Attention à ces supposées révélations d'une "infirmière en chef" slovène

  • Publié le 10 février 2022 à 18:53

Des publications partagées plusieurs centaines de fois depuis novembre 2021 affirment qu'une infirmière slovène, "infirmière en chef du centre médical universitaire de Ljubljana", a démissionné puis révélé "devant les caméras" que les vaccins auraient chacun un "code", déterminant si une personne reçoit un placebo, un vaccin à ARN ou un vaccin "qui provoque un cancer". Cette histoire est fausse et trouve son origine dans une vidéo virale dans plusieurs pays. La femme en question n'a jamais travaillé dans cet hôpital, a confirmé le centre à l'AFP. Par ailleurs, plusieurs de ses affirmations ont été détournées et le "code" qu'elle évoque dans la vidéo n'a rien à voir avec le type de vaccin reçu.

"Un grand scandale a éclaté en Slovénie hier, et c’est pourquoi aujourd'hui toute la Slovénie parle de la vaccination", affirme l'auteur d'une publication relayée d'abord sur Tik Tok puis sur Facebook le 4 février 2022. Selon l'auteure de cette publication, "l'infirmière en chef du centre médical universitaire, de Ljubljana, qui est chargée de recevoir et de gérer les lots de vaccins, a démissionné". "Devant les caméras", elle aurait "montré aux gens les codes sur les ampoules (des vaccins, ndlr) marquées des codes de chiffres 1, 2 ou 3": le 1 correspondrait à un placebo, le 2 à "une bouteille RNA classique" et le 3 à "un segment d'ARN avec un gène onco, lié à l'adénovirus et qui provoque un cancer. Concernant ces ampoules, le numéro 3 provoquera chez les personnes qui le recevront un cancer des tissus mous dans les 2 ans", affirme l'auteure de cette fausse publication.

Des publications similaires circulent depuis au moins novembre 2021 sur Facebook. Certaines partagent des articles, comme celui-ci, publié sur le site "1scandal.com" et intitulé "Révélation sur les placebos pour les politiciens", car selon ces publications, les politiques ne reçoivent que la dose placebo. D'autres publications, comme celle-ci, partagent une vidéo, issue de la page Facebook d'un site slovène, dans laquelle on voit la femme en question.

Capture d'écran réalisée le 10/02/2022 sur Facebook

 

Capture d'écran réalisée le 10/02/2022

Ces affirmations ont également circulé en Serbie et ont été vérifiées par l'AFP ici. Dans certaines publications, les internautes affirment que cette "infirmière" se nomme Vera Kanalec. Une recherche sur Facebook permet de retrouver un profil au même nom, avec des photos correspondant à la vidéo partagée dans certaines publications.

Dans cette vidéo, cette femme fait en effet plusieurs fausses affirmations, notamment à propos des prétendus trois types de vaccins, définis par des "codes".

Cependant, les publications françaises ajoutent des détails qu'elle n'a pas dits, comme le fait qu'elle serait infirmière en chef du centre médical universitaire de Ljubljana.

L'infirmière en chef du centre médical universitaire de Ljubljana n'a pas démissionné et Vera Kanalec n'y a jamais travaillé

Dans la vidéo citée plus haut, Vera Kanalec ne dit à aucun moment qu'elle travaillait au centre universitaire médical de Ljubljana (UKCL) ou qu'elle a été impliquée dans la gestion de vaccins anti-covid. Dans une autre vidéo postée par le même site slovène, elle se présente comme retraitée depuis neuf ans.

Une recherche sur le site du centre médical universitaire de Ljubljana permet de vérifier que l'infirmière en chef s'appelle en réalité Zdenka Mrak.

Contacté le 30 novembre 2021, un porte-parole du centre médical a confirmé à l'AFP que Vera Kanalec n'a jamais travaillé dans l'institution: "nous démentons cette histoire et toutes ses interprétations. La femme dans la vidéo à laquelle vous faites référence n'est pas infirmière en chef à l'UKCL. Elle n'est pas employée à l'UKCL et, selon nos données, ne l'a jamais été. Le centre universitaire médical et ses dirigeants, y compris l'infirmière en chef Zdenka Mrak, soutiennent fermement la vaccination comme le moyen le plus efficace d'empêcher la propagation de la maladie Covid-19".

Contactée le 3 décembre 2021, Vera Kanalec a refusé de révéler la source de ses allégations à propos des vaccins anti-covid. En revanche, elle a confirmé avoir pris sa retraite de son travail d'infirmière il y a neuf ans.

Selon les données de l'Institut public de santé slovène, 60% de la population avait reçu au moins une dose de vaccin dans le pays au 9 février 2022.

Le numéro "01" sur le certificat numérique correspond à la version de l'identifiant numérique et non à un type de vaccin placebo

Dans la vidéo partagée par les internautes francophones, Vera Kanalec ne montre à aucun moment des "ampoules" de vaccin, contrairement à ce qu'affirment les publications que nous vérifions. En revanche, elle fait référence à "une étude", sans citer laquelle et déclare: "ceux qui reçoivent ce certificat (covid) avec cet autocollant sur lequel il y a ces chiffres 1,2 et 3. Pour ceux qui ont reçu une piqûre de placebo, retenez-le, il n'y a que le chiffre 1. Il n'y a pas de 2 ni de 3".

