Cette comparaison entre les vaccins contre le Covid-19 et les vaccins traditionnels est trompeuse

  • Publié le 1 février 2022 à 17:31

En Hongrie, en Allemagne et maintenant en France, un texte anonyme circule depuis la mi-novembre sur Facebook et Telegram, indiquant que les vaccins contre le Covid-19 sont les premiers vaccins qui n'empêchent pas les personnes de contracter ou de propager la maladie. Une comparaison trompeuse, car l'objectif premier des vaccins a toujours été d'empêcher les maladies graves et les décès.

Des centaines d'internautes ont partagé le texte dans différentes versions en français, en allemand, en anglais et en hongrois. En Allemagne, deux députés s'en sont même emparés sur leurs pages Facebook : un député du parti d'extrême droite AfD, Ralf Borschke, ainsi qu'une députée non-inscrite, ancienne présidente du même parti, Doris von Sayn-Wittgenstein. L'auteur du texte, anonyme, est tantôt décrit comme un pharmacien, tantôt comme un acteur de longue date dans le secteur de la santé. Dans la version française, il n'est pas mentionné.

Affirmation trompeuse

L'auteur du texte compare les vaccins contre le Covid-19 aux vaccins contre de nombreuses autres maladies et conclut à l'inefficacité du vaccin. "Parmi tous les vaccins connus...contre la coqueluche, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la variole, la rougeole, la rubéole, les oreillons, l'hépatite, la méningite, la tuberculose et la fièvre jaune, aucun [...] n'a nécessité que j'ai l'obligation de porter un masque et de maintenir une distance sociale même lorsque je suis entièrement vacciné", peut-on lire. "Je n'avais jamais entendu parler d’un vaccin qui ferait en sorte que je pourrais encore contracter ou répandre le virus même quand je suis entièrement vacciné."

Capture d'écran prise sur Facebook le 31 janvier 2022

Cette comparaison aux autres vaccins s'inscrit dans la continuité du mouvement qui a cherché à plusieurs reprises à remettre en question l'efficacité des vaccins contre le Covid-19. Cette publication a été partagée sur les réseaux sociaux alors que dans de nombreux pays, le nombre d'infections était en forte augmentation, et cela malgré des taux de vaccination élevés. La propagation rapide du variant Omicron a révélé que cette nouvelle mutation du virus n'est pas seulement plus contagieuse, mais aussi plus à même de contourner la protection immunitaire offerte par les vaccins. Parallèlement, les premières données montrent que les infections dues au variant Omicron provoquent des cas moins graves de la maladie, en particulier chez les personnes vaccinées.

Les vaccins qui protègent à 100% sont rares

Certains vaccins mentionnés sont utilisés depuis des décennies. Leur efficacité pour protéger contre la transmission du virus est variable. Mais contrairement à ce qui est affirmé dans la publication Facebook, les vaccins offrent très rarement une protection complète contre la transmission du virus. Tous les experts interrogés par l'AFP sont d'accord sur ce point. L'objectif principal des vaccins est de pouvoir contrôler les maladies et d'éviter les cas graves et les décès.

"Bien que de nombreux vaccins existants soient extrêmement efficaces contre les virus et les bactéries, l'immunité à 100 % - parfois appelée immunité stérilisante - est rare", explique Charles Bangham, professeur d'immunologie et co-directeur de l'Institut de recherche sur les infections de l'Imperial College de Londres, le 11 janvier 2022.

Selon Peter Sebo, chef du laboratoire de biologie moléculaire des agents pathogènes bactériens à l'Institut de microbiologie de Prague, contacté le 13 janvier, les vaccins anti Covid n'étaient pas les seuls à ne pas pouvoir empêcher complètement une infection virale. L'ancien directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies américain Tom Frieden assure également sur Twitter en octobre 2021 qu'il était rare qu'un vaccin protège complètement contre les infections et la transmission d'un virus.

Keith Neal, professeur émérite d'épidémiologie des maladies infectieuses à l'université de Nottingham au Royaume-Uni, souligne également que pour plusieurs des maladies mentionnées, il existe bien une possibilité d'infection même après une vaccination. "Même si vous êtes protégés contre la toxine de la diphtérie, ses agents pathogènes peuvent être présents dans le corps, tout comme pour le tétanos", insiste-t-il. Cela signifie que la vaccination prépare le système immunitaire à se protéger contre les toxines produites par les bactéries responsables, et non contre les agents pathogènes eux-mêmes. D'ailleurs, contrairement au Covid-19, le tétanos ne se propage pas d'une personne à l'autre.

