Raoult", qui comportait de nombreuses inexactitudes, comme l'a relevé le site de vérification Fact & Furious.

Claire Line Nass, AFP France

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