Non, l'oignon ne soigne pas les morsures de serpent

  • Publié le 17 mai 2022 à 18:12

L’oignon serait-il un remède pour soigner une morsure de serpent ? Une publication partagée 18.000 fois sur Facebook depuis fin avril le prétend. L’auteur de ce message viral  prescrit de consommer trois gros oignons en cas de morsure, pour "vomir tout le venin" répandu dans l’organisme. Faux, alertent des toxicologues contactés par l’AFP qui expliquent que le seul traitement efficace est un sérum antivenimeux. 

"REMÈDE CONTRE LA MORSURE DE SERPENT. Remède testé et approuvé", assure l’auteur de ce message abondamment relayé en Afrique francophone depuis le 28 avril 2022 (1,2). Selon lui, il suffirait de nettoyer et manger trois gros oignons pour se débarrasser rapidement du venin d’un serpent. 

Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 16 mai 2022

A en juger par les centaines de messages de remerciement sous le post viral, bon nombre d’internautes y croient. 

Capture d'écran de commentaires sous une publication Facebook, réalisée le 16 mai 2022

Un problème de santé publique 

Ce message suscite autant de réactions parce que les morsures de serpent représentent un problème de santé publique en Afrique subsaharienne comme le montre ce reportage au Soudan du Sud de l’ONG Médecins sans frontières.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que chaque année, elles sont la cause de 81.000 à 138.000 décès au moins et d’environ trois fois plus d’amputations et d’autres incapacités définitives. Leurs dégâts dans l’organisme sont considérables, estime l’institution.

Le venin de serpent peut notamment "entraîner une paralysie pouvant bloquer la respiration; des troubles sanguins aboutissant à des hémorragies fatales; des insuffisances rénales irréversibles et des lésions tissulaires susceptibles de provoquer des incapacités définitives et l’amputation d’un membre., détaille l’OMS. La plupart des cas surviennent en Afrique, en Asie et en Amérique latine. En Afrique, l'OMS estime entre 435.000 et 580.000 le nombre de morsures nécessitant un traitement par an.

"Manger des oignons n'a aucun effet"

Mais, contrairement à ce que laisse croire le message viral, "manger des oignons n'a aucun effet contre le venin de serpent", explique à l'AFP Ashley Kemp, directrice à l’African Snakebite Institute, un organisme sud-africain spécialisé dans la recherche sur les morsures de serpents. Cette experte prévient d'ailleurs que le venin de serpent est de composition complexe et varie considérablement d'une espèce à l'autre. "Il peut même y avoir des variations dans la puissance du venin au sein d'une même espèce", affirme-t-elle. 

Elle souligne d’ailleurs que "manger des oignons donnerait très probablement des nausées à la victime d'une morsure de serpent, ce qui pourrait plutôt entraîner de graves complications". Selon elle, le réflexe doit être d’immobiliser d’abord la victime puis la conduire dans un centre médical le plus tôt possible.

Nous avons passé un appel au numéro vert du centre anti-poison de Dakar, au Sénégal, où les interlocateurs de l'AFP ont été formels : "l’oignon n’est pas un remède contre la morsure de serpent". Ils conseillent plutôt de consulter un médecin ou de "courir" vers une pharmacie pour un antivenin, dans le pire des cas. 

Les spécialistes évoquent l’antivenin ou sérum antivenimeux pour contrer le venin du serpent. 

Dans un exposé sur les envenimations par morsure de serpents, Dr Fabien Taieb, médecin infectiologue au centre de recherche translationnelle de l’Institut Pasteur de Paris, conseille de l’administrer "le plus rapidement possible" à l’hôpital et "par voie intraveineuse”. Lui qui a travaillé dans l’extrême-nord du Cameroun, en Afrique centrale, déplore que certains patients aient recours à la médecine traditionnelle en cas de morsure venimeuse. Il explique que le traitement peut être complexe en fonction de l’ampleur de l’envenimation. 

Cependant, selon Ashley Kemp, "peu de victimes de morsures de serpent sont traitées avec un antivenin (moins de 20 % des personnes hospitalisées après une morsure de serpent)". Elle raconte que les victimes de morsures de serpent ne reçoivent pas automatiquement d'antivenin car la plupart d'entre elles ne présentent pas toujours de symptômes suffisamment graves pour justifier son utilisation. "La plupart des victimes ne sont pas gravement envenimées ou la morsure peut provenir d'un serpent qui n'est pas considéré comme potentiellement mortel ou n'est pas couvert par l'antivenin".  

"La majorité des serpents contrôlent leurs glandes à venin et sont assez réticents à gaspiller leur venin sur les humains. Ils donnent très souvent des morsures «sèches» sans symptômes ultérieurs d'envenimation ou le serpent peut injecter un peu de venin qui causera une gêne ou certains symptômes mais rien de grave. Ces patients sont généralement hospitalisés pendant une journée, surveillés attentivement puis renvoyés chez eux", explique la spécialiste.

Des serpents et plusieurs types de venins 

D’autre part, il existe plusieurs types de venins et divers antivenins. Ashley Kemp précise que le venin de serpent est généralement divisé en trois catégories en fonction des toxines qu'il contient. Elle énumère le venin neurotoxique qui affecte le système nerveux (les mambas et plusieurs cobras, en particulier le cobra du Cap); le venin cytotoxique affecte les tissus et les cellules musculaires (le Puff adder, le Gaboon adder et le Mozambique spitting cobra) et les hémotoxines (le boomslang et le serpent brindille). 

Un puff adder dans les vallées du Rift kenyan du comté de Baringo, qui a l'une des incidences les plus élevées d'attaques de serpents venimeux au Kenya ( AFP / TONY KARUMBA)

Ashley Kemp déplore la circulation de conseils comme celui de manger des oignons pour soigner une morsure de serpent. "La morsure de serpent est souvent une urgence médicale, plus tôt le patient se rend à l'hôpital et reçoit un antivenin (si nécessaire), meilleures sont ses chances de guérison", insiste-t-elle, rappelant qu'avaler "n'importe quelle substance est une perte de temps, car cela ne fait rien pour ralentir ou arrêter la propagation du venin. Le seul traitement efficace pour l'envenimation grave par morsure d'un serpent potentiellement mortel est l'antivenin". 

Toutefois, "l'antivenin est relativement rare, coûteux", révèle cette spécialiste. 

Pour en finir avec les morsures de serpents: plus d'antivenins

Une dépêche de l’AFP publiée en mars 2019 relevait que pour soigner les victimes de serpents venimeux, l'Afrique a besoin d'antivenins efficaces, d'un coût abordable et en quantités suffisantes, ce qui n'est actuellement pas le cas, au grand dam des spécialistes et organisations œuvrant en première ligne contre les effets ravageurs de ces morsures.

L'OMS avait décidé de prendre le problème à bras-le-corps et avait publié une feuille de route globale pour diminuer de moitié à l'horizon 2030 le nombre annuel de décès et de personnes souffrant de séquelles permanentes provoquées par les morsures de serpents.

Le secteur des antivenins pour l'Afrique avait été complètement bousculé lorsque le laboratoire français Sanofi avait arrêté la production en 2014 de son antivenin polyvalent "FAV-Afrique", essentiellement pour des raisons de rentabilité. 

L'OMS ambitionne également de restructurer le marché en s'assurant de la disponibilité de 3 millions de traitements dans le monde d'ici 2030 en Afrique subsaharienne.



Monique Ngo Mayag, Tendai DUBE
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