Espagne

Face aux viols des lycéennes se font féministes

  • Publié le 11 mai 2018 à 13:21
  • Actualisé le 11 mai 2018 à 13:59

Des lycéennes de 14, 16 ou 18 ans rejoignent en Espagne les rangs d'un mouvement féministe de plus en plus revendicatif et tonitruant, s'identifiant à la jeune fille dont une "meute" d'hommes a abusé sans que les juges concluent au "viol".


"Ça ne me semble pas juste", dit et répète Laura Hincapié, brune Madrilène de 18 ans, choquée qu'un des juges ait pu écrire que la victime n'avait pas résisté activement parce qu'elle "participait volontairement" aux abus sexuels survenus à Pampelune, une nuit d'été de 2016. "S'il y a cinq hommes autour de toi, et que tu résistes, tu peux en mourir", s'indigne Laura lors d'une manifestation jeudi à Madrid.

Les plaintes pour viol sont en hausse en Espagne: 1.382 viols ont été enregistrés l'an dernier, 10,6% de plus qu'en 2016, selon le gouvernement. Les milliers de lycéennes qui manifestent contre le jugement depuis le 26 avril, sans pour autant avoir lu les plus de 300 pages d'argumentaire des magistrats, ne peuvent admettre que les conditions du viol - intimidation et violence - ait été écartées dans cette affaire sordide.

Les cinq hommes de 24 à 27 ans, qui se surnommaient eux-mêmes "la meute", ont été condamnés à neuf ans de prison pour "abus sexuel" aggravé d'"abus de faiblesse" sur la jeune femme. Ils s'étaient filmés en action. Ils ont "profité de leur supériorité pour abuser sexuellement de la plaignante qui, ainsi, n'avait pas donné son consentement librement mais sous la contrainte", a conclu le jugement, sans retenir la qualification de "viol" collectif.

La jeune fille avait bu de la sangria avant de les rencontrer. Moins d'un quart d'heures plus tard, ils lui faisaient enchaîner fellations et rapports sans préservatifs dans une entrée d'immeuble, puis l'abandonnaient après avoir dérobé son portable. L'un des trois juges a scandalisé en réclamant leur relaxe et en écrivant que les gestes et gémissements de la victime témoignaient d'une "excitation sexuelle". Et un professeur d'université a fait scandale sur Facebook en soutenant, sans connaître l'affaire, qu'elle avait "joui de la situation".

- Éduquer les garçons -

Cheveux longs, nombril apparent au-dessus du jean, Laura a le sourire encore encombré d'un appareil dentaire mais son féminisme est déjà très argumenté.
"Le machisme est une maladie socialement transmissible et l'éducation son vaccin", avait-elle écrit sur sa pancarte de manifestante. "L'homme est l'égal de la femme et basta. Mais il faut éduquer les garçons pour qu'ils s'en persuadent", explique-t-elle, affirmant que ses propres parents pensent encore "que l'homme a plus de droits".

"Moi je ne bois pas. Mais je voudrais être en sécurité, ivre ou non", explique aussi - timidement - une nouvelle manifestante "féministe" de 13 ans, Laura Arnaiz.
Sa mère, Toñi Gonzalez, architecte technique de 45 ans, voit les protestations massives contre ce jugement "comme une explosion alors qu'avant, nous taisions tout, par honte ou crainte".

- Culture du porno -

"L'Espagne est un pays où l'on sort beaucoup, il y a beaucoup d'ambiance dans la rue", dit-elle, mais les filles ne sont pas protégées de "groupes de sauvages" dont "beaucoup considèrent que passer du bon temps c'est se conduire comme une bête". La victime de la meute, "ça aurait pu être moi", dit directement Marta Vigada, élève de 16 ans.

Cette adolescente du XXIe siècle dit se sentir "forte, avec les mêmes capacités que n'importe quelle homme" mais attend que la réalité s'ajuste au "nous sommes tous égaux+" qu'on lui a enseigné. Très impliquée dans la dénonciation sur les réseaux sociaux du jugement de "la meute", la romancière espagnole Lucia Etxebarria a mis en cause l'expansion de "la culture du porno".

"Tapez +gang bang rape'" (tournante) sur internet pour rechercher des vidéos, a écrit l'auteure de 51 ans, et "sachez que si vous avez un fils de plus de 11 ans, c'est ce genre d'images que les adolescents consomment, c'est la nouvelle éducation sexuelle". "Il est vrai que la culture de la pornographie se développe beaucoup", admet un lycéen madrilène de 14 ans, Antonio Garcia, se revendiquant féministe, mais "il ne me semble pas que ça incite à faire de telles énormités, ça dépend de l'éducation du garçon" chez lui. Quand à l'éducation sexuelle au lycée, dit l'adolescent, "on en a eu très peu, on a seulement parlé de biologie et de reproduction".

AFP

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