Non, ces cartes météo ne prouvent pas que les médias sont devenus alarmistes sur le dérèglement climatique

  • Publié le 26 juillet 2022 à 20:12

Des publications partagées des centaines de fois sur les réseaux sociaux depuis le 17 juillet, affirment, cartes à l'appui, que les médias exagèrent intentionnellement la hausse des températures. Selon certains internautes, elles montrent que les codes couleur pour les fortes températures ont changé : des valeurs représentées en vert il y a 10 ans seraient passées au rouge en 2019. Cependant, les deux premières cartes ne sont pas comparables car l'une montre des prévisions de températures, quand l'autre montre les niveaux de précipitations et d'ensoleillement. Le même média appliquait par ailleurs déjà du rouge en 1999. Quant à la troisième, elle a été manipulée. Enfin, les climatologues s'accordent sur la hausse générale des températures, en raison du dérèglement climatique.

"On est passé d'un été normal avec des températures allant jusqu'à 36 degrés à un été apocalyptique avec des températures allant jusqu'à 32 degrés", affirment des internautes dans plusieurs publications partagées des centaines de fois sur Facebook et VKontakte.

Cette déclaration s'accompagne d'une comparaison de trois cartes, censée démontrer que les médias dramatisent, à travers l'utilisation de couleurs allant du vert au rouge, la hausse des températures et, par conséquent, le réchauffement climatique.

Capture d'écran d'une publication Facebook réalisée le 26/07/2022
Capture d'écran d'une publication VKontakte, réalisée le 26/07/2022

 

 

Des publications similaires ont été publiées en anglais, en allemand et en norvégien.

La première carte, présentée comme datant de 2009, affiche sur un fond vert des températures allant de 27 à 36 degrés en Allemagne. Tandis que la deuxième, présentée comme datant de 2019, affiche sur fond rouge des températures inférieures, variant entre 20 et 34 degrés, sur le même territoire.

La troisième carte irait même jusqu'à illustrer les fortes températures par des boules de feu en arrière-plan.

Les deux premières cartes ne montrent pas la même chose

Les deux premières cartes proviennent d'un journal télévisé du soir en Allemagne - le Taggesschau - diffusé sur une chaîne de télévision publique (ARD).

Capture d'écran d'une publication Facebook réalisée le 26/07/2022

Mais la chaîne n'a pas fait passer son code couleur du vert au rouge en 10 ans pour montrer des températures similaires, contrairement à ce que prétendent les publications. En effet, on retrouve déjà le fond de carte rouge dans une émission du 1er juin 1999 (à partir de 15min25) pour illustrer des températures allant de 20 à 30 degrés.

Capture d'écran de l'émission Tagesschau du 1er juin 1999, réalisée le 26/07/2022

Surtout, les deux cartes ne montrent pas la même chose. Le 5 juin 2019, la rédaction de l’émission Tagesschau avait d'ailleurs déjà consacré un article de vérification à cette question, en réponse aux accusations de manipulation.

La carte sur fond vert donne des prévisions pour les trois jours suivants. Elle indique non seulement les températures, mais également le niveau de précipitations ou encore l'ensoleillement. Pour simplifier la lecture, Tagesschau présice que "ces informations sont présentées avec une carte neutre".

La carte sur fond rouge est une prévision de température. L'intensité du rouge (du foncé au clair) varie en fonction de la température prévue, comme l'explique le site internet du Tagesschau.

Pour des températures basses, le JT propose des tons de bleu, tandis qu'il représente avec du vert ou du jaune, les températures douces ou tièdes. Ci-dessous un exemple datant de février 2022.

Capture d'écran du JT du 20 février 2022

Si l'on regarde un extrait de l'émission en 2009 (les prévisions météorologiques commencent à 14min15) ou en 2010 (les prévisions météorologiques commencent à 14min36), on peut voir que la chaîne utilisait déjà ces deux formats à l'époque : une carte météorologique sur fond vert pour prévoir le temps des jours à venir et une autre carte sur fond rouge quand les températures étaient élevées.

Les cartes ci-dessous, qui datent du 15 juillet 2010, montrent bien que les deux types peuvent tout à fait être diffusés le même jour.

