Les ignorés d'Argentine

La mort des enfants wichi en Argentine, entre faim et oubli

  • Publié le 5 mars 2020 à 09:48
  • Actualisé le 5 mars 2020 à 10:18

"Pour les blancs, nous sommes des moins que rien", résume Valerio Cobos, cacique wichi, peuple originaire du nord de l'Argentine qui voit mourir de faim ses enfants: depuis janvier, dix d'entre eux sont décédés de malnutrition ou de causes associées.

Décimés au siècle dernier par les blancs d'ascendance européenne, appelés "criollos" dans ce pays, les indigènes argentins ne représentent plus que 2,38% des 45 millions d'habitants de la troisième puissance économique d'Amérique latine. Ils sont répartis en 31 groupes ethniques, selon le dernier recensement de 2010.

Au nord-est, la région de Salta, la plus pauvre d'Argentine, compte la population indigène la plus importante. La plupart sont des wichis qui résident dans des zones rurales et survivent grâce à la vente de charbon et d'artisanat. Le cacique Valerio est à la tête d'une cinquantaine de familles, qui tentent de résister à l'avancée d'Embarcacion, une ville édifiée sur des terres que ce peuple autochtone réclame.

Nombre de femmes ne parlent que le wichi et refusent de se rendre dans les hôpitaux, faute d'interprètes. Après la récente série de décès d'enfants, le gouvernement de la province de Salta a décrété l'urgence sanitaire et sociale. En février, une fillette de 5 ans est morte dans les bras de la responsable provinciale de la santé, la pédiatre Josefina Medrano, dans un hôpital situé à la frontière argentine avec la Bolivie et le Paraguay. "Cela arrive depuis de nombreuses années à Salta", déplore-t-elle, regrettant le fait que, jusqu'à présent, les différents gouvernements argentins n'aient pas pu éviter ce type de drames.

Mision Chaqueña, à 310 km au nord de la capitale de la province éponyme, Salta, est la communauté wichi la plus importante, avec 8.000 habitants.
Certains vivent isolés dans ce paysage vallonné au climat extrême, torride l'été et rigoureux l'hiver. Les plus chanceux ont du courant, mais personne n'a d'eau potable. Les diarrhées, les vomissements, les herpès et les parasites intestinaux sont fréquents parmi les habitants. Ici, seuls les enfants ont des dentitions complètes, la maladie de chagas, causée par un parasite, y est très répandue et la dengue une menace constante.

"Faim, soif et pas d'avenir" 

Les mères d'enfants de moins de six ans peuvent percevoir une aide de l'Etat. Mais ces 2.600 pesos (37 euros environ) par mois ne parviennent qu'à ceux qui possèdent des papiers en règle, ce qui est loin d'être le cas de tout le monde Pour Rodolfo Franco, un médecin de Buenos Aires à la tête du seul centre de santé de Mision Chaqueña, les indigènes sont en train de mourir "de faim, de soif, de malnutrition, de déshydratation, par manque de travail et d'avenir".

Son établissement manque de tout. Le lit d'accouchement s'est brisé en deux il y a des années. Par ailleurs, "on a besoin de draps, ils sont très usés, et de produit désinfectant", énumère la sage-femme, Balbina Gutiérrez. Il n'y a pas d'ambulance. La plus proche se trouve dans un autre centre de santé, à 45 km par une route de terre. "Il n'y a pas de radiateurs, ni de ventilateurs", se plaint le docteur Franco, seul médecin à exercer dans cet établissement.

A l'extérieur, les wichis collectent l'eau de pluie ou à partir d'une pompe qui ne fonctionne que quelques heures par jour. "L'eau sort avec des petits vers rouges, parfois, elle est de couleur jaune et noircit les bidons. Vous voyez?", montre Maria, une habitante, à l'AFP. Leurs récipients où ils conservent l'eau renfermaient auparavant des pesticides. Ils ont été jetés par les fermes des environs, où l'on cultive des tomates et des poivrons.

Au soleil, des insectes et des vers sont visibles dan les bidons. Isabel Rojas, 50 ans, recueille un peu d'eau dans une boîte de conserve, place le tissu de sa chemise au niveau de l'ouverture pour la filtrer et elle boit. Dans la région, les autorités ont mis en place des unités de traitement de l'eau et un centre de douze lits destiné à traiter les enfants souffrant de malnutrition, tandis que la Croix Rouge a annoncé l'envoi d'une aide. Mais les habitants de Mision Chaqueña ne voient rien venir.

Pour Nora Segundo, cacique de la localité voisine de Carboncito, le temps est compté. "Jusqu'à quand allons-nous attendre? Il y a beaucoup d'enfants morts. Ma petite de 4 ans est dénutrie, je ne sais pas quoi faire".
 

AFP

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1 Commentaires
SETENG
SETENG
4 ans

Merci à l'AFP de nous révéler cette misère inadmissible, cachée aux yeux du monde. Et à nous qui souffrons de l'obésité, du gaspillage alimentaire, à nous qui sommes endormis par notre télé abêtissante, par nos portables abrutissants aux abonnements ruineux, il est bon de mettre devant nos yeux ce genre de témoignage, de dénoncer ces injustices humaines, conséquences d'égoïsmes et de cupidités infâmes.