De la même façon, la vaccination contre la tuberculose ne stoppe pas la maladie "avec certitude", mais "améliore considérablement les chances" de ne pas tomber malade, poursuit Keith Neal.

Le NHS, le système de santé britannique, explique aussi sur son site Internet que si le vaccin contre la tuberculose protège efficacement contre les formes graves de la maladie chez les enfants, la protection contre la transmission de la maladie est limitée.

Les oreillons, cités également dans le texte sur Facebook, sont un autre exemple de ce phénomène. Selon l'Institut Robert Koch (RKI), même les personnes ayant reçu deux doses de vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole peuvent continuer à être infectées par les oreillons et à transmettre la maladie.

La coqueluche, citée dans la publication, continue elle aussi bel et bien de circuler dans la population et peut constituer une menace, particulièrement pour les personnes non vaccinées, indique le 12 janvier, Andew Preston, professeur de pathogenèse microbienne à l'université de Bath en Angleterre. Les vaccins contre la coqueluche "n'arrêtent pas la propagation de l'agent pathogène dans la population", remarque le Pr Preston. Mais ils "remplissent leur objectif principal qui est d'empêcher les très jeunes enfants de tomber malades et de mourir".

"Le vaccin contre la coqueluche ne protège que contre les formes graves de la maladie, tout comme les vaccins contre le Covid-19", rappelle Peter Sebo, qui effectue des recherches sur les vaccins contre la coqueluche.

( AFP / JOE KLAMAR)

L'éradication d'une maladie prend du temps

Pour Andrew Preston, il est injuste de comparer des vaccins qui protègent contre la transmission de maladies depuis des décennies aux vaccins contre le Covid-19. "Il a fallu 250 ans de vaccins pour éradiquer la variole. Contre la coqueluche et la tuberculose, nous vaccinons depuis des décennies. Alors comparer les vaccins contre le Covid-19 à ça, c'est trompeur", déplore-t-il.

Les nouvelles mutations continuent de réduire la protection des vaccins contre la transmission de certaines maladies comme la grippe, a expliqué le Pr Preston. Et sans les nouveaux variants du Covid-19, le vaccin aurait offert une plus grande protection, a-t-il assuré. "C'est pourquoi de nombreux vaccins, comme ceux contre la grippe, doivent être constamment mis à jour", explique-t-il.

Outre les campagnes de vaccination, il existe d'autres mesures médicales qui contribuent au succès de la lutte contre une maladie, rappelle le Pr Preston. Dans le cas de la tuberculose, outre la vaccination, l'amélioration des conditions d'hygiène et de ventilation a permis de réduire la propagation du virus dans la population au point que la vaccination générale n'est plus nécessaire en Grande-Bretagne. En France, la vaccination contre la tuberculose n'est plus obligatoire depuis 2007.

( AFP / LIONEL CHAMOISEAU)

L'obligation vaccinale n'est pas nouvelle

L'auteur de la publication Facebook affirme en outre n'avoir jamais été "jugé" ou "victime de discrimination" avant les vaccins contre le Covid-19 s'il "n'était pas vacciné". Cette affirmation est fausse car il existe de nombreux exemples historiques de réglementation légale des obligations de vaccination. Au fil du XXe siècle, la loi a imposé plusieurs vaccinations obligatoires en France: contre la diphtérie en 1938, contre le tétanos en 1940 et la poliomyélite en 1964.

Depuis 2017, huit autres vaccins, notamment contre l'hépatite B, la rougeole ou la rubéole sont devenus obligatoires pour les enfants nés après le 1er janvier 2018.

Contrairement à ce qu'avance l'auteur de la publication, les contrevenants à l'obligation vaccinale ont déjà pu être sanctionnés, avant l'apparition du Covid-19. L'accès aux crèches, aux écoles et aux colonies de vacances est interdit aux enfants non vaccinés avec les vaccins obligatoires. L'application de cette obligation est restreinte depuis qu'une loi de 2017 a supprimé le fait d'"entraver" la vaccination de ses enfants, un délit qui était puni d'une peine maximale de 6 mois d'emprisonnement et de 3.750 euros.



Ede ZABORSZKY, AFP Hongrie, AFP France
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