143.000 Français sont sdf

Les sans-domicile, de plus en plus souvent des personnes seules

  • Publié le 30 janvier 2020 à 11:16
  • Actualisé le 30 janvier 2020 à 13:32

"On se retrouve seul, avec la honte d'être à la rue". Comme Ramdane Rouabah, 71 ans, les sans-domicile sont de plus en plus souvent des personnes seules, alerte la fondation Abbé Pierre (FAP), qui publie jeudi son rapport annuel sur le mal-logement.

Aujourd'hui, 65% des 143.000 Français sans-domicile sont sans conjoint ni enfant à charge, selon la FAP, qui met en garde contre un phénomène qui s'aggrave mais reste "un angle mort" des politiques de lutte contre la pauvreté.

Ruptures du couple plus fréquentes, entrée dans la vie adulte et conjugale plus tardive des jeunes et un vieillissement des populations qui laisse souvent des personnes veuves pendant de longues années, nourrissent le phénomène.

Après une faillite et un divorce, acculé par les dettes et les loyers impayés, Ramdane, d'origine algérienne, se retrouve à la rue. Pendant plusieurs mois, il passe alors ses nuits gare de Lyon à Paris, "avec l'espoir de rentrer au pays" mais sans un sous pour acheter un billet d'avion.

Ses proches en France se détournent de lui, "ne répondent même plus au téléphone", tandis qu'auprès de sa famille restée en Algérie, l'ancien chef d'entreprise préfère entretenir l'illusion.

Homme isolé à la rue, sans enfant à charge, Ramdane n'est pas prioritaire pour accéder à une place d'hébergement. L'analyse des appels au 115 (numéro d'urgence des sans-abri) durant l'hiver 2016-2017, montre que la moitié des hommes seuls n'ont jamais été hébergés suite à leur demande. "On vous abandonne", dit Ramdane sans cacher son amertume.

"La priorité, c'est les couples qui ont des enfants. Et même avec l'âge, quand on est seul, on n'a pas le privilège d'avoir ce qu'obtiennent les familles", constate-t-il.

Ces dernières années, dans un système d'hébergement d'urgence totalement saturé, des centres exclusivement dédiés à certains publics (familles, femmes isolées) ont ouvert, notamment à Paris.

- "Cercle vicieux" -

Le risque, selon la FAP, est de créer "une sorte de hiérarchie" parmi les plus précaires. La France compte 4 millions de mal-logés et la crise du logement touche, à des degrés divers, 15 millions de personnes, selon la dernière enquête nationale "sans domicile" de l'Insee en 2012, sur laquelle s'appuie le rapport de la fondation.

"On est tous plus sensibles au fait que des enfants soient à la rue. Mais une personne seule, même si c'est un homme, dans la force de l'âge, à la rue ou en hébergement, c'est intolérable", rappelle Emmanuel Domergue, directeur d'étude à la FAP.

D'autant que lorsqu'on est seul, les difficultés tendent à s'accumuler, selon le rapport : fort isolement social qui complique le recours aux aides, aucun possibilité d'hébergement au moins temporaire chez un proche, absence de soutien moral ou financier, etc.

Et le mal-logement étant lui-même une cause de mise à l'écart, un cercle vicieux conduit souvent de la solitude à l'isolement: impossibilité ou honte à l'idée de recevoir chez soi, éloignement de son réseau en cas d'obtention d'un hébergement.

"Seul, on dispose aussi de revenus plus faibles, on s'oriente vers de plus petits logements, moins nombreux sur le marché et plus chers au mètre carré", explique la FAP.

"Or, on manque de petits logements" de type studio ou T1 avec une seule chambre, notamment dans le parc social, relève Christophe Robert, délégué général de la fondation.

Le parc social, qui évolue très lentement, est encore adapté à ce qui était le modèle classique de la famille française du couple avec deux enfants, explique-t-il. "Il faut déstandardiser le parc de logement social", appelle M. Robert.

"Il est temps que les politiques de l'habitat mais aussi les politiques sociales s'adaptent à la mono-résidentialité", estime-t-il, rappelant que ce nouveau modèle concerne l'ensemble des ménages français, puisque 35% d'entre eux sont désormais composés d'une seule personne.

Après six ans d'attente en hébergement d'urgence, Ramdane, qui a déposé une demande d'appartement autonome, a récemment visité plusieurs logements où il pourrait bénéficier d'un accompagnement social. "L'essentiel pour moi maintenant, c'est de trouver un toit et aussi, un peu de compagnie", confie-t-il.

AFP

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