Santé

Le lobby de l'alcool va financer la lutte anti-alcoolisme en France

  • Publié le 27 juin 2018 à 16:44
  • Actualisé le 27 juin 2018 à 16:54

Le lobby de l'alcool français va apporter pour la première fois son obole au plan de santé publique en finançant la prévention de l'alcoolisme, option qui parait paradoxale mais qui a porté ses fruits ailleurs. Les producteurs et négociants de vins, spiritueux et bières ont proposé mercredi près de 5 millions d'euros pour financer pendant quatre ans des actions de prévention contre la dépendance à l'alcool, notamment chez les femmes enceintes et les jeunes.


Mises au pied du mur en février par Emmanuel Macron, défenseur du vin mais qui souhaite opérer une "révolution de la prévention" en France, les trois filières de l'alcool ont présenté à l'Elysée leur "contribution" au plan national de santé publique porté par la ministre Agnès Buzyn.
"Il s'agit d'une grande première" a déclaré à l'AFP Joel Forgeau, président de Vin et Société, l'organisme représentant le puissant lobby du vin, deuxième poste d'exportation derrière l'aéronautique.

Il a remis un plan comportant 30 mesures à la conseillère Santé et à la conseillère Agriculture de l'Elysée, Audrey Bourolleau, qui a elle-même été déléguée générale du lobby du vin avant de rejoindre Emmanuel Macron. Les mesures sont destinées à lutter contre le "binge-drinking" - la consommation ponctuelle importante d'alcool - qui touche surtout les jeunes et l'alcoolisation foetale chez la femme enceinte qui concerne 700 à 1.000 naissances par an.

"La filière viticole va investir 500.000 euros par an pendant quatre ans sur des actions de formation et de prévention, et les deux autres filières (spiriteux et brasserie) dépenseront à elles-deux 700.000 euros par an" a dit M. Forgeau, soit au total 4,8 millions d'euros sur quatre ans. Point de crispation avec les autorités de Santé, l'agrandissement du logo interdisant l'alcool aux femmes enceintes est l'une des mesures proposées.

Instauré en 2006 sur les étiquettes de boissons alcoolisées, il montre un profil de femme enceinte dans un cercle barré mais est jugé trop discret par les autorités de Santé.
La profession propose que la vignette double de taille, à 0,8 millimètre au lieu de 0,3 ou 0,4 mm et qu'elle soit imprimée avec plus de contrastes. Elle s'engage aussi à diffuser largement le message "zéro alcool pendant la grossesse"

Elle propose aussi de faire mieux respecter l'interdiction de vente d'alcool aux mineurs, par le biais de formations des professionnels au contact, notamment dans les supermarchés.
Ou de favoriser la diffusion de "wine-bags" dans les restaurants pour ne pas obliger les clients à se forcer à finir leur bouteille.

- L'Italie et l'Espagne pour modèles -

Mais quelle est la garantie qu'un tel plan porte des fruits ? N'est-ce-pas demander au pyromane d'éteindre l'incendie ? D'autant que pour lutter contre le tabagisme, le gouvernement adopte une stratégie radicalement opposée: augmentation du prix des cigarettes jusqu'à 10 euros le paquet et messages sanitaires très négatifs. "L'alcoolo-dépendance est un problème en France car elle touche 2,9% de la population, alors que selon l'OMS, elle ne touche que 0,5% de la population en Italie et 0,7% en Espagne qui sont également de grands producteurs de vins", admet M. Forgeau.

Or, "ces deux pays ont mis en place depuis des années des programmes de prévention co-construits avec les filières de producteurs. Nous préférons nous inspirer de leur modèle plutôt que de celui des pays du nord de l'Europe qui utilisent l'arme fiscale et des discours moralisateurs excessifs" explique le responsable. Selon lui, ces méthodes "ne marchent pas".

Le Royaume Uni a un taux de 5,9% de sa population alcoolo-dépendante et la Suède de 4,7%, selon l'OMS. Derrière l'engagement de la filière, se cache probablement la crainte d'un relèvement des prix de l'alcool, activement demandé par la Ligue nationale contre le cancer. Le docteur Amine Benyamina, psychiatre addictologue et président de la fédération française d'addictologie, s'est d'ailleurs déclaré déçu par le plan.

"On attendait un vrai plan de prévention et de lutte contre les effets de l'alcool en France (prix plancher, taxe, etc)" a-t-il dit, en rappelant que l'alcool est responsable de 49.000 morts par an en France. L'Ecosse, patrie du whisky est passée à l'action le 1er mai en devenant la première nation européenne à introduire un prix minimum pour les boissons alcoolisées.
AFP

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