Contre les réformes gouvernementales

Inde: du lait et des chants pour les agriculteurs, des villages du nord à leurs côtés

  • Publié le 16 février 2021 à 10:28
  • Actualisé le 16 février 2021 à 11:04

Un tracteur bleu électrique, surmonté d'un haut-parleur crachant ses chants militants, bat le rappel à travers le village de Makrauli, dans le nord de l'Inde, pour collecter des dons de lait destinés aux agriculteurs qui manifestent depuis près de trois mois aux portes de Delhi.

Depuis la fin novembre, des dizaines de milliers d'agriculteurs sont installés sur les routes menant à la capitale indienne pour manifester leur opposition aux réformes gouvernementales qui libéralisent les marchés agricoles et dont ils exigent l'abrogation pure et simple.

Ces fermiers ont traversé l'hiver dans des campements de fortune par un froid glacial, avec le soutien d'une multitude de villages des Etats du nord de l'Inde, avoisinant la capitale, et dont ils sont, pour la plupart, originaires. "Ce mouvement agricole n'est pas seulement celui de ceux qui font le siège là-bas", affirme à l'AFP Sumit Arya, 35 ans, le chef du village de Makrauli Khurd dans l'Haryana, à deux heures de route des principaux campements. "C'est notre mouvement à nous tous, habitants des zones rurales."

Chaque matin, dans ce village de 4.000 âmes, hommes et femmes se dépêchent d'apporter légumes et bois dans les points de collecte.
Le mardi est dédié aux dons de lait frais que les villageois transportent sur des carrioles, dans des petits pots de fer, juste après la traite des vaches. Ensuite des hommes, à l'instar de Ajit Singh, les transvasent dans de grands bidons pour les acheminer aux manifestants.

"Nous ne pouvons pas leur donner notre temps, mais nous pouvons les approvisionner en nourriture et en eau, fournir tout ce qui leur est nécessaire en hiver", déclare à l'AFP le fermier de 58 ans, assis sur une meule de paille, dans une carriole.
Derrière, quelqu'un lance un des cris de ralliement des manifestants "kisan ekta" ("Fermiers unis") et aussitôt des villageois lèvent leur poing et entonnent le chant "zindabad" ("longue vie").

Leur mouvement constitue l'un des plus grands défis auxquels le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi a été confronté depuis son arrivée au pouvoir en 2014. Les réformes votées en septembre autorisent les agriculteurs à vendre leurs productions aux acheteurs de leur choix, plutôt que de se tourner exclusivement vers les marchés contrôlés par l'État qui leur assurent un prix de soutien minimal (PSM) pour certaines denrées.

Nombre de petits exploitants agricoles s'estiment désormais menacés par cette libéralisation qui, selon eux, risque de les obliger à brader leurs marchandises aux grandes entreprises pour les écouler. Le poids du secteur agricole est considérable, assurant la subsistance de près de 70% de 1,3 milliard d'habitants, et contribuant à environ 15% du PIB.

- "Sans cette fraternité, rien ne marche"-

Depuis le début des manifestations, un réseau de solidarité s'est mis en place. Chaque jour des tracteurs aux carrioles chargées de bois et de vivres quittent des villages comme Makrauli à destination des campements aux portes de Delhi. Des fermiers et leurs familles les accompagnent. "Deux ou trois tracteurs de notre village vont soutenir le moral" des manifestants, explique à l'AFP Ajay Punia, 18 ans, juché avec onze villageois, âgés de 14 à 65 ans, sur la carriole qui s'ébranle.

Le drapeau vert et jaune du syndicat des agriculteurs et les couleurs de l'Inde flottent ensemble sur le tracteur, tandis que résonnent des chants de la résistance paysanne. Plus tard, le convoi est rejoint par deux chariots transportant une trentaine de personnes, des femmes pour la plupart. On se salue poing en l'air et les chants repartent de plus belle. Le long de l'autoroute, les gens leur font signe de la main.

Parvenu au grand campement de Tikri en banlieue de Delhi, halte est faite à la cantine communautaire, les hommes vont s'asseoir en ligne sur un tapis où des femmes leur servent un curry de pois et de pommes de terre, accompagné d'un roti (galette) et d'une tasse de lait frais de Makrauli.
"Sans cette fraternité, rien ne marche. Même dans notre village, différentes castes y participent", dit Arya. "Les gens s'engagent de plus en plus (...) Nous ne reculons pas."

AFP

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