Portraits

Pour survivre ou par devoir: les métiers de la deuxième ligne sur le front du coronavirus

  • Publié le 29 avril 2020 à 13:29
  • Actualisé le 29 avril 2020 à 13:37

Ce sont eux qui font vivre le monde confiné: épiciers, éboueurs, livreurs, femmes de ménage, facteurs. Des métiers mal payés, souvent invisibles, parfois méprisés, aujourd'hui devenus essentiels. Ils travaillent pour ne pas crever de faim ou par devoir, se sentent sacrifiés ou valorisés. Les photographes de l'AFP dans le monde ont fait leur portrait.

Ils ne sont pas applaudis tous les soirs comme les médecins en France ou en Italie mais on les regarde autrement, on leur parle plus qu'avant, on leur écrit parfois "Merci" sur une poubelle ou sur la devanture d'un supermarché.

Car ils sont bien les soldats de la deuxième ligne dans la guerre contre le Covid-19, "indispensables", ceux dont on ne peut se passer pour manger, communiquer, circuler, désinfecter, enterrer. La plupart du temps, sans autres armes que celles des concitoyens qui dépendent d'eux ? un masque, du gel et des gestes barrière.

Du 18 au 25 avril, dans 25 pays, une cinquantaine de ces travailleurs ont accepté de poser pour l'AFP sur leur lieu de travail. Entre rayons de légumes ou de médicaments, devant une boucherie ou une boulangerie, un tram ou une benne à ordure, une cuisine ou un cimetière, ils ont confié leur vulnérabilité, leur colère, leur mission, leur fierté.

- "Survivre" -

Travailler pour ne pas crever de faim. Certains n'ont pas le choix quand la mise en pause de l'activité économique a créé des millions de chômeurs dans le monde et accru les disparités sociales. C'est le cas de l'Afghane Zainab Sharifi, 45 ans, sept enfants, boulangère à Kaboul. "La faim aura tué ma famille avant le coronavirus si je ne travaille pas", dit-elle. Ou de l'Egyptien Karem Khalafallah, 21 ans, livreur de légumes à moto au Caire: "C'est la seule façon de survivre".

Ils vont prendre leur poste la peur au ventre. "Les risques sont partout, pour tout le monde, on a peur d'être infectés, d'infecter les autres", dit Fatou Traoré,

Ivoirienne de 43 ans, femme de ménage à l'hôpital de Crémone en Italie. A Lisbone, Emilia Lomba, Portugaise de 64 ans, poissonnière sur un marché, évoque tous ces clients côtoyés au quotidien, ces billets de banque échangés. Mais elle doit payer ses factures, dit-elle.

Alors parfois domine ce sentiment d'être les sacrifiés de la société. "Qui veut aller travailler dans ces conditions ?" interroge la Brésilienne Larissa Santana, 26 ans, vendeuse de beignets à Salvador au Brésil. "Mais je n'ai pas le choix, il y a du chômage (?) c'est ma seule source de revenu, j'ai un garçon de trois ans".

Eboueur, Thierry Pauly, Français de 54 ans, continue de ramasser les ordures de Mulhouse (est de la France) dans sa tenue orange traditionnelle car il a "une conscience professionnelle". Mais il est en colère: "C'est un métier à risque qui n'est pas reconnu".

- Un devoir, une mission -

Travailler, c'est pour d'autres un devoir: assurer les services publics et d'intérêt général, le principe de continuité. "Quelqu'un doit bien faire le boulot", dit à Sofia Stoyanka Dimitrova, Bulgare de 49 ans, conductrice de tram dont la première porte d'entrée est bloquée pour éviter tout contact avec les passagers. "Chacun choisit tout seul sa profession et doit porter sa croix", estime-t-elle.

Les gens ont besoin de leur courrier, note simplement la Française Aline Alemi, 53 ans, factrice à Hayange (nord-est de la France), qui décale un peu ses horaires pour rencontrer moins de monde et ne remet jamais les colis en main propre.

C'est même un acte personnel de responsabilité civique en ces temps troublés. La Britannique Jackie Ferney, 54 ans, n'imaginait pas fermer son épicerie, la seule du village de Glenam en Irlande du Nord. "La population locale compte (sur l'épicerie), elle est vitale pour les aliments frais, la viande, les produits d'entretien, payer ses factures, acheter les journaux etc? Certains sont âgés et c'est peut-être leur seule possibilité d'échange". Même si c'est au travers d'une vitre.

"C'est normal (...) de me montrer responsable vis-à-vis de la société, de ma famille et de moi-même", dit à Belgrade le conducteur de bus serbe Marjan Andjelkovic, 45 ans, qui estime avoir l'équipement nécessaire pour se protéger.

Tout comme pour Patrick Blake, 65 ans, entrepreneur de pompes funèbres à Derrylin en Irlande du Nord, "c'est un devoir (?) de faire plus que les simples formalités, accorder un contact en face-à-face, des conseils, un soutien aux familles endeuillées".

- En guerre contre l'épidémie -

Travailler, c'est aussi un moyen de faire la guerre au nouveau coronavirus. En livrant des provisions à Halat au Liban, Anas, Syrien de 29 ans a "l'impression de faire comme les médecins sur la ligne de front".

A Rio, Thiago Firmino, Brésilien de 39 ans, a mis en place une "task force" pour désinfecter les rues de sa favela Santa Marta. "Je ne vais pas rester là à regarder ce qu'il se passe. Ma façon de combattre le coronavirus, c'est de sortir et de désinfecter ma favela". Il a besoin d'argent pour les produits chimiques, les outils, les protections, les masques mais, dit-il, "je suis prêt à prendre des risques (?) je veux protéger le lieu où ma famille et mes parents vivent".

Ou tout simplement un acte d'humanité. A Johannesburg, Rize Jacobs, institutrice de 63 ans, s'est portée volontaire dans une cantine improvisée pour les enfants des rues car, dit-elle, "être sur Terre et aider quand on peut, c'est une bénédiction".

Et à Glasgow, Robin Barclay, Ecossais de 30 ans, offre les services de sa société de nettoyage pour purifier les rues. "C'est naturel (...) C'est une question d'humanité et de devoir vis-à-vis de notre communauté. In fine, si cela peut éviter que juste une personne ne contracte le virus, ça aura valu le coup".

AFP

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