Richard Ferrand n'a pas nommé au Conseil constitutionnel "la magistrate qui a classé sa plainte" mais l'ex-supérieure hiérarchique du procureur en question

  • Publié le 17 février 2022 à 19:17

Le député François Ruffin, membre du groupe La France insoumise, a accusé le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand d'avoir proposé, pour intégrer le Conseil constitutionnel, "la magistrate qui a classé la plainte" le visant dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne. Véronique Malbec était en réalité la supérieure hiérarchique du procureur ayant pris cette décision. Mais la polémique demeure, en raison du lien hiérarchique entre les procureurs généraux et les procureurs de leur ressort.

Richard Ferrand a-t-il nommé au Conseil constitutionnel "la magistrate qui a classé la plainte" qui le visait, en 2017, dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne ? C'est l'accusation proférée par le député (groupe La France insoumise) François Rufin sur Twitter mercredi 16 février.

En réalité, c'est le procureur de Brest de l'époque, Jean-Philippe Récappé, qui a décidé de ce classement sans suite. Véronique Malbec, proposée par M. Ferrand pour siéger au Conseil constitutionnel, était alors sa supérieure hiérarchique en tant que procureure générale de la Cour d'appel de Rennes.

Sollicité le 17 février par l'AFP, François Ruffin n'était pas joignable dans l'immédiat.

Face à ces critiques, M. Ferrand a défendu, dans un communiqué, le choix d'une "haute magistrate de l'ordre judiciaire". Et concernant le dossier des Mutuelles de Bretagne, il a affirmé qu'un procureur général ne peut "donner d'instruction dans le sens du classement d'une plainte."

Même argumentaire chez le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, interrogé le 17 février sur franceinfo: "Richard Ferrand ne doit rien à Véronique Malbec. Elle était procureur générale à Rennes et l'article 36 du code de procédure pénale interdit au procureur général de donner des ordres de classement sans suite à un procureur". "C'est injurieux pour Véronique Malbec et c'est injurieux pour Richard Ferrand", a ajouté l'ancien avocat.

Selon l'article 36 du code de procédure pénale cité par le ministre, "le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes."

L'affirmation de M. Ferrand est "juridiquement exacte, dans la mesure où si le Procureur général peut enjoindre aux Procureurs de la République de son ressort d'engager des poursuites, il ne peut en revanche les contraindre à classer une plainte sans suite", explique Jérémy Houssier, professeur et président de la Section de droit privé et de sciences criminelles de l'université de Reims.

"Formellement, Richard Ferrand a raison". Mais "il y a quand même une véritable relation hiérarchique entre le procureur général près la Cour d'appel et les procureurs, prévue dans l'ordonnance de 1958 sur le statut de la magistrature. En réalité, le procureur est au procureur général l'équivalent de ce que sont les substituts pour le procureur. C'est une situation de hiérarchie pure et simple", ajoute néanmoins Evan Raschel, professeur de droit privé et sciences criminelles à l'Université de Clermont-Ferrand.

"On peut tout à fait imaginer qu'officieusement, de façon informelle, la procureure générale se soit permise de donner un avis", ajoute-t-il.

Jean-Philippe Récappé venait à peine de prendre ses fonctions de procureur de la République de Brest lorsqu'il a décidé de ce classement sans suite, selon cet arrêté de nomination publié au journal officiel, en date du 6 juillet 2017. C'est son prédécesseur dans le Finistère, Eric Mathais, qui avait ouvert cette enquête préliminaire, avant d'aller prendre ses nouvelles fonctions de procureur à Dijon. Sa nomination était connue depuis avril.

M. Récappé est resté procureur à Brest jusqu'à ce qu'il fasse valoir ses droits à la retraite en 2020, selon cet arrêté du garde des Sceaux publié au Journal officiel.

Mme Malbec, quant à elle, occupait ce poste de procureure générale à Rennes depuis 2013. En décembre 2017, soit quelques semaines après le classement sans suite de l'enquête par le procureur de Brest, elle a été nommée procureure générale à Versailles. Poste qu'elle a rapidement quitté pour la Chancellerie, où elle fut nommée secrétaire générale du ministère, puis directrice de cabinet de l'actuel garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti.

Cette initiative de Richard Ferrand a suscité de nombreuses critiques, à gauche comme à droite de la majorité. Cette proposition de nomination, "c'est au mieux maladroit, au pire un conflit d'intérêt évident", a estimé le député (Les Républicains) Julien Aubert.

Cette affaire des Mutuelles de Bretagne, révélée par Le Canard enchaîné, avait coûté sa place au gouvernement à Richard Ferrand, quelques semaines à peine après sa nomination en mai 2017.

Le procureur de Brest avait ouvert une enquête préliminaire en juin 2017, classée sans suite. Il avait invoqué la prescription s'agissant d'un éventuel délit de prise illégale d'intérêts. L'association anti-corruption Anticor avait déposé une seconde plainte avec constitution de partie civile, à Paris. Le dossier a été dépaysé à Lille en juillet 2018. Une instruction a été menée par trois juges de ce tribunal.

En mars 2021, la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Douai a estimé que dans cette affaire, la période de prescription prenait effet au plus tard en 2012. Dans la foulée, Anticor a annoncé former un pourvoi en cassation.

"Juristes" et "politiques" au Conseil constitutionnel

Les changements dans la composition du Conseil constitutionnel sont toujours attentivement scrutés, qui plus est à l'approche d'une élection présidentielle.

Cette institution créée par la Constitution de 1958 et qui veille notamment à la conformité à la constitution et aux textes fondamentaux des lois, comprend neuf membres, renouvelés par tiers tous les trois ans.

Trois membres sont nommés par le président de la République, trois par le président de l'Assemblée nationale et trois par le président du Sénat. Et ces nominations sont soumises à l'approbation de deux cinquièmes des membres des commissions parlementaires compétentes.

Mardi, Emmanuel Macron a proposé la nomination d'une de ses ministres, Jacqueline Gourault. Le président du Sénat Gérard Larcher a proposé celle du conseiller d'Etat François Seners, qui fut son directeur de cabinet de 2014 à 2017.

La nomination de Mme Gourault, membre du MoDem, le parti de François Bayrou allié de M. Macron au sein de la majorité, a également provoqué une salve de critiques.

Jacqueline Gourault, le 15 février 2002 à l'Elysée ( AFP / Ludovic MARIN)

"C'est une figure de consensus respectée, capable de dialoguer avec tous. Elle a fait autorité aussi sur la connaissance de nos territoires et de notre droit", a fait valoir le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, face aux critiques sur cette proposition de nomination d'un profil "politique".

De nombreuses critiques visent l'absence de formation de juriste de Mme Gourault, dont la biographie, sur le site de son ministère, indique simplement "études en histoire-géographie" et "professeure d'histoire-géographie" pour les mentions "formation universitaire" et "cursus professionnel".

Mme Gourault fut maire, conseillère départementale, conseillère régionale, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), sénatrice du Loir-et-Cher et vice-présidente de la Chambre haute.

On distingue généralement deux types de profils parmi les membres du Conseil: les profils dits "politiques", et les "juristes". L'institution de la rue de Montpensier est actuellement présidée par Laurent Fabius, ancien Premier ministre. Neuf des dix présidents successifs du Conseil constitutionnel avaient précédemment occupé des fonctions ministérielles.

Dans sa composition actuelle, le Conseil comprend trois anciens ministres: M. Fabius, l'ancien Premier ministre Alain Juppé, nommé par Richard Ferrand en 2019, et Jacques Mézard, autre ancien ministre d'Emmanuel Macron, nommé par ce dernier en 2019.



Baptiste PACE, AFP France
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