Vera Kanalec explique que ce chiffre peut être trouvé sur le certificat Covid numérique européen, dans l'identifiant unique de certificat après les lettres "URN:UVCI". Sur Facebook, une internaute française a partagé une capture d'écran d'un pass sanitaire, entourant l'endroit où est supposé être indiqué le chiffre correspondant au type de vaccin reçu.

Capture d'écran réalisée le 10/02/2022 sur Facebook

En réalité, ce chiffre ne correspond pas à un type de vaccin mais au type de certificat délivré. Comme le décrivent les directives de l'Union européenne, "UVCI" signifie "Unique vaccination certificate identifier" ("Identifiant unique du certificat de vaccination"): c'est le système permettant d'attribuer un numéro d'identification unique à un certificat covid, conformément aux directives européennes.

L'identifiant unique de certificat "suivra une structure commune qui permettra une interprétation humaine ou automatique dans tous les États membres et est conçu pour Internet. L'ordre des éléments séparés suit une hiérarchie définie qui peut permettre des modifications futures des blocs tout en maintenant son intégrité structurale", indique le document de l'Union européenne.

La structure de ce numéro d'identification est la même pour tous les certificats Covid européens, peu importe le pays. Comme l'indiquent les directives, le "01", qui apparaît en premier, désigne la version du certificat utilisée. Il est suivi par le préfixe du pays: "HU" pour la Hongrie par exemple, ou "BE" pour la Belgique.

L'AFP a vérifié le certificat européen de plusieurs personnes basées dans plusieurs pays de l'UE. Si tous - notamment le certificat belge - ne portent pas la mention "URN:UVCI", les suites de chiffres et de lettres composant leurs identifiants uniques commencent toutes par "01" pour la première, deuxième et troisième dose. Il s'agit donc d'une indication technique sur le certificat numérique lui-même et non sur le vaccin reçu.

Un certificat covid numérique distribué en Belgique. Capture d'écran réalisée le 10/02/2022

Le code "C4591001" n'a rien à voir avec le cancer

Les auteurs des publications que nous vérifions affirment également que Vera Kanalec a montré une ampoule de vaccin avec le numéro 3, correspondant, selon eux, à "un segment d'ARN avec un gène onco, lié à l'adénovirus et qui provoque un cancer".

Encore une fois, il s'agit d'une interprétation de ce que dit la supposée infirmière, qui tient tout de même des propos trompeurs.

En effet, Vera Kanalec mentionne une étude randomisée (la "randomisation" signifie que les patients sont tirés au sort pour déterminer s'ils sont dans le groupe traitement ou dans le groupe contrôle), avec placebo et des "superviseurs d'étude en aveugle C45", ajoutant que C45 est le diminutif de C4591001: "les gens qui travaillent dans le domaine de la santé le savent, cela signifie un diagnostic de cancer des tissus mous, tous les diagnostics de C45 à C49 signifient un cancer des tissus mous, qui apparaîtra entre trois et dix ans après vaccination", affirme-t-elle.

Une recherche de la suite C4591001 sur Google renvoie directement vers une page décrivant un essai clinique du vaccin Pfizer/BioNTech: il s'agit donc du numéro d'identification de cet essai clinique, également disponible sur le site d'enregistrement des essais cliniques de l'Union européenne.

Quant au code "C45" il désignait jusqu'en janvier, dans le système de classification internationale des maladies (CIM, ICD en anglais), le numéro de code du mésothéliome, un cancer de la membrane. Cependant, depuis janvier 2022, ce code a changé dans la dernière version de l'ICD, l'ICD-11. Ce changement a été décidé en mai 2019, bien avant le début de la pandémie de Covid-19.

L'affirmation dénuée de fondement selon laquelle les vaccins anti-covid, notamment ceux utilisant la technique à ARN messager, provoqueraient un cancer a été vérifiée à plusieurs reprises par l'AFP, ici et ici par exemple. L'Institut national du cancer français indique que "la vaccination est vivement recommandée notamment aux patients vulnérables à très haut risque de développer des formes graves, parmi lesquels les patients atteints de cancers et de maladies hématologiques malignes en cours de traitement par chimiothérapie".

En revanche, certains médecins s'inquiètent des conséquences de la pandémie de Covid-19 sur les autres pathologies: "On a bien une problématique du cancer avec le Covid, c'est la perturbation du système de soins", indiquait ainsi à l'AFP le 27 janvier 2022 Jérôme Hinfray, chargé de communication scientifique à la Ligue nationale contre le cancer, "on a des prises en charge qui reculent dans le temps, des gens qui arrivent à des âges de dépistage et qui ne peuvent pas y accéder... D'ici quelques années on va avoir un retour de bâton de la mortalité par cancer, on n'aura pas pu la traiter à temps", s'inquiétait-il.

Les publications en français affirment par ailleurs que Kanalec a "personnellement assisté" à la vaccination "de tous les politiciens et personnes importantes", qui auraient reçu le placebo, mais là encore, elle n'a pas dit cela dans la vidéo qui circule.



Marion Dautry, AFP Belgrade
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