Capture d'écran de l'émission Taggesschau du 15 juillet 2010, disponible sur Youtube, réalisée le 26/07/2022
Capture d'écran de l'émission Taggesschau du 15 juillet 2010, disponible sur Youtube, réalisée le 26/07/2022

 

 

La troisième carte est manipulée

La troisième carte provient d'un autre programme télé allemand, "RTL Aktuell", comme on peut le voir au logo "Wetter.de", en bas à gauche de l'image. Cette version manipulée circule sur les réseaux sociaux depuis au moins juillet 2020.

Capture d'écran de la publication Facebook, réalisée le 26/07/2022

L'agence de presse allemande DPA, en 2021, avait déjà retrouvé la version originale de cette carte, qui circulait sur les réseaux sociaux depuis au moins le 23 août 2019, en allemand. Contacté par l'AFP le 21 juillet 2022, Michelle Wilbois, porte-parole de "RTL Aktuell", affirme que "l'image a été manipulée".

"RTL n'a, à aucun moment, utilisé des graphiques d'incendies pour illustrer les prévisions météorologiques", a-t-elle déclaré. Elle a également fourni à l'AFP un extrait de l'émission d'origine, "du 22 août 2019" selon elle, à droite.

Comparaison entre l'extrait des prévisions météorologiques du 22 août 2019 diffusé sur "RTL Aktuell" à droite, et la version manipulée à gauche.

Des étés de plus en plus chauds

Même si tous les événements météorologiques extrêmes ne peuvent pas être attribués au dérèglement climatique, les étés européens deviennent de plus en plus chauds, comme le montre une comparaison des variations de température en Europe ces dernières années.

Dans une évaluation commune datant de l'été 2020, les instituts météorologiques d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse ont constaté que "l'été s'est massivement réchauffé en Suisse, en Allemagne et en Autriche depuis les années 1990". Les vagues de chaleur devenant plus fréquentes et plus longues, l'évaluation indique que "ce qui était un été extrêmement chaud est maintenant un été moyen".

Ainsi, la multiplication des canicules comme celle qui s'est abattue à l'été 2022 sur une bonne partie de l'Europe occidentale ou celle qui a frappé l'Inde en mars-avril de la même année, est un signe indubitable du changement climatique, expliquent les scientifiques.

"Chaque vague de chaleur que nous connaissons a été rendue plus chaude et plus fréquente en raison du changement climatique causé par l'Homme", résume Friederike Otto, du Grantham Institute à l'Imperial College de Londres.

"C'est de la physique pure: nous savons comment se comportent les molécules de gaz à effet de serre, nous savons qu'il y en a plus dans l'atmosphère, que l'atmosphère se réchauffe, ce qui signifie que nous nous attendons à voir des canicules plus fréquentes et plus chaudes et des vagues de froid moins fréquentes et plus douces", a expliqué lors d'un briefing en ligne cette spécialiste de "l'attribution" des événements extrêmes au changement climatique.

Graphique AFP publié le 27 juin 2022 montrant les épisodes rendus plus intenses par le changement climatique en 2021

Et ça n'est pas fini. Selon les experts de l'ONU, les canicules extrêmes auraient déjà 4,1 fois plus de "chances" d'intervenir à +1,5°C de réchauffement moyen de la planète par rapport à l'ère pré-industrielle, ce qui est l'objectif le plus ambitieux de l'accord de Paris de 2015.

Elle seraient 5,6 fois plus probables à +2C° et 9,4 fois plus à +4°C. Pour les pics de chaleur encore plus intenses et plus rares, les chiffres passent à 8,6 fois plus à +1,5°C, 13,9 fois à +2°C et... 39,2 fois à +4°C. Or la planète a gagné près de 1,2°C environ depuis la révolution industrielle et, selon l'ONU, les engagements actuels des États, s'ils étaient respectés, mèneraient vers un réchauffement "catastrophique" de +2,7°C.

Le cycle climatique s'en trouve déjà ainsi profondément modifié, comme le souligne Matthieu Sorel, climatologue à Météo-France, qui relève que les canicules qui se multiplient dans le pays -déjà deux cette année - seraient moins intenses de 1,5°C à 3°C sans l'effet du changement climatique. "Nous allons vers des étés de plus en plus chauds, où 35°C devient la norme et 40°C à être régulièrement atteint".

Mi-juillet, deux cartes manipulées censées prouver que les médias voulaient intentionnellement faire "peur" au sujet de la canicule, avaient également fait l'objet d'un article de vérification par l'AFP, dans lequel des experts réaffirmaient l'impact du réchauffement climatique.



Eva Wackenreuther, AFP Autriche, AFP France
guest
0 Commentaires