Les infanticides bientôt légalisés en Californie ? Attention à ces articles trompeurs

  • Publié le 13 avril 2022 à 19:16

La Californie pourrait légaliser les infanticides sur son territoire selon un projet de loi actuellement en discussion, affirment des articles relayés sur Twitter. C'est faux : il vise à protéger les femmes de toute poursuite en cas de fausse couche, en cas de naissance d'un enfant mort-né ou décédé moins de sept jours après la naissance, précise à l'AFP la co-rapporteure du projet de loi. Selon des experts en droit, il est improbable que ce texte puisse constituer une défense efficace pour toute personne qui tuerait intentionnellement son enfant.

"Un projet de loi en Californie pour légaliser l'infanticide", titre le site d'extrême droite Boulevard Voltaire le 1er avril 2022. Dans cet article, son autrice explique que "le projet est écrit noir sur blanc, déposé (...) sous le matricule Assembly Bill 2223. Il propose qu’une mère ne puisse être poursuivie pénalement pour l’avortement à n’importe quel stade de la grossesse (sans avoir à justifier d’une détresse physique ou mentale, comme c’est le cas actuellement) ou pour le décès de son nouveau-né."

"Un projet de loi qui, s’il était adopté, reviendrait à légaliser l’infanticide", résume Boulevard Voltaire.

Capture d'écran de Facebook réalisée le 13 avril 2022

D'autres publications font état de ce projet de loi californien et ont été partagées au total plusieurs centaines de fois depuis quinze jours sur Twitter (1, 2, 3), VK et plusieurs sites internet (1, 2, 3, 4).

Un texte amendé

Un projet de loi californien "AB-2223" sur la "santé reproductive" existe bel et bien. Son contenu est accessible sur le site de la législature californienne.

Selon sa notice, son objectif est "d'empêcher une personne d'être soumise à un régime de responsabilité civile ou pénale, ou bien d'être privée de ses droits" en raison "d'actions ou de négligences en relation avec la grossesse ou l'issue véritable, potentielle ou supposée de la grossesse."

Plusieurs publications repérées en ligne (1, 2, 3) dénoncent tout particulièrement l'utilisation de l'expression "mort périnatale" dans le corps du texte de ce projet de loi, en expliquent qu'est défendu ici "le droit d'euthanasier des bébés" dans les jours qui suivent leur naissance.

La mort périnatale désigne à la fois la mort des nourrissons à la naissance (aussi appelé mortinatalité) mais aussi la mort néonatale précoce, c'est-à-dire jusqu'à sept jours après l'accouchement.

Mais ces publications omettent de dire que ce projet de loi, renvoyé au comité sur la santé de l'Etat de Californie, a été amendé. Il spécifie désormais que la cause de la mort doit être "en lien avec la grossesse".

Capture d'écran du site de la législature de l'Assemblée d'Etat de Californie effectuée le 13 avril 2022, avec les modifications introduites par des amendements

L'article en question peut être traduit en français comme ceci :

Un argument "fallacieux"

Mais malgré cette modification, les publications et articles repérés en ligne n'ont pas été édités et continuent d'être partagés.

Buffy Wicks, corapporteure du projet de loi, a tweeté une déclaration pour critiquer cette présentation trompeuse du texte.

"Les militants anti-avortement colportent un argument absurde et fallacieux selon lequel ce projet de loi viserait à tuer des nouveau-nés, alors que paradoxalement, la partie du projet de loi qu'ils pointent du doigt a pour objet la protection et le soutien des parents dans le deuil [après une fausse couche ou la perte d'un nouveau-né]", a-t-elle déclaré le 5 avril.

Erin Ivie, porte-parole de Buffy Wicks, a expliqué à l'AFP que le projet de loi a été amendé le 6 avril "pour qu'il soit parfaitement clair que [ce texte] a pour objet la grossesse et l'issue de la grossesse". Un amendement voté "uniquement en raison d'interprétations fallacieuses".

Mme Ivie a indiqué que le projet de loi vise à éviter les situations dans lesquelles les femmes qui accouchent d'enfants mort-nés seraient poursuivies pour leur conduite durant la grossesse.

"Cette loi pourrait protéger et soutenir les parents dans le deuil après une mort périnatale en les empêchant d'être interrogés et éventuellement incriminés par tout enquêteur ou procureur alors qu'ils vivent probablement l'épreuve la plus difficile de leur existence", a-t-elle souligné.

La porte-parole a mentionné l'exemple de Chelsea Becker, une Californienne poursuivie pour avoir accouché d'un enfant mort-né après avoir consommé de la méthamphétamine.

Un signe d'"ignorance des principes d'interprétation des lois"

Des experts en droit ont également indiqué que l'objectif du projet de loi était limpide, et qu'il était improbable qu'il puisse être utilisé avec succès dans une stratégie de défense pour une affaire d'infanticide.

"Il n'y a rien là-dedans pour indiquer que cela constituerait un élément de défense dans une affaire de meurtre d'un nourrisson né vivant", selon Jonathan Simon, professeur de droit pénal à l'université de Californie à Berkeley.

Franklin Zimring, du Centre d'études en droit pénal de la même université, abonde dans le même sens : "Quiconque souhaiterait extrapoler [ce texte] et s'en servir devant la justice après le meurtre d'un nouveau-né mènerait un combat ardu", a-t-il expliqué.

De plus, selon Stephen Munkelt, directeur exécutif de l'association des Procureurs de Californie pour la justice pénale, "la dernière clause [du projet de loi] précise qu'un décès causé par des actes postérieurs à la naissance n'est pas exempt de poursuites."

Lisa Ikemoto, professeure de droit à l'université de Californie à Davis, a souligné que grâce à l'amendement sur la formulation du projet de loi, il est évident qu'il n'a aucun rapport avec les infanticides.

"Interpréter le projet de loi de manière à dire qu'il autoriserait des personnes à tuer leurs bébés après la naissance [...] [c'est le signe] d'une créativité extraordinaire et de l'ignorance des principes d'interprétation des lois", a expliqué Lisa Ikemoto.



Louis Baudoin-Laarman, AFP Etats-Unis
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