Littérature

La "petite madeleine" de Proust aurait pu être du "pain grillé" ou une "biscotte"

  • Publié le 19 octobre 2015 à 20:17

Il s'en est fallu d'une miette pour que la célèbre petite madeleine de Proust soit du "pain grillé" ou "une biscotte", révèlent les ébauches d'"A la recherche du temps perdu", l'un des monuments de la littérature du XXe siècle, qui vont être publiées jeudi pour la première fois.

Reclus dans la chambre de son appartement parisien, boulevard Haussmann, ou dans celle du 4e étage du Grand Hôtel de Cabourg, Marcel Proust noircit des pages et des pages. Ses doutes, ses hésitations et ses trouvailles se déploient dans ses carnets Moleskine, ses cahiers d'écoliers, des feuilles volantes.

Nous sommes en 1908. "Suis-je romancier?" se demande Proust. La Recherche sera longtemps un gigantesque chantier dont l'agencement n'est pas définitif. Il cherche, rature, revient en arrière ou saute dans le temps... "De ces dizaines de milliers de pages, nous avons choisi d'extraire trois pépites", raconte Jessica Nelson, éditrice et cofondatrice des éditions des Saint-Pères qui publient les reproductions des trois Moleskine inédits où Proust travaille sur ce qui va devenir "une scène fameuse entre toute" de l'univers proustien: celle du goût de la madeleine humectée d'un peu de thé.

"C'est dans ces Cahiers que l'on trouve la première occurrence de cette sensation ? qui passe, à juste titre, pour une sorte de Big Bang proustien", écrit dans sa préface Jean-Paul Enthoven, coauteur avec son fils Raphaël, du "Dictionnaire amoureux de Marcel Proust" (Plon). "Marcel, prudent, n'a pas encore définitivement choisi sa Petite Madeleine +moulée dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques+. Il hésite, envisage diverses pâtisseries, après avoir imaginé une tranche de +pain grillé+, il médite autour d?une +biscotte+, et il faut attendre encore pour voir enfin apparaître le biscuit proustien par excellence", raconte Jean-Paul Enthoven.

Moteur secret


Cette hésitation demeure une source intarissable de discussions entre érudits, s'amuse Jean-Paul Enthoven. Pour les uns, seul le "pain grillé" est "vraiment marcellien". Pour d'autres, la présence d'une "biscotte" serait "d?origine wagnérienne" car on trouve la trace d'une biscotte (Zwieback, en allemand) dans la correspondance du musicien que Proust a naturellement lue.

La petite madeleine apparaîtra finalement dans "Du côté de chez Swann". Marcel se voit proposer par sa mère du thé et des madeleines en une froide journée d'hiver. Lorsque les miettes et le breuvage chaud inondent son palais, il tressaille. Cette sensation de plaisir le renvoie à des souvenirs plus anciens. Le voilà ramené à Combray, le dimanche matin, lorsque la tante Léonie lui proposait une infusion de thé ou de tilleul. Le bonheur de l'enfance ressuscite.

"Cet épisode est le moteur secret de toute la Recherche. Ces trois cahiers inédits permettent ainsi de retracer la généalogie littéraire du moment le plus emblématique de l?univers proustien", rappelle Jessica Nelson. Aujourd'hui, "la madeleine de Proust" est devenue un lieu commun. On emploie cette expression pour désigner un souvenir qui revient soudain à la mémoire. Lorsqu'il estime avoir terminé son roman, Marcel Proust se questionne encore. Il hésitera sur le titre à donner à son oeuvre. "La recherche" aurait pu s'appeler "Les Intermittences du coeur".

Il va aussi connaître les affres de la recherche d'un éditeur. Gaston Calmette, le patron du Figaro où travaille Proust lui a promis une publication chez Fasquelle. Mais le premier lecteur du manuscrit refuse ce texte "fuyant de partout". Facétie de l'histoire, ce lecteur s'appelle... Jacques Madeleine. Finalement, en mars 1913, Grasset accepte de le publier à compte d'auteur. Le livre paraît en novembre de la même année. Malgré le soutien de ses amis, Jean Cocteau ou encore Lucien Daudet, la critique est mitigée.
Les derniers volumes de la Recherche paraîtront après la mort de l'écrivain en 1922.

Les éditions des Saints-Pères ont prévu deux tirages. Les mille premiers acheteurs auront droit à un coffret vert numéroté, ensuite ce sera un coffret ivoire (non numéroté). Quelle que soit l'édition, ces carnets d'un total de 268 pages seront vendus 249 euros.


Par Alain JEAN-ROBERT - © 2015 AFP

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