Birmanie

"Chasser les démons" : à Rangoun, casseroles et klaxons contre le coup d'Etat

  • Publié le 4 février 2021 à 11:23
  • Actualisé le 4 février 2021 à 11:48

Taper sur des casseroles, des seaux, klaxonner contre la dictature: à Rangoun, des habitants protestent comme ils peuvent après le coup d'État qui a renversé Aung San Suu Kyi, mais la peur reste forte dans un pays habitué aux répressions sanglantes de l'armée.

En Birmanie, "on a l'habitude de faire un maximum de bruit pour chasser les mauvais esprits des maisons et des villages", ici les démons ceux sont les militaires, raconte à l'AFP Thinzar Shunlei Yi qui a crée un groupe de désobéissance civile après le putsch.

Lundi, l'armée a mis brutalement fin à la fragile transition démocratique du pays, en instaurant l'état d'urgence pour un an et en arrêtant Aung San Suu Kyi, cheffe de facto du gouvernement civil, ainsi que d'autres responsables de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

Aucune manifestation importante n'a eu lieu depuis, la peur des représailles restant vive dans le pays qui a vécu, depuis son indépendance en 1948, sous le joug de la dictature militaire pendant presque 50 ans. Mais les signes de résistance se multiplient.

Mardi et mercredi à la nuit tombée, dans le quartier commerçant de Rangoun, des habitants ont frappé pendant une heure sur des casseroles, des seaux et des cymbales, sous un concert de klaxons. "Taper ralentit ma colère (...) mais ça ne dure qu'un instant", soupire Min Theint Oo, 50 ans, éc?uré de replonger sous un régime militaire après une parenthèse de 10 ans.

Non loin de là, un jeune a agité un drapeau aux couleurs de la LND, qui a remporté massivement les législatives de novembre, un scrutin dont les militaires contestent la régularité. D'autres ont fait le salut à trois doigts, un geste de résistance déjà adopté par les militants pro-démocratie à Hong Kong ou en Thaïlande.

- Histoire écrite avec notre sang -

Puis, la cacophonie a laissé place à un vieux chant populaire "Kabar Ma Kyay Bu", ("Nous n'oublierons pas jusqu'à la fin du monde"), popularisé lors du soulèvement populaire de 1988 violemment réprimé par l'armée. "Notre histoire est écrite avec notre sang (...) pour ceux qui perdent la vie dans la bataille pour la démocratie", ont alors entonné des habitants depuis leurs balcons.

Dans plusieurs quartiers de la ville des slogans: "Vive Mère Suu!" (Aung San Suu Kyi) ont été entendus. La prix Nobel de la paix, très critiquée ces dernières années pour sa passivité dans la crise des musulmans rohingyas, reste adulée dans le pays et beaucoup s'inquiète alors qu'elle est tenue au secret par l'armée depuis lundi.

La résistance s'organise aussi dans certains hôpitaux ou des professionnels de santé ont refusé mercredi de travailler "sous une autorité militaire illégitime" et sur Facebook, porte d'entrée à internet pour une grande partie de la population.

Les services de la plate-forme étaient perturbés jeudi, des fournisseurs d'accès ayant reçu l'ordre de couper son accès. Les autorités militaires ont déjà émis un avertissement recommandant à la population de ne pas dire ou publier quoi que ce soit qui pourrait "encourager des émeutes ou une situation instable". Les risques à protester restaient dans tous les esprits. En 2007, les militaires ont tué des dizaines de manifestants lors de la "révolution safran", en partie conduite par des moines bouddhistes. La répression de 1988 a fait quelque 3.000 morts.

AFP

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