Covid-19

Brésil: Jair Bolsonaro, président coronavirus-sceptique

  • Publié le 20 mars 2020 à 11:28
  • Actualisé le 20 mars 2020 à 12:16

Au moment où les dirigeants de la planète livrent une "guerre" contre le coronavirus, Jair Bolsonaro fait entendre une voix totalement discordante, provoquant malaise et inquiétude au Brésil, y compris dans son camp.

Depuis le début de la pandémie, le président d'extrême droite a pour unique ligne de conduite la dénonciation de l'"hystérie" autour du Covid-19, et multiplie les provocations.

Portant un masque de protection, il est apparu mercredi en conférence de presse avec un aréopage de ministres, pour évoquer pour la première fois "une question grave". Mais qui ne doit pas entraîner "la panique".

De cette intervention sans annonce nouvelle, les commentateurs ont retiré jeudi un exercice totalement raté de communication politique et retenu le "spectacle pathétique" d'un Jair Bolsonaro enlevant et remettant une douzaine de fois son masque, pour le laisser finalement pendre à une oreille.

Mardi, il avait critiqué la mobilisation de gouverneurs et de maires contre l'arrivée d'une crise sanitaire potentiellement dramatique pour des dizaines de millions de Brésiliens vivant entassés dans de vastes métropoles et favelas. Il avait évoqué, encore, "une certaine hystérie" lorsque le gouverneur de Rio de Janeiro, Wilson Witzel, l'un de ses probables rivaux à la présidentielle de 2022, et le maire de Sao Paulo, Bruno Covas, ont annoncé l'état d'urgence.

"Ces mesures vont porter préjudice à notre économie (...) qui allait bien", a lancé le président. Cela n'a pas dissuadé M. Witzel d'aller plus loin encore, en décrétant jeudi la fermeture des plages, bars et restaurants dans tout l'Etat de Rio.

- Frontières ouvertes -

La compétence du ministre de la Santé Luiz Henrique Mandetta, un médecin qui a pris la mesure de la crise, lui vaut l'inimitié présidentielle, selon les commentateurs. "C'est gravissime qu'au moment de la pire crise sanitaire du Brésil (contemporain), le président Bolsonaro essaie de savonner la planche de son ministre de la Santé", estime Gaspard Estrada, spécialiste de l'Amérique latine à l'Institut d'études politiques de Paris.

"On demande qu'il y ait un capitaine à la barre en de tels temps de crise", ajoute-t-il, "or Bolsonaro n'est pas fait pour être un capitaine à la barre". Sous la pression des présidents de la Chambre des députés, du Sénat, de la Cour suprême et de milieux d'affaires très inquiets, Jair Bolsonaro a demandé au Parlement l'état de calamité publique qui libérera des fonds.

Contrairement à son modèle, le président américain Donald Trump qui évoque désormais "un temps de guerre" après avoir minimisé la menace, "on ne voit pas Bolsonaro faire un virage à 180 degrés", estime M. Estrada. Le Brésil, qui contrairement à ses voisins avait maintenu ses frontières ouvertes, les a fermées jeudi, mais seulement au niveau terrestre.

Les mesures de soutien économique (147 milliards de réais, 26 milliards d'euros) ont été jugées largement insuffisantes pour un pays menacé d'une nouvelle récession."L'équipe économique prend des mesures dans tous les secteurs", mais "le président va dans la direction opposée", juge Margarida Gutierrez, professeur d'économie à l'Université fédérale de Rio. La crise du coronavirus, responsable de quatre morts, a fait chuter la Bourse de Sao Paulo de 44% depuis fin janvier et sombrer le réal.

- "Irresponsabilité politique" -

Ciro Gomes, ex-candidat de centre gauche à la présidentielle, a férocement dénoncé sur Twitter cette "crapule irresponsable qui nous gouverne". "Dans deux semaines va commencer un pic de contaminations au Brésil! Mets-toi au boulot, pauvre type!"

Les provocations du président sont très mal passées. Dimanche, il avait serré les mains de sympathisants alors qu'il aurait dû être confiné après un voyage aux Etats-Unis avec sa délégation dont 17 membres sont contaminés.

Selon la presse, il aurait été en contact avec 272 partisans. "Une démonstration d'irresponsabilité politique et personnelle", pour le journal O Globo.
La posture de M. Bolsonaro risque d'être coûteuse politiquement. "Sa situation politique va se fragiliser", prédit Gaspard Estrada, "sa base électorale tend à se rétrécir".

L'inquiétude a gagné jusqu'à son propre camp, où Janaina Paschoal, députée de l'Etat de Sao Paulo, a souhaité qu'il quitte sa charge pour "crime contre la santé publique". Une demande de destitution a été déposée par le parti d'opposition Rede.

Finalement ce sont les concerts de casseroles, qui ont commencé à s'élever ces derniers soirs des immeubles des classes moyennes de Rio, Sao Paulo, Brasilia ou Salvador, qui pourraient alarmer le président Bolsonaro.

AFP

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