Ce virus qui rend fou

"Plante-démie", ou l'inquiétante ruée sur les plantes vertes aux Philippines

  • Publié le 9 novembre 2020 à 11:18
  • Actualisé le 9 novembre 2020 à 12:20

La folie du jardinage s'est emparée des Philippines du fait des restrictions contre le coronavirus, une "plante-démie" qui se traduit par une ruée sur les pépinières, une flambée des prix et, plus grave, des vols dans les jardins publics et les parcs nationaux.

Les réseaux sociaux débordent de photos de fleurs et de couverts végétaux sur les balcons, les Philippins se reportant de plus en plus sur les plantes vertes pour déjouer l'ennui et dissiper leur stress.

"C'est incroyable à quel point les gens s'intéressent aux plantes en ce moment", s'extasie le paysagiste Alvin Chingcuangco, qui dit avoir vu des variétés de monsteras se vendre à 55.000 pesos (960 euros), contre 800 pesos avant la pandémie. Arlene Gumera-Paz, qui tient une jardinerie à Manille, explique que son chiffre d'affaires quotidien a triplé depuis qu'elle a rouvert après le confinement.

La demande est demeurée forte alors même que les prix des variétés les plus recherchées, comme l'alocasia, la plante-araignée ou la fleur de lune, ont doublé voire quadruplé. "Les gens ne sont pas faciles à comprendre. Quand les plantes ne coûtaient rien, personne ne s'y intéressait", explique Mme Gumera-Paz, 40 ans, qui achète ses plantes en gros dans des pépinières dans les provinces voisines.

- Provenance douteuse -

Mais alors que la demande explose, les autorités s'inquiètent de la provenance de certaines plantes que l'on trouve sur les marchés.
Les gardes qui traquent l'exploitation forestière illégale dans la péninsule de Zamboanga ont reçu la consigne de rechercher désormais les personnes volant des plantes, les autorités ayant réalisé que certaines des espèces vues sur les réseaux sociaux ne se trouvaient que dans les espaces protégés du sud-ouest de la grande île méridionale de Mindanao.

"Avant la pandémie, nous n'avions jamais vraiment été confrontés à un grand nombre de vols d'espèces végétales", explique Maria Christina Rodriguez, fonctionnaire au département de l'Energie et des ressources naturelles de la région de Zamboanga. "Elles sont devenues prisées pendant le confinement." Il est illégal de prendre les espèces menacées dans les forêts philippines. Prélever des plantes endémiques est possible, mais cela implique d'avoir un permis.
Les vols visent les espèces les plus populaires sur les réseaux sociaux, comme les fougères épiphytes, les plantes carnivores de la famille des Népenthacées, selon Mme Rodriguez.

Arrêter les voleurs est particulièrement compliqué. Difficile en effet, une fois qu'une plante a été déterrée et vendue, "de prouver qu'elle vient de forêts ou de zones protégées", poursuit-elle. Une série de vols dans les jardins publics de Baguio, une ville du nord, a même amené les autorités à renforcer la sécurité et à lancer sur Facebook un appel pour que l'on laisse les plantes vertes en paix. Cinq personnes ont été interpellées pour avoir arraché illégalement des plants, selon Rhenan Diwas, des services municipaux de Baguio.

- "Pour se sentir bien" -

"Peut-être que c'est une conséquence de l'ennui, ou qu'ils veulent en tirer des revenus", dit-il. Il semble que pour nombre de Philippins, jardiner soit devenu un moyen de soulager le stress lié au risque sanitaire et aux conséquences financières de la pandémie.

"La meilleure façon de se sentir bien est de faire pousser de petites choses", abonde Norma Karasig Villanueva, ancienne présidente de la Société d'horticulture des Philippines. Ivy Bautista, passionnée de longue date par le jardinage, explique que ses plantes l'aident à "lutter contre l'ennui", mais aussi à mettre du beurre dans les épinards en revendant des boutures.

Mais elle n'a pas de mots assez durs pour condamner les prix "fous" pratiqués dans les jardineries, convaincue qu'ils ne peuvent qu'inciter à voler des espèces protégées. "Il est ridicule qu'une plante que j'ai achetée 400 pesos puisse se vendre désormais pour 5.000 pesos", dénonce Mme Bautista, 30 ans.
Dans un éditorial intitulé "Plante-démie", le quotidien philippin Daily Inquirer s'insurgeait aussi en octobre contre l'inflation des prix, exhortant les passionnés de jardinage à trouver des "sources légitimes" d'approvisionnement. "C'est vraiment très important parce que retirer certaines espèces est source de déséquilibre dans les écosystèmes", explique aussi Mme Rodriguez.

AFP

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