Non, cette vidéo ne montre pas un "faux camp ukrainien" à Nantes

  • Publié le 14 mars 2022 à 19:59

En plein conflit russo-ukrainien, des internautes partagent une vidéo censée montrer des journalistes en train de filmer un "faux camp ukrainien" sur un toit de Nantes. On y distingue plusieurs silhouettes en train de s'affairer près d'un igloo et d'un drapeau ukrainien. Cette séquence a bien été filmée à Nantes mais il s'agit d'une installation théâtrale éphémère inspirée de l'univers de l'écrivain Jack London, montrant un campement d'explorateurs confrontés au grand froid. Le drapeau ukrainien y a simplement été hissé en signe de soutien au "peuple ukrainien", a expliqué à l'AFP la compagnie théâtrale Royal de Luxe, basée à Nantes, à l'origine de l'installation.

Le conflit russo-ukrainien s'est-il invité sur le toit d'un immeuble nantais, lors du tournage d'un reportage prétendument filmé sur le front ? C'est ce qu'affirment plusieurs internautes sur Facebook et sur Twitter (1, 2, 3, 4), en relayant une même vidéo d'une dizaine de secondes montrant une curieuse installation enneigée au sommet d'un bâtiment.

On y distingue plusieurs silhouettes en train de s'affairer à côté d'un amas d'objets, d'un igloo et d'un drapeau ukrainien, tandis que le vidéaste filmant cette scène depuis la rue s'exclame, incrédule : "Mais il se passe quoi ? Pourquoi y a de la neige et un truc de l'Ukraine ?" Une seconde personne, visiblement tout aussi perplexe, lui rétorque : "C'est des gens de l'armée, non ?"

Capture d'écran de Twitter prise le 14/03/2022.

Leurs interrogations autour de ce décor ont depuis donné lieu à de véritables accusations de duperie de la part d'internautes qui voient dans cette séquence "une nouvelle Fake News en direct d'Ukraine..." tournée à "Nantes", un "fake camp Ukrainien [...] filmé en Bretagne !" ou encore la mise en scène, "en France, [d']un faux camp ukrainien sur un toit" permettant à des "journalistes" de simuler "un reportage en direct".

Capture d'écran réalisée sur Facebook le 14/3/2022
Capture d'écran réalisée sur Twitter le 14/3/2022

 

 

Ce décor a bien été installé sur un toit de Nantes début mars 2022, mais il s'agit d'une manifestation théâtrale éphémère mettant en scène des explorateurs dans une contrée glaciale et non pas d'un faux campement ukrainien.

Une manifestation théâtrale de la compagnie Royal de Luxe

Si les premières accusations de manipulation remontent au 10 mars sur les réseaux sociaux, la vidéo circulait dès le 5 mars sur TikTok, sans faire l'objet de telles allégations, puisque sa légende indiquait simplement : "C’est rien c’est Nantes #ukraine #bellevue".

La séquence a bien été filmée dans le quartier de Bellevue, situé entre les communes de Nantes et de Saint-Herblain, comme on peut le vérifier sur Google Street View. Plus précisément sur un toit surplombant la rue d'Aquitaine, où l'on retrouve la devanture colorée de l'enseigne située au bas de l'immeuble visible dans la vidéo.

Capture d'écran réalisée sur Twitter le 14/03/2022.
Capture d'écran réalisée sur Google Street View le 14/03/2022.

Ces lieux sont encore plus distinctement reconnaissables sur la vidéo tweetée par Presse Océan le 1er mars 2022, le jour de l'apparition de ce campement d'"explorateurs" sur le toit de l'immeuble.

Une "situation imaginaire" inspirée de l'oeuvre de Jack London

Car, comme le quotidien régional le détaillait en parallèle dans un article intitulé "À Nantes un igloo et des trappeurs sur le toit d’un immeuble", cette installation n'est autre qu'une mise en scène artistique de la compagnie Royal de Luxe, basée à Nantes.

"Par cette nouvelle intervention théâtrale nommée 'Les vacances d’hiver de Monsieur Bourgogne', écrite pour le Grand Bellevue, Jean-Luc Courcoult, auteur-metteur en scène, fondateur de la compagnie, continue son aventure poétique", détaille pour sa part le site de la compagnie de théâtre de rue fondée en 1979.

"Le public pourra s’adonner au fil des jours, durant quelques minutes seulement ou de longues heures, à sa guise, à une contemplation théâtrale permanente. 'L’appel de la forêt' de Jack London a guidé cette situation imaginaire mettant en scène des explorateurs, installés sur le toit d’un immeuble de la Place Mendès-France, qui verront leur quotidien rythmé par des vents violents et une brise glacée", poursuivait le descriptif de cette animation installée dans le quartier du 1er au 5 mars dernier.

Celle-ci ne prétendait donc nullement mettre en scène le conflit en cours en Ukraine, comme le confirme la compagnie Royal de Luxe à l'AFP : "Jean-Luc Courcoult avait simplement décidé, en soutien au peuple ukrainien, de monter ce drapeau sur l'installation".

Des animations mises en place périodiquement à Bellevue

Ce type d'animation éphémère est loin d'être inédit à Bellevue, la compagnie Royal de Luxe y ayant déjà réalisé plusieurs opérations similaires ces dernières années afin d'y "installer une présence artistique inspirée du théâtre populaire en apportant un souffle de poésie", là où la municipalité de Nantes y voit un moyen de "transformer en profondeur la relation des habitants avec leur quartier" en pleine phase d'importants aménagements urbains.

Outre l'apparition soudaine d'une cabine téléphérique au 5 rue d'Aquitaine le 22 février dernier - pour mieux annoncer l'arrivée prochaine des explorateurs sur l'immeuble d'en face -, les habitants de Bellevue avaient par exemple pu apercevoir le "livre des aventures de Monsieur Bourgogne" sur un toit au cours de l'été 2021, ou encore une voiture transpercée par un arbre sur la place Mendès-France à l'automne 2019.

Sur les réseaux sociaux, depuis le début du conflit russo-ukrainien, de nombreuses photos et vidéos sorties de leur contexte sont présentées à tort comme des tentatives de manipulation de l'opinion, qu'il s'agisse de prétendus acteurs payés pour incarner des victimes de bombardements russes ou de faux cadavres de civils soi-disant montrés par la télévision ukrainienne.

Plus de deux semaines après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, plus de deux millions de réfugiés ont fui le pays, d'après les derniers décomptes du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Environ 13.500 déplacés ont été recensés en France à ce stade, selon le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.



Alexis ORSINI, AFP France
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