Pauvreté

Au Pakistan, des fêtes de Pâques amères pour les chrétiens, au chômage pour cause de coronavirus

  • Publié le 11 avril 2020 à 11:38
  • Actualisé le 11 avril 2020 à 11:47

Travailleurs agricoles, employés de ménage, égoutiers... au Pakistan, les emplois traditionnellement occupés par les chrétiens sont un indice des discriminations qu'ils subissent. Parmi les premiers licenciés du fait du nouveau coronavirus, nombre d'entre eux fêteront Pâques le ventre vide.

"Nous étions déjà des intouchables. Mais maintenant, les riches pensent que les pauvres pourraient apporter le coronavirus chez eux", regrette Aamir Gill, prié du jour au lendemain de quitter la famille aisée qui l'employait.

Avec deux autres servants, il travaillait à temps partiel dans une des immenses demeures que compte Islamabad, principalement pour nettoyer après des fêtes. Il n'y entrait que sur ordre. Le reste du temps, il devait patienter dans une salle dédiée au petit personnel. "Je ne sais pas combien de pièces il y avait, mais c'était grand", se souvient Aamir Gill, ajoutant que son ex-employeur avait des entreprises à l'étranger ainsi que de nombreuses voitures.

Le trentenaire travaillait aussi comme vendeur dans un magasin de vêtements. Mais celui-ci a fermé, sur ordre des autorités, pour éviter la propagation du Covid-19, qui a fait 66 morts au Pakistan. "Mes enfants m'ont demandé de nouvelles robes et des habits pour Pâques, mais je leur ai dit que nous n'aurions pas de Pâques cette année", soupire-t-il depuis son appartement exigu situé dans un bidonville.

Les chrétiens, qui comptent pour environ 2% de la population, figurent parmi les minorités les plus discriminées au Pakistan, géant de plus de 200 millions d'habitants, très majoritairement musulmans. Nombre d'entre eux sont des descendants d'intouchables, la plus basse caste hindoue, et sont encore stigmatisés à ce titre.

Haïs des groupes extrémistes, qui les ont visés à de multiples reprises dans les années 2000, ils vivent dans la crainte perpétuelle d'être accusés de blasphème, un sujet incendiaire dans ce pays d'Asie du Sud, qui aboutit souvent à des lynchages.

Leur coreligionnaire Asia Bibi a ainsi passé neuf ans dans les couloirs de la mort après une querelle autour d'un verre d'eau. La Cour suprême l'a finalement acquittée en octobre 2018. Elle et sa famille ont dû fuir le Pakistan quelques mois plus tard.

- 'Désespoir' -

Le Chrétiens vivent aussi dans des conditions matérielles pénibles. A Islamabad, nombre d'entre eux peuplent des "colonies", quartiers insalubres où la distanciation sociale est impossible, souvent pris en sandwich entre des rangées de résidences opulentes. "Dans cette crise, où ils sont confinés dans des espaces surpeuplés avec peu de ressources, on ne peut pas les forcer à choisir entre famine et infection", s'indigne Omar Waraich, un responsable de l'ONG Amnesty International en Asie du Sud.

Parmi les premiers à perdre leurs emplois sous-qualifiés, le Covid-19 "nous a retiré le peu de pain que nous avions", regrette Haroon Ashraf, 25 ans, renvoyé du restaurant où il travaillait comme serveur. Pâques, une période traditionnellement joyeuse pour les Chrétiens du Pakistan, la semaine sainte étant couronnée par des services animés le vendredi saint et le dimanche pascal, perdra ainsi toute sa saveur.

Les festins après le carême s'annoncent difficiles à organiser. "Cette année, il n'y aura pas de Pâques, seulement de la dépression et du désespoir", ajoute Haroon Ashraf, qui avec son frère doit subvenir aux besoins d'une famille de sept personnes vivant dans deux petites pièces.

Incapables de se rendre dans les églises, les chrétiens équipés de smartphones pourront assister à des messes en ligne. D'autres rejoindront leurs voisins sur les toits, où des sermons seront criés et des hymnes chantés à l'unisson. Les églises ont également mis en place des banques alimentaires dans les paroisses pour répondre aux besoins d'une communauté "très vulnérable", selon l'évêque Alexander John Malick, basé à Lahore.

Pour Sharoon Shakeel, 20 ans, cette saison de Pâques relève du "cauchemar", après la mort de son père fin mars, suivie de la perte de son emploi de balayeur dans un hôpital.

Impossible pour lui de rembourser à sa famille l'argent qu'il avait emprunté pour les obsèques. Or ses proches sont désormais aussi au chômage. "Nous sommes à court de nourriture", a déclaré M. Shakeel. "Comment pouvons-nous célébrer Pâques ?" "J'ai un peu d'estime de moi. Je ne peux pas aller mendier."

AFP

guest
0 Commentaires