Eoliennes au large du Touquet : de quoi parlait Marine Le Pen lors du débat face à Emmanuel Macron ?

  • Publié le 22 avril 2022 à 21:12

Lors du débat de l’entre-deux tours, Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron de "vouloir [...] mettre" des éoliennes en mer "sur toutes les côtes, sauf en face du Touquet", où le couple présidentiel possède une maison. Selon la candidate du Rassemblement national, ce projet serait le seul à avoir été suspendu par le chef de l’Etat, ce qu'a contesté son rival. Cette décision a bien été actée en 2017 par le gouvernement peu après l’arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir mais elle se conformait à un avis préfectoral rendu à la fin du quinquennat de François Hollande.

Dette publique, chômage, TVA… Mercredi 20 avril, lors du débat de l’entre-deux tours, Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont multiplié les affirmations contestées sur de nombreuses thématiques.

Mais un échange bien précis entre les deux candidats autour d’une question environnementale a marqué les esprits, au point d’avoir amené, depuis, différents acteurs du dossier en question à s’exprimer sur le sujet.

En réaction aux projets d'"éolien en mer", énergie renouvelable et décarbonée défendue par Emmanuel Macron, qui a annoncé, en février, son souhait de développer "une cinquantaine de parcs éoliens en mer" à l’horizon 2050; Marine Le Pen l’a accusé de "vouloir en mettre partout, sur toutes les côtes, sauf en face du Touquet".

Selon la candidate du Rassemblement national, "tous [ces projets] ont été actés sauf celui en face du Touquet", ville côtière du Pas-de-Calais où le couple présidentiel possède une maison.

"Mais vous rigolez ou quoi? Mais il n’y en a aucune qui a été actée, la planification n’a pas commencé en concertation", lui a répondu Emmanuel Macron, en dénonçant le "complotisme" de son adversaire.

Visiblement non convaincue par sa répartie, Marine Le Pen, a tweeté, après le débat, une capture d’écran d’un article de France 3 Hauts-de-France du 11 août 2017 intitulé "Côte d'Opale : l'Etat suspend le projet d'éoliennes offshore au Touquet", censé prouver le "mensonge" du président sortant.

En quoi consiste le projet d’éoliennes offshore du Touquet ?

Sous le quinquennat de François Hollande, la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), feuille de route énergétique de la France adoptée en application de la loi de transition énergétique, prévoyait d'attribuer jusqu'à 6.000 mégawatts (MW) de projets pour l'éolien en mer posé d'ici à 2023, en plus des 3.000 MW qui devraient être en service à cette échéance.

Un premier appel d'offres avait attribué en 2012 à EDF trois parcs éoliens de 500 MW chacun à Courseulles-sur-mer (Calvados), Fécamp (Saine-Maritime) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), et un quatrième parc de même capacité à l'espagnol Iberdrola à Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor).

En novembre 2013, Frédéric Cuvillier, ministre des Transports et élu de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), avait apporté son soutien à un projet de parc de 80 éoliennes en mer capable de produire 500 mégawatts, au large de la Côte d'Opale, près du Touquet.

"Le site qui s'était avéré le plus favorable dans ce coin du littoral était celui de Bassure de Baas, un banc de sable éloigné de 19-20 km du littoral et à 20 km au sud du Touquet", explique aujourd’hui l’ex-ministre et actuel maire de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) à l'AFP.

Mais ce site ne figurait pas dans le deuxième appel d’offres de mai 2014.

"En décembre 2016, alors que j’avais quitté le ministère, j’ai rappelé à Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, que Bassure de Baas était dans la shortlist avant l’appel d’offre et qu'il fallait que ce site puisse être évalué car il était idéal", explique Frédéric Cuvillier.

Fin février 2017, lors d’une visite à Boulogne-sur-Mer, Ségolène Royal, aux côtés de Frédéric Cuvillier, répond favorablement à sa demande en annonçant un appel d'offres "imminent" autour du projet d’éoliennes offshore de Bassure de Baas , comme le relatait notamment France 3.

"C'est un projet qui a été mûrement réfléchi, qui est dans une zone absolument propice, qui complète aussi le projet sur Dunkerque", déclarait à cette occasion la ministre de l’Environnement.

Dans quelles conditions ce projet a-t-il été suspendu ? Des consultations sont lancées avec les acteurs locaux mais l'annonce de Ségolène Royal suscite l'opposition immédiate du maire Les Républicains (LR) du Touquet, Daniel Fasquelle.

"A la veille de l’élection présidentielle de 2017, Ségolène Royal était sur le point de signer un arrêté officialisant la zone de Bassure de Baas comme zone propice au projet. J’avais alors indiqué aux préfets que je ne laisserais pas passer cela car elle ne respectait pas la procédure légale, notamment parce qu'elle avait organisé un semblant de consultation", affirme-t-il aujourd’hui auprès de l’AFP.

"Les autorités préfectorales avaient fait savoir à Ségolène Royal la volonté du collectif d'opposition au projet, Horizon, que j’ai fondé, d’attaquer en justice cette procédure si elle était lancée", poursuit l’élu.

De son côté, Frédéric Cuvillier affirme que Daniel Fasquelle a "coagulé les oppositions à ce projet" et estime que le préfet de région a conclu à "l'emporte-pièce" que les consultations menées n’avaient pas permis de réunir les "les conditions favorables à l'implantation des éoliennes".

Un employé devant le parc éolien offshore en construction de Saint-Nazaire, le 12 avril 2022 ( AFP / SEBASTIEN SALOM-GOMIS)

Ces réserves sont formalisées dans un courrier daté du 27 juillet 2017 des autorités préfectorales dans lesquelles elles disaient avoir rendu leurs conclusions au gouvernement le 3 mai 2017, soit dans l’entre-deux tours de la présidentielle.

"Suite à cette consultation, nous avons rendu nos conclusions au ministère le 3 mai 2017, en indiquant que les conditions favorables au lancement d'un appel d'offres sur la zone de Bassure de Baas n'étaient pas réunies à ce stade", écrivaient le préfet des Hauts-de-France Michel Lalande et du préfet de la Manche, Pascal Ausseur.

Après l'élection d’Emmanuel Macron, le dossier a été transmis à celui qui venait d’être nommé ministre de la Transition Écologique Nicolas Hulot, qui a décidé de le suspendre.

"Dans ces conditions, [...] le ministre de la Transition écologique et solidaire (qui était alors Nicolas Hulot) a décidé de suspendre la consultation sur cette zone", écrivent les deux préfets dans cette missive, authentifiée à l'AFP par la préfecture maritime de la Manche.

Ce courrier avait été rendu public à l’été 2017 sur Facebook par Tiphaine Auzière, fille de Brigitte Macron et belle-fille d'Emmanuel Macron, opposante farouche à ce projet et candidate malheureuse LREM aux législatives dans le Pas-de-Calais en qualité de suppléante de Thibaut Guilluy.

Dans cette publication Facebook, le duo se félicitait d’avoir pris "le temps d'expliquer au ministre Nicolas Hulot pourquoi ce projet d'éoliennes en mer sur le banc de Bassure de Baas ne devait pas se poursuivre tant pour des raisons économiques qu'écologiques".

La suspension de ce projet a donc bien été formalisée sous le mandat d’Emmanuel Macron, comme l'affirme Marine Le Pen, même si la candidate RN ne précise pas que cette décision a été prise conformément aux recommandations des autorités préfectorales formulées pendant le quinquennat précédent.

Où en est-on sur l'éolien en mer ?

Malgré ses 2.800 km de côtes en métropole, la France est aujourd'hui très en retard dans l'éolien en mer, par rapport au Royaume-Uni, la Scandinavie ou même l'Allemagne.

A ce stade, sept parcs éoliens offshore "posés", c'est-à-dire avec un mât planté dans le sol, sont en cours de développement.

Capture d'écran prise sur le site eoliennesenmer.fr le 22/04/2022

Le pays avait pourtant décidé de se lancer dès 2009, en attribuant quatre premiers parcs. Mais les chantiers ont pris du retard, bloqués notamment par des recours en justice qui doivent être purgés avant que les travaux démarrent.

Dix ans après l'appel d'offre initial, le tout premier parc offshore en France, celui de Saint-Nazaire, entrera ainsi seulement en service début mai. Il comptera à terme 80 éoliennes, qui seront progressivement posées d'ici la fin de l'année.

Concernant l’éolien "flottant", technologie non mature et donc plus chère, un premier appel d'offres commercial a été lancé mi-2021 par l'Etat, pour un parc en Bretagne. En Méditerranée, la France a également annoncé les premiers appels d’offres pour deux parcs.

En février, Emmanuel Macron a annoncé vouloir accélérer le développement de l'éolien offshore en construisant une cinquantaine de parcs en mer pour "viser 40 gigawatts en service en 2050".

Pour Jean Castex, l'éolien offshore devrait devenir, à terme, "la deuxième source d'électricité en France après le nucléaire", générant "20% de la consommation d'électricité en France".

"Pour les nouveaux projets de parcs, les zones ne sont pas encore définies", a indiqué le ministère de la Transition écologique à l'AFP 21 avril.

"Les quatre façades de France métropolitaine seront concernées en 2022-2023 par un exercice de quantification du potentiel éolien en mer (...) des débats publics par façade seront organisés pour associer le public à l'identification précise des zones de parcs", a encore précisé le ministère.

Pour tenir cet objectif, le président-candidat a annoncé l'attribution de 2 GW de projets chaque année à partir de 2024, comme le demandait le secteur.

Un engagement qui devra encore être inscrit dans la loi de programmation énergétique attendue mi-2023.

La construction des ces nouveaux parcs a fait l'objet de vives critiques de Marine Le Pen qui propose dans son programme "un moratoire sur la construction de toute nouvelle éolienne, sur terre ou mer" dès ce printemps, et le début progressif de leur "démantèlement".

Capture d'écran du programme de Marine Le Pen prise le 22/04/2022


Alexis ORSINI, Juliette Mansour, AFP France
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