Les autorités seraient trop passives

A Chypre, le braconnage "industriel" des oiseaux migrateurs

  • Publié le 18 juin 2017 à 11:43

Plus de deux millions d'oiseaux tués chaque année, des profits juteux pour les trafiquants: à Chypre, la passion pour un mets nommé "ambelopoulia" nourrit un braconnage devenu "industriel" face à des autorités trop passives, selon les défenseurs des animaux.

Piégés par des branches enduites de colle ou des filets, des centaines de milliers d'oiseaux migrateurs sont tués puis servis chaque année en secret dans des restaurants de l'île méditerranéenne.

"C'est un désastre écologique", déplore l'association de protection des oiseaux BirdLife Cyprus en rappelant que le braconnage de ces oiseaux migrateurs --notamment la fauvette noire-- est strictement interdit dans l'Union européenne.

Plus de 2,3 millions d'oiseaux auraient été tués par les braconniers à l'automne 2016, selon une étude de la Société royale britannique de protection des oiseaux (RSPB), un chiffre en très forte hausse par rapport aux 1,4 million de 2010.

Les braconniers vendent la douzaine d'oiseaux à 40 euros à des établissements qui proposent ensuite discrètement l'assiette d'"ambelopoulia" à environ 80 euros. "La capture illégale de ces oiseaux est devenue une affaire de grande ampleur. Un braconnier bien organisé peut gagner des dizaines de milliers d'euros par an sans payer aucun impôt", explique à l'AFP Tassos Shialis, coordinateur d'une campagne de protection pour BirdLife Cyprus.

- Fusils pointés -

La gravité du problème n'a pas échappé au sergent Andy Adamou, qui travaille sur la vaste base britannique de Dhekelia, dans le sud-est de Chypre. En vertu des accords ayant conduit à l'indépendance chypriote en 1960, le Royaume-Uni a gardé deux importantes bases souveraines dans cette île stratégique aux portes du Moyen-Orient.

Celle de Dhekelia comprend le cap Pyla, un lieu très prisé des oiseaux migrateurs qui font escale à Chypre... et par ricochet des braconniers.
Le sergent Adamou montre un filet de 12 mètres récemment confisqué et qui servait à piéger fauvettes et autres rouge-gorges.

Les braconniers jouent des chants d'oiseaux enregistrés sur des hauts-parleurs dernier cri pour attirer leurs proies dans les buissons la nuit, puis, à l'aube, ils les arrosent de gravier pour leur faire peur et les pousser à se prendre dans les filets.

Et ils n'hésitent pas à menacer les policiers. "Au cours des dernières années, j'ai eu des agents attaqués, on a pointé des fusils sur eux, on a tiré juste devant eux pour leur faire peur", raconte Andy Adamou. Certains trafiquants ont lancé leur véhicule sur ceux des forces de police ou ont lâché des pitbulls pour les attaquer.

Le 13 juin, un officier de police a été blessé lorsqu'une grenade a été lancée à l'entrée d'un commissariat de la base de Dekhelia, des sources locales disant que l'incident pourrait être lié à une affaire de braconnage. "Nous recevons de nombreuses menaces. Nous ne les prenons généralement pas trop au sérieux, mais quand quelqu'un vous décrit exactement l'endroit où vous vivez, cela fait réfléchir", poursuit M. Adamou.

- Manque de moyens -

Pour lui, le principal problème demeure la forte demande des restaurants de Chypre pour ces oiseaux. Or ces établissements sont hors de sa juridiction puisqu'ils dépendent des autorités chypriotes. Ces dernières ne semblent guère intéressées par le sort des oiseaux, déplorent les défenseurs des animaux. Cyprus BirdLife regrette ainsi que le plan de lutte du gouvernement contre le braconnage adopté en 2015 soit largement resté lettre morte.

Cette année, un député --qui était membre à l'époque de la commission environnement-- a même posté sur Facebook une photo de lui attablé devant un "ambelopoulia" en écrivant: "Bientôt dans nos restaurants ! Joyeuses fêtes !"

La police chypriote chargée de la lutte contre le braconnage souffre également d'un criant manque de moyens. L'unité anti-braconnage ne compte que sept personnes qui doivent à la fois traquer les trafiquants et les restaurateurs.

"C'est difficile d'arrêter ce phénomène", dit le sergent Michalis Pavlides. "L'ambelopoulia est une tradition et on ne sait pas ce qui pourrait convaincre les Chypriotes d'arrêter d'en manger", poursuit-il.

Mais pour BirdLife, on est aujourd'hui loin d'une pratique traditionnelle, et plus "dans un business industriel". Professeur des écoles dans le village de Farmakas (centre), Natasa Kleanthous, estime qu'il faut davantage éduquer la population.

"Chasser des oiseaux et manger un +ambelopoulia+ fait effectivement partie de la tradition chypriote, mais j'ai un problème avec les gens qui se fichent du développement durable et pratiquent une chasse excessive", dit-elle.

AFP

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