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La Tunisie lève le couvre-feu, mais les défis sociaux restent entiers

  • Publié le 4 février 2016 à 22:18

Le couvre-feu a été levé jeudi en Tunisie après l'essoufflement de la plus importante contestation sociale depuis la révolution de 2011, mais les revendications contre le chômage et la misère demeurent entières dans un pays en plein marasme économique.


Après plusieurs jours de manifestations parties de Kasserine, dans le centre défavorisé, le gouvernement, confronté à une propagation et à un risque de dérapage du mouvement, avait été contraint le 22 janvier de décréter un couvre-feu nocturne.
Valable de 20H00 à 05H00, il avait ensuite été allégé à deux reprises, à la faveur de l'essoufflement de la contestation.
"Vu l'amélioration de la situation sécuritaire, il a été décidé (...) de lever le couvre-feu sur tout le territoire", a indiqué jeudi dans un bref communiqué le ministère de l'Intérieur, au sujet d'une mesure qui, depuis le 29 janvier, restait en vigueur chaque soir à compter de minuit.
Inédite par son ampleur et sa durée depuis 2011, la vague de contestation sociale avait débuté le 16 janvier à Kasserine, cité miséreuse de 80.000 habitants, après le décès d'un jeune chômeur, Ridha Yahyaoui, électrocuté alors qu'il protestait contre son retrait d'une liste d'embauche dans le public.
La colère s'était propagée au cours des jours suivants dans de nombreuses régions, les forces de l'ordre répondant dans certains cas à des jets de pierre avec du gaz lacrymogène.
Dans la nuit du 21 au 22 janvier, des saccages de commerces avaient été enregistrés dans un quartier populaire de la banlieue de Tunis, Cité Ettadhamen.
Le couvre-feu avait été instauré le lendemain, "au vu des atteintes contre les propriétés publiques et privées", et du "danger" "pour la sécurité de la patrie et des citoyens".
Quelques rassemblements pacifiques se sont un temps poursuivis à Kasserine mais aussi à Sidi Bouzid, où l'immolation du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi avait donné le départ de la révolte contre le régime de Zine el Abidine Ben Ali fin 2010.
- 'Vérité' -
Alors que cette contestation est venue rappeler que les principaux motifs à l'origine de la révolution -misère, exclusion-- restaient d'actualité, le Premier ministre Habib Essid, en fonctions depuis plus d'un an, a défendu son action.
"Nous avons essayé, dans la mesure du possible, d?améliorer la situation", a-t-il assuré le 27 janvier devant le Parlement.
"Nous pourrions faire taire les gens et dire 'nous allons créer 1.000 emplois' (...) mais nous voulons dire la vérité", avait ajouté M. Essid, sans annoncer de mesure concrète.
Début janvier, il avait remanié son équipe, du fait notamment des critiques face à la situation économique et sociale.
Si la Tunisie, pionnière et unique rescapée du Printemps arabe, a réussi sa transition politique (élections libres, constitution), elle est engluée dans un profond marasme.
Le taux de chômage dépasse 15%, et flirte avec les 30% parmi les diplômés. Ces chiffres sont largement supérieurs dans l'intérieur, délaissé durant des décennies.
Mardi, le ministre des Finances, Slim Chaker, a indiqué que le taux de croissance en 2015 n'avait pas dépassé 0,3%, tout en disant espérer 2,5% cette année.
Le tourisme a été ravagé l'an dernier par les trois attentats revendiqués par le groupe Etat islamique (EI), notamment ceux du musée du Bardo et de Sousse (60 morts).
Les recettes touristiques, qui représentaient 7% du PIB, ont chuté d'un tiers en un an, et des dizaines d'établissements sont actuellement fermés. Aucun plan de relance n'existe à ce jour.
Malgré le soutien des pays européens notamment, les investisseurs étrangers boudent en outre la Tunisie, du fait de l'instabilité. Selon le quotidien La Presse, ils sont "plus de 300" à avoir quitté le pays depuis 2011.
Le couvre-feu en lui-même n'a pas été sans impact pour certains commerçants et restaurateurs, d'autant qu'une mesure similaire avait déjà été prise le 24 novembre dans le Grand Tunis (2,5 millions d'habitants) après l'attaque suicide ayant tué 12 agents de la sécurité présidentielle.
Le pays est sous état d'urgence depuis ce dernier attentat en date revendiqué par l'EI.
"Le climat en Tunisie n?encourage pas à l'investissement", a relevé le président Béji Caïd Essebsi lors d'une interview télévisée mercredi. "Il faut prendre la réalité comme elle est. Le chef du gouvernement a dit qu?il n?avait +pas de baguette magique+. C?est vrai. Mais on peut faire beaucoup de choses", a-t-il toutefois assuré.

Par Marie-Pierre FEREY, Franck IOVENE - © 2016 AFP
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