"L'OMS profite du conflit ukrainien pour imposer la vaccination" : attention à cette fausse affirmation virale

  • Publié le 17 mars 2022 à 13:55

L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) serait en train de mettre en place un "accord contraignant" imposant l'obligation vaccinale, si l'on en croit une publication partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux depuis le 9 mars. Profitant du conflit en Ukraine, l'organisation intergouvernementale s'apprêterait à utiliser l'article 19 de sa Constitution pour "contrôler" la politique de santé de ses états membres. Mais attention, il s'agit d'une interprétation erronée de discussions initiées le 1er mars à l'OMS pour mieux faire face à une prochaine pandémie, expliquent trois experts à l'AFP.

"L'OMS et Bill Gates profitent (du fait) que le mondeest distrait par l'intervention de la Russie en Ukraine pour imposer la vaccination générale par l'article 19 de (s)a constitution (...) les Etats perdront le contrôle national", peut-on lire dans ce texte du 9 mars, issu d'une page VKontakte à l'effigie de l'infectiologue controversé Christian Perronne.

Capture d'écran réalisée sur Facebook le 16 mars 2022 ( François D'ASTIER)

La publication, mélangeant des accusations envers le milliardaire Bill Gates et un discours anti-vaccin, a rapidement été relayée sur plusieurs réseaux sociaux, y compris Twitter où elle est devenue un "petit message du Pr Perronne" partagé plus de 3.000 fois en 48 heures et Facebook.

Elle prête à l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), agence des Nations unies pour la santé publique, le pouvoir de rendre la vaccination obligatoire dans le monde grâce à l'article 19 de sa Constitution.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, l'OMS a émis un certain nombre de recommandations pour lutter contre le virus et ses déclarations ont donné naissance à de nombreuses publications erronées (1,2,3,4,5...). Elle a également fait l'objet de critiques d'une partie de la communauté internationale tant dans son fonctionnement que dans ses actions.

Peut-elle pour autant, comme l'affirme la publication virale, imposer des mesures sanitaires dans un pays contre son gré ? C'est contraire à son fonctionnement, expliquent trois experts interrogés par l 'AFP le 16 mars 2022.

Un pouvoir essentiellement normatif

"L'OMS n'interviendra jamais dans un pays qui ne lui ouvrira pas la porte", résume à l'AFP Florian Kastler, docteur en droit public, enseignant à Sciences Po et auteur d'une thèse intitulée "Le rôle normatif de l'Organisation mondiale de la santé" (L'Harmattan).

Créée en 1948, l'OMS est une organisation intergouvernementale réunissant chaque année à Genève, lors d'une Assemblée mondiale de la Santé, des délégations de ses 194 Etats membres. A cette occasion, ces délégations votent notamment pour adopter des normes dans le domaine de la santé.

Les locaus de l'OMS à Geneve ( AFP / FABRICE COFFRINI)

Dans la grande majorité des cas, ces normes ne constituent que de simples recommandations. "Ce sont ensuite les Etats qui restent souverains pour implémenter ces recommandations au niveau national", relève Auriane Guilbaud, maîtresse de conférences en science politique à l'université Paris 8 et spécialiste des questions de santé internationale.

"Aucun des dispositifs adoptés n'est véritablement pensé pour contraindre ses propres membres. C'est un lieu de discussions et de recherche de consensus politique dans le domaine de la santé", détaille Philippe Amiel, sociologue, juriste de la santé à l'université Paris-Diderot. "L'objectif est d'adopter ces normes sur la base du consensus. L'accord des états membres est essentiel", abonde Florian Kastler.

L'organisation s'est bien prononcée en faveur de la vaccination contre le Covid-19 mais, contactée par l'AFP le 16 mars, une porte-parole de l'OMS a rappelé la position officielle des experts de l'organisation sur son caractère obligatoire : elle ne devrait être envisagée qu'en "dernier recours, lorsqu'il existe une menace manifeste pour la santé publique de la société et des systèmes de santé".

Aucune recommandation officielle de l'OMS n'invite à généraliser la vaccination obligatoire à tous les pays : "il n'y a pas de politique unique, chaque pays est confronté à une situation épidémiologique différente", a précisé la porte-parole de l'OMS.

Et quand bien même, l'application d'une recommandation hypothétique en ce sens resterait à la discrétion des Etats membres.

"Accord contraignant" ?

Mais la publication vérifiée évoque l'utilisation de l'article 19 de la Constitution de l'OMS qui permettrait précisément de mettre en place un "accord contraignant" et ainsi de "contrôler" les politiques de santé des pays. Cet article de la Constitution existe, mais le texte viral en fait une interprétation "fantaisiste et erronée", selon Philippe Amiel.

Capture d'écran de la constitution de l'OMS réalisée le 16 mars 2022 ( François D'ASTIER)

Outre les recommandations, l'OMS peut adopter deux autres types de norme lors des Assemblées mondiale de la Santé, dont "des conventions ou accords internationaux" par le biais de l'article 19. Un tel accord ne peut être adopté que si la majorité des deux tiers des Etats membres sont d'accord.

Il s'agit bien d'un "instrument juridiquement contraignant", dit Florian Kastler. "A partir du moment où vous signez une convention, vous êtes tenus de la mettre en oeuvre en toute bonne foi", note-t-il.

Mais, d'une part, "les Etats peuvent tout à fait choisir de ne pas être parti au traité s'ils ne le souhaitent pas", explique Auriane Guilbaud.

Et il n'y a d'autre part pas de mécanisme de sanction prévu par l'OMS, ni en cas de non ratification, ni même en cas de non-respect d'une convention ratifiée, soulignent les trois experts.

De fait, les Etats-Unis n'ont jamais ratifié la convention de l'OMS pour la lutte antitabac entrée en vigueur en 2005 - seule fois où l'article 19 a été utilisé par l'agence onusienne. Ils font toujours partie de l'agence onusienne.

Un pays ne pourrait également pas ratifier un tel accord en catimini au détour d'une réunion dans les locaux de l'OMS : "Cela engage un processus politique nationale plus long", dit Mme Guilbaud.

En France, cela passerait par un vote à l'Assemblée nationale, note M. Amiel. L'article 53 de la Constitution française précise que les "traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale [...] ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi."

Début d'un processus

La publication affirme enfin que "pendant que le monde est distrait par l'intervention de la Russie en Ukraine", des négociations ont opportunément débuté à Genève pour déboucher sur ce fameux dispositif contraignant imposant la vaccination obligatoire.

Mais cet apparent opportunisme correspond en fait simplement au calendrier officiel décrit par l'OMS lors de l'annonce, le 1er décembre 2021, du lancement d'un "processus visant à élaborer un accord mondial sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies". "

"L’organe de négociation tiendra sa première réunion d’ici le 1er mars 2022 (afin de convenir des méthodes de travail et des calendriers)", peut-on ainsi lire dans le communiqué de presse de l'agence onusienne.

Capture l'écran du site de l'OMS du 16 mars 2022 ( François D'ASTIER)

Les discussions sur un éventuel texte ou accord international, initiées par plusieurs dizaines de pays, dont ceux de l’Union européenne et les Etats-Unis, n’en sont qu’au début. Les membres de l’OMS doivent d'abord plancher sur l'élaboration du cadre juridique et décider si cet instrument international sera contraignant - à l'instar d'un traité - ou pas.

L'utilisation de l'article 19 n'est pas gravée dans le marbre. L'organe doit convenir "d'une convention, un accord ou un autre instrument international de l’OMS sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies, en vue de son adoption en application de l’article 19 ou de toute autre disposition de la Constitution de l’OMS que l’organe de négociation jugerait indiquée", précise le communiqué de lancement de l'OMS.

C'est précisément à cela que serviront les premières réunions, dont celle qui a eu lieu le 1er mars : commencer à définir le "contenu et le contenant" d'un tel texte, note Florian Kastler. afin d'emporter l'adhésion "du plus grand nombre".

Il est impossible à ce stade de savoir ce que contiendra l'hypothétique accord. "Les travaux viennent juste de commencer", relève Auriane Guilbaud. Elle souligne qu'un tel texte ne porte "de toute façon pas seulement, et pas forcément, sur la question de la vaccination" mais couvre un champ "beaucoup plus général" pour mieux organiser la réponse internationale face à une pandémie.

Un rapport intermédiaire est attendu pour mai 2023, suivi de conclusions en mai 2024, selon le calendrier officiel. "Une des attentes vis-à-vis de ce traité est de pouvoir améliorer la capacité de l'OMS à suivre et évaluer la situation dans les pays : le pouvoir d'enquête de l'OMS", a indiqué à l'AFP une source diplomatique française, dans cette dépêche de décembre dernier.

Il permettrait "d'obtenir des avancées importantes sur le renforcement de l'accès équitable aux produits de santé, mais aussi de disposer de systèmes de santé qui ont pu être renforcés pour constituer une première ligne de défense efficace face aux pandémies".

"L'adoption de cette décision est un motif de célébration et d'espoir", s'était réjoui le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors de l'annonce de lancement du processus. La gestion du Covid-19 a en effet montré les limites de ce que l'OMS a le droit et les moyens de faire.



François D'Astier, AFP France
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