Vidéos détournées, photos recyclées : regain de désinformation autour du conflit russo-ukrainien

  • Publié le 23 février 2022 à 19:15

Recyclage d'anciennes photos, vidéos et bandeaux TV détournés, publications dépourvues de contexte : l'accroissement des tensions diplomatiques et militaires entre la Russie et l'Ukraine s'est accompagné ces dernières semaines d'une intense campagne de désinformation en ligne. Passage en revue d'une partie de ces infox qui pullulent sur les réseaux sociaux depuis mi-janvier. 

   

La jeune fille est assise dans le bus, les yeux rivés à son téléphone portable. Dans sa main gauche aux ongles minutieusement manucurés, elle tient un fusil d'assaut. "Life in Ukraine, now" ("La vie en Ukraine, en ce moment"), précise le compte Terror Alarm en guise de légende de sa publication sur Twitter diffusée le 12 février et relayée plusieurs centaines de fois depuis. 

La même image a également été diffusée sur des comptes en anglais, censé désigner récemment "une fille dans un bus en Ukraine (...) dans l'attente des soldats russes", ou encore en italien

Mais attention, cette photo n'a pas été prise cette année et pas en Ukraine. Une recherche d'image inversée permet de voir que la photo circulait déjà, sur Reddit, il y a près de deux ans avec cette légende: "une fille dans un train en Bélarus avec un AK".  En passant par le moteur de recherche russe Yandex, France 24 a retrouvé la trace de la jeune femme et de la photo originale qui a été publiée sur le compte Instagram de cette jeune habitante de Sibérie le 27 mars 2020. 

Capture d'écran réalisée sur Instagram le 23 février 2022

Contactée par France24, Ekaterina Gladkikh, indique qu'elle revenait d'une séance photo lorsque le cliché du bus a été pris. "Personne ne m'a posé de question dans le bus et je suis rentré calmement en voiture. Bien sûr, l’arme était fausse. Je suis habituée au fait que la photo soit comprise d’une manière complètement différente. Les gens discutent de tout dans les moindres détails, même mes ongles. Ça ne me dérange pas", explique-t-elle. 

Cette photo fait partie des nombreuses publications qui ont ressurgi et essaimé sur les réseaux sociaux ces derniers mois au rythme de la montée de tensions entre Moscou et Kiev concernant la situation dans l'est de l'Ukraine. 

Fin janvier, une vidéo affirmant montrer des troupes ukrainiennes se "préparant à un combat potentiel" à la frontière avec la Russie a été visionnée des dizaines de milliers de fois dans plusieurs publications, notamment en chinois, à l'heure où Moscou massait ses propres troupes aux frontières de l'Ukraine.

Or, tout comme la photographie de la jeune femme dans le bus, cette vidéo est loin d'être nouvelle et circulait depuis au moins 2020 sur les réseaux sociaux. Une rapide recherche d'image inversée sur Google permet de retrouver une version plus longue de la vidéo publiée ici sur YouTube le 5 mars 2020 par Defence Express, un magazine basé en Ukraine qui couvre l'actualité militaire.

Capture d'écran réalisée sur Youtube le 23 février 2022

Cette vidéo a également été partagée sur Facebook le 6 mars 2020 par le compte officiel d'une unité militaire ukrainienne basée dans le nord de l'Ukraine. La légende en ukrainien du message – qui attribue les images à Defence Express – précise qu'il s'agit de troupes effectuant un exercice militaire, sans donner de détails sur l'endroit où l'exercice a été mené.

Sur la toile chinoise, une autre vidéo montrant un char militaire dévalant une rue en janvier 2022 a été visionnée des milliers de fois. Encore une fois, il s'agit d'images recyclées, remontant à mai 2014 et aux affrontements entre troupes ukrainiennes et séparatistes dans la ville de Marioupol (voir l'article en anglais de l'AFP factuel à ce sujet).

Loin de se cantonner au continent européen ou à l'Asie, la désinformation atteint également les réseaux sociaux en Afrique.

Fin janvier, des images affirmant montrer un journaliste de la BBC avertissant d'une guerre nucléaire imminente en Europe de l'est ont ainsi circulé au Nigeria. Cette vidéo, partagée sur Facebook ici et ici , s'ouvre sur un clip "BBC Breaking News". Un homme y met en garde contre une "attaque nucléaire imminente" et montre de prétendues images de l'armée russe tirant sur les forces de l'Otan.

En réalité, il s'agit d'un extrait d'une vidéo de 55 minutes publiée pour la première fois en 2016 et faussement attribuée à la BBC. 

Le présentateur est un acteur connu sous le nom de Mark Ryes qui a précisé à la BBC que le clip avait été conçu par une société appelée Benchmarking Assessment Group "comme un test psychométrique pour leurs clients afin de voir comment ils réagiraient dans un scénario de catastrophe".

Aux Etats-Unis, une autre manipulation est devenue virale après un tweet de l'animateur de télévision et activiste conservateur Jack Posobiec, publié le 11 février dernier. Il y relayait une capture d'écran de CNN sur laquelle apparaissait le président russe Vladimir Poutine et un bandeau "Breaking news" : "Poutine va retarder l’invasion jusqu’à ce que Biden envoie des armes à l’Ukraine afin que la Russie puisse les saisir". 

En réalité, ce bandeau a été trafiqué et la capture d'écran renvoie à une émission de CNN du 30 mars 2017. La présentatrice Kate Bolduan y relayait des déclarations du président Poutine récusant toute ingérence russe dans l'élection présidentielle américaine. Le véritable bandeau indiquait alors: "Poutine : +Lisez sur mes lèvres : non+, nous n’avons pas interféré dans les élections+".

Loin d'être nouvelle et d'être propre au conflit russo-ukrainien, la question de la désinformation suscite depuis plusieurs mois inquiétude et appels à la vigilance. Le 19 février, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell a ainsi tiré la sonnette d'alarme en mettant en garde contre une "intensification des efforts de manipulation de l'information" destinés selon lui à servir de prétextes fabriqués de toutes pièces pour justifier une escalade militaire en Ukraine.

Sur le terrain, virtuel comme réel,  une riposte s'est rapidement mise en place, menée tant par des internautes que des spécialistes, pour débusquer les mises en scène, approximations et autres infox.

Dernier exemple en date, la vidéo mise en ligne par le dirigeant séparatiste du Donetsk Denis Pouchiline, dans laquelle il ordonnait l'évacuation le jour même, "le vendredi 18 février", de la population de cette région vers la Russie. L'examen des métadonnées du fichier vidéo a montré que la vidéo avait en réalité été enregistrée deux jours auparavant, soit le 16 février. 



AFP France
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