Campagne présidentielle : Emmanuel Macron, quasi candidat, "triche-t-il avec les règles juridiques"?

  • Publié le 10 février 2022 à 20:13

Emmanuel Macron, qui n'est pas encore officiellement candidat, fait-il campagne pour la présidentielle aux frais de l'Etat comme l'affirment plusieurs élus de droite qui dénoncent une "tricherie" et un "détournement de fonds publics"? Ces accusations sont "prématurées" d'un point de vue juridique dans la mesure où tout candidat a jusqu'au 24 juin pour déclarer la totalité des dépenses engagées pour la campagne depuis le 1er juillet 2021. Elles seront ensuite passées au crible par la Commission des comptes de campagne qui pourra les retoquer ou les rejeter en cas de manquements ou d'irrégularités comme ce fut le cas pour Nicolas Sarkozy en 2012. 

"Scandale démocratique", "détournement de fonds", "tricherie" : à l'heure où l'officialisation de la candidature d'Emmanuel Macron se fait toujours attendre, plusieurs élus de droite accusent le chef de l'Etat de faire campagne pour sa réélection "avec le carnet de chèques des Français" et dénoncent une "rupture d'égalité" avec ses concurrents.

Tout commence avec un déplacement d'Emmanuel Macron le 10 janvier à Nice où le chef de l'Etat présente son bilan et annonce une hausse de budget sur la sécurité. Dès le lendemain, le chef de file des députés LR Christian Jacob indique saisir la commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) pour l'alerter sur les dépenses liées aux déplacements du président sortant "dans cette période pré-électorale, alors qu'il ne fait aucun doute que celui-ci sera candidat à sa propre succession".

( POOL / DANIEL COLE)

Le 12 janvier, la candidate LR à la présidentielle Valérie Pécresse enfonce le clou. "Ce qui s'est passé lundi est quand même sidérant: on a un président-candidat, en réalité un candidat Emmanuel Macron, qui vient à Nice avec les moyens de l'État, avec les moyens du contribuable donc, en grand équipage, pour annoncer un programme présidentiel à horizon 2030", déplorait sur France 2 la présidente de la région Ile-de-France. 

Le 4 février, Christian Jacob va plus loin et estime qu'"on est clairement sur du détournement de fonds publics". "Ce que je reproche à Emmanuel Macron ce n'est pas qu'il soit président de la République jusqu'à la dernière minute c'est qu'il triche, il triche avec le règles juridiques", renchérit le 8 février le sénateur LR Bruno Retailleau sur Europe 1, accusant le chef de l'Etat de se "balader en France avec le carnet de chèques des Français". 

Qu'en est-il réellement? En France, le financement des campagnes électorales est strictement encadré par la CNCCFP. Mise en place en 1990, cette autorité indépendante est chargée de vérifier que "toutes les recettes perçues et toutes les dépenses engagées pour l’élection présidentielle sont bien inscrites au compte de campagne et s’assure de la régularité de chacune d’entre elles", peut-on lire dans l'édition 2021 du mémento à l'usage du candidat à l'Elysée et de son mandataire. Si elle relève des infractions pénales, la CNCCFP transmet le dossier au parquet. 

L'autorité s'assure du respect du plafond de dépenses, fixé à 16,851 millions d’euros pour les candidats présents au premier tour et 22,509 millions d’euros pour les deux candidats présents au second tour. La commission peut soit approuver le compte de campagne, soit le rejeter - c'est le cas notamment pour tout dépassement du plafond légal des dépenses autorisées - soit le réformer. 

Un candidat peut ainsi voir son compte de campagne être réformé en cas de "retrait des dépenses considérées comme non électorales" ou en cas "d'adjonctions des dépenses à finalité électorale non inscrites au compte par le candidat". Dans ce dernier cas, peut-on lire dans le mémento, la réformation peut éventuellement "conduire à un rejet du compte pour dépassement du plafond, déficit ou insincérité". 

Ce fut le cas pour Nicolas Sarkozy qui en décembre 2012, a vu ses comptes de campagne être rejetés par la CNCCFP cette dernière épinglant le fait que le président sortant n'avait pas inscrit un seul euro dépensé avant son entrée en lice officielle dans la course à l'Elysée, le 15 février 2012.

La CNCCFP a été suivie dans son analyse quelques mois plus tard par le Conseil constitutionnel, qui dans une décision rendue le 4 juillet 2013, a estimé - entre autres - que le meeting de Toulon  du 1er décembre 2011, qui avait coûté 155.715 euros, ne pouvait être regardé comme s'inscrivant dans "l'exercice du mandat présidentiel" de Nicolas Sarkozy.

Le Conseil constitutionnel citait notamment "l'implication" de l'UMP dans cette manifestation, "l'ampleur du public convié" et des "moyens de communication déployés". 

"Considérant que, du fait du caractère électoral de cette réunion publique à Toulon, il y a lieu de réintégrer au compte de campagne les dépenses afférentes à cette réunion", concluaient les Sages. 

La réintégration de ces dépenses, ainsi que celles d'autres meetings non comptabilisés initialement, a entraîné un dépassement du plafond autorisé, entraînant de facto une invalidation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, privant l'ex-candidat et son parti du remboursement par l'Etat de 10,6 millions d'euros de frais de campagne. Dans la foulée, le parti politique avait lancé le "Sarkothon", une collecte de fonds auprès des militants, pour tenter de maintenir la formation à flots. 

En octobre 2013, l'affaire avait connu un nouveau rebondissement avec l'ouverture d'une enquête préliminaire sur le financement du meeting de Toulon à la suite d'un courrier adressé par le militant écologiste grenoblois Raymond Avrillier, qui dénonçait de possibles faits de "détournement de fonds publics", en marge de la campagne présidentielle 2012 de l'ancien chef de l'Etat. Un an plus tard, l'enquête était classée sans suite par le PNF, l'enquête ne démontrant pas d'intention chez Nicolas Sarkozy de commettre un détournement. 

Quid des accusations lancées aujourd'hui par une partie de l'opposition contre Emmanuel Macron?  Concrètement, tant qu'il ne s'est pas officiellement déclaré candidat, le chef de l'Etat n'a pas d'obligation vis-à-vis de la CNCCFP, notent des avocats spécialistes du droit électoral contactés par l'AFP. 

Une fois qu'il entrera en lice dans la course à l'Elysée en revanche, il se devra d'intégrer dans ses comptes de campagne les déplacements qu'il aura pu faire avant en tant que président et qui revêtiraient un caractère électoral. Le cas échéant, la CNCCFP s'en chargera. 

Dans ce contexte, les accusations de ces dernières semaines "relèvent plus du registre politique car, sur le plan juridique, elles sont clairement prématurées", estime l'avocat Jean-Christophe Ménard, contacté par l'AFP le 10 février. "Aucune règle n’impose à Emmanuel Macron de déclarer sa candidature ou, compte tenu de la période électorale, de modifier ses interventions en tant que Président de la République."

La loi, ajoute-t-il, "prévoit que les dépenses engagées depuis le 1er juillet 2021 qui présentent un caractère électoral doivent figurer dans le compte de campagne des candidats. Dans le même temps, et comme l’a précisé le Conseil constitutionnel en 2013, cette règle ne doit pas avoir pour effet de limiter les déplacements du président de la République ou sa participation à des manifestations publiques relevant de l’exercice de son mandat."

Si la Commission estime que des dépenses à caractère électoral ont été engagées entre le 1er juillet 2021 et le moment où Emmanuel Macron déclarera sa candidature, "elle réintègrera dans son compte de campagne les sommes en question" poursuit Me Ménard. "C’est d’ailleurs ce qui s’était produit pour l’élection présidentielle de 2012 où Nicolas Sarkozy s’était déclaré candidat le 15 février alors que le 1er tour de l’élection présidentielle  se déroulait le 22 avril. La CNCCFP avait alors réintégré dans le compte de campagne du candidat certaines dépenses qui avaient été engagées antérieurement à sa déclaration de candidature".

Un avis partagé par Delphine Krust, avocate en droit public. "Il n’est pas encore candidat, il n'y a donc pas lieu de compter ces dépenses", souligne-t-elle, voyant dans ces accusations un caractère plus "politique que juridique". 

Face aux questionnements et aux interpellations,  la CCNFP a rappelé le 8 février sur son compte Twitter qu'elle ne se "prononçait pas pendant la campagne" mais a précisé qu'elle traitait "nécessairement le sujet lors de l’examen des comptes de campagne qui lui seront déposés après le scrutin". "Pour rendre sa décision, la CNCCFP tiendra compte des principes posés dans la décision"  du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013, ajoute l'instance. 

Contacté par l'AFP le 9 février 2022, son président Jean-Philippe Vachia insiste sur le fait que pour son instance le prochain rendez-vous sera le dépôt des comptes de campagne qui aura lieu le 24 juin prochain. "A partir de cette date, nous aurons six mois pour nous prononcer" sur leur régularité.

"Nous regardons les dépenses déclarées par chaque candidat, nous devons nous assurer que le compte est complet, qu'il y a toutes les dépenses", explique-t-il. "La date à laquelle un candidat se déclare ne joue aucun rôle pour nous commission, ce qui compte c'est la date de période de financement qui a commencé le 1er juillet et se terminera au second tour du scrutin". 

"Qu'un candidat se déclare en septembre, en décembre ou en début d'année (les prétendants à l'Elysée ont jusqu'au 4 mars pour déclarer leur candidature NDLR), ça ne change rien. Nous regardons tout ce qui s'est passé au cours des six mois, si tout a bien été répertorié", ajoute-t-il. 

Au-delà de la campagne présidentielle 2022, Emmanuel Macron a également été récemment la cible d'accusations de possibles détournements de fonds publics lors de la campagne de 2017.

Des députés de la France insoumise (LFI) ont reproché au chef de l'Etat d'avoir organisé des diners avec des journalistes, chefs d'entreprises ou encore personnalités du monde de la culture alors qu'il était au ministère de l'Economie et ce "à des fins de constitution d'un réseau à l'approche de la présidentielle".  Ils ont affirmé avoir saisi le procureur national financier sur la base de l'article 40 du code pénal, qui permet notamment à toute autorité constituée de dénoncer des faits jugés délictueux à la justice. 



Marine PENNETIER, AFP